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Slavoj Zizek : allocution à Liberty Place / Occupy Wall Street

par Slavoj ZIZEK

Publie le jeudi 13 octobre 2011 par Slavoj ZIZEK - Open-Publishing

Ils disent que nous sommes des perdants, mais les véritables perdants sont là-bas à Wall Street. Ils ont été sauvés avec des milliards de notre argent. Ils nous appellent des socialistes, mais il y a toujours du socialisme pour les riches. Ils disent que nous ne respectons pas la propriété privée, mais lors de la crise financière de 2008, plus de propriété privée durement acquise a été détruite que tout ce que nous aurions pu détruire nous mêmes en nous y consacrant jour et nuit pendant des semaines. Ils disent que nous sommes des rêveurs. Mais les véritables rêveurs sont ceux qui pensent que les choses peuvent continuer ainsi indéfiniment. Nous ne sommes pas des rêveurs. Nous sommes en train de nous réveiller d’un rêve qui se transforme en cauchemar.

Nous ne détruisons rien. Nous ne faisons que constater comment le système se détruit lui-même. Nous connaissons tous cette scène classique dans les dessins animés. La chat arrive au bord d’un précipice mais continue de marcher, en ignorant qu’il n’y a rien en dessous. Ce n’est que lorsqu’il regarde vers le bas, et qu’il s’en rend compte, qu’il tombe. C’est ce qui nous arrive ici. Nous disons à ces types à Wall Street : « hé, regardez en bas ! »

Au milieu du mois d’avril 2011, le gouvernement chinois a interdit à la télé, au cinéma et dans les livres toutes les histoires qui parlent d’une réalité alternative ou de voyage dans le temps. C’est bon signe pour la Chine. Ces gens rêvent encore d’alternatives, alors il faut interdire ces rêves. Ici, nous n’avons pas besoin d’une prohibition parce que le système dirigeant a réprimé même notre capacité de rêver. Regardez ces films que nous voyons tout le temps. Il vous est facile d’imaginer la fin du monde. Une astéroïde détruit toute vie sur terre et ainsi de suite. Par contre, vous n’arrivez pas à imaginer la fin du capitalisme.

Alors que faisons-nous ici ? Laissez-moi vous raconter une merveilleuse vieille blague de l’époque communiste. Un Allemand de l’Est est envoyé travailler en Sibérie. Il sait que son courrier serait ouvert par les censeurs, alors il dit à ses amis : « Mettons-nous d’accord sur un code. Si ma lettre est rédigée à l’encre bleue, ce qu’elle raconte est vraie. Si elle est rédigée à l’encre rouge, elle est fausse. » Au bout d’un mois, ses amis reçoivent leur première lettre, écrite à l’encre bleue. La lettre dit ceci : « Tout est merveilleux ici. Les magasins sont pleins de bons produits. Les cinémas passent de bons films occidentaux. Les appartements sont grands et luxueux. La seule chose qui manque ici c’est l’encre rouge. » C’est ainsi que nous vivons. Nous avons toutes les libertés que nous voulons. Mais ce qui nous manque c’est l’encre rouge : le langage pour exprimer notre non-liberté. La manière que nous avons appris à parler de la liberté – la guerre contre le terrorisme et ainsi de suite – falsifie la liberté. Et c’est cela que vous êtes en train de faire ici. Vous nous donnez à tous de l’encre rouge.

Il y a un danger. Ne tombez pas amoureux de vous-mêmes. Nous passons un bon moment ici. Mais rappelez-vous, les carnavals ne coûtent pas très cher. Ce qui compte, c’est le lendemain, lorsque nous serons tous retournés à nos vies quotidiennes. Est-ce que quelque chose aura changé ? Je ne veux pas que vous-vous souveniez de ces journées comme, vous savez, du genre « Oh, nous étions jeunes et c’était merveilleux. » Souvenez-vous que notre message essentiel est « nous avons le droit de réfléchir aux alternatives. » Si la règle est brisée, nous ne vivons pas dans le meilleur des mondes. Mais le chemin est long. Il a de véritables problèmes à résoudre. Nous savons ce que nous ne voulons pas. Mais que voulons-nous ? Quelle organisation sociale pourrait remplacer le capitalisme ? Quel genre de nouveaux dirigeants voulons-nous ?

Rappelez-vous : ce n’est pas la corruption ou la cupidité qui est le problème. C’est le système qui est le problème. C’est lui qui vous oblige à être corrompu. Méfiez-vous non seulement de vos ennemis, mais aussi de vos faux amis qui sont déjà à l’oeuvre pour diluer le processus en cours. De même qu’on vous offre du café sans caféine, de la bière sans alcool, de la crème glacée sans matière grasse, ils vont tenter de transformer ceci en une protestation inoffensive, morale. Une processus décaféiné. Mais la raison de notre présence ici est que nous en avons assez d’un monde où, pour recycler des cannettes de Coca, vous donnez quelques dollars à la charité, ou vous achetez un cappuccino à Starbucks où les 1% reversés à des enfants affamés du tiers-monde suffisent pour s’acheter une bonne conscience. Après avoir sous-traité le travail et la torture, et que nous sommes en train de sous-traiter nos vies amoureuses aux agences matrimoniales, nous avons sous-traité aussi notre engagement politique. Nous voulons le reprendre.

Nous ne sommes pas des Communistes si le communisme désigne un système qui s’est effondré en 1990. Rappelez-vous que ces communistes là sont aujourd’hui les capitalistes les plus efficaces et impitoyables. En Chine, il y a un capitalisme encore plus dynamique que votre capitalisme américain, et il n’a pas besoin de démocratie. Cela signifie que lorsque vous critiquez le capitalisme, ne cédez pas au chantage que vous seriez contre la démocratie. Le mariage entre démocratie et capitalisme est brisé Le changement est possible.

Qu’est-ce qui nous paraît possible, aujourd’hui ? Observez les médias. D’un côté, en matière de technologie et de sexualité, tout paraît possible. On peut aller sur la lune, devenir immortel grâce à la biogénétique, avoir du sexe avec n’importe qui et n’importe quoi. Mais regardez du côté de la société et de l’économie. Là, presque tout devient impossible. Vous voulez augmenter un peu les impôts pour les riches ? Ils vous répondent que c’est impossible, que nous perdrions notre compétitivité. Vous voulez plus d’argent pour la santé ? Ils répondent « impossible, cela nous entraînerait vers un état totalitaire. » Il y a quelque chose qui ne va pas dans le monde, où on nous promet l’immortalité mais où on vous interdit de dépenser plus pour la santé. Il faudrait peut-être redéfinir nos priorités. Nous ne voulons pas un meilleur niveau de vie, nous voulons une meilleure qualité de vie. Si nous sommes Communistes, c’est uniquement dans le sens que le peuple nous importe. Le peuple de la nature. Le peuple des privatisés par la propriété intellectuelle. Le peuple de la biogénétique. C’est pour cela, et uniquement pour cela, que nous devrions nous battre.

Le communisme a totalement échoué, mais les problèmes du peuple demeurent. Il nous disent que nous ne sommes pas des Américains. Mais il faut rappeler quelque chose à ces fondamentalistes conservateurs qui prétendent être les véritables Américains : qu’est-ce que Christianisme ? C’est le saint esprit. Qu’est-ce le saint esprit ? C’est une communauté égalitaire de croyants reliés par leur amour des uns pour les autres, et qui n’ont que leur liberté et leur responsabilité pour y parvenir. Dans ce sens, le saint esprit est présent ici. Et là-bas à Wall Street, ce sont des païens qui vénèrent leurs idoles blasphématoires.

Il vous suffit d’avoir de la patience. La seule chose que je crains, c’est qu’un jour nous rentrions tous chez nous pour nous réunir ensuite une fois par an, pour boire des bières et pour nous remémorer avec nostalgie « ah, quel bon moment nous avons passé là-bas ». Promettez-vous que ça ne sera pas le cas. Nous savons que souvent les gens désirent quelque chose sans vraiment le vouloir. N’ayez pas peur de vraiment vouloir ce que vous désirez.

Merci beaucoup.

Slavoj Žižek

SOURCE : http://www.imposemagazine.com/bytes/slavoj-zizek-at-occupy-wall-street-transcript

traduction "à mon avis, il n’a pas voté aux primaires du Parti Socialiste celui-là" par VD pour le Grand Soir avec probablement les fautes et coquilles habituelles.

http://www.legrandsoir.info/slavoj-zizek-allocution-a-liberty-place-occupy-wall-street-impose-magazine.html