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Le procureur de Marseille a espionné un journaliste

par Damien Delseny et Elisabeth Fleury

Publie le samedi 22 octobre 2011 par Damien Delseny et Elisabeth Fleury - Open-Publishing

Le chef du parquet de Marseille s’est fait communiquer les factures téléphoniques détaillées d’un reporter du « Monde » travaillant sur les dossiers corses.

Après les fadettes Bettencourt, les fadettes corses : les journalistes chargés des dossiers sensibles sont, décidément, dans le collimateur du pouvoir. Dans le cadre d’une enquête pour « violation du secret professionnel » initiée par la plainte de deux journalistes du « Monde » travaillant sur l’affaire Bettencourt, la juge parisienne Sylvia Zimmerman vient de soulever un nouveau lièvre.
Cette fois, ce n’est pas le procureur de Nanterre (Hauts-de-Seine), Philippe Courroye, qui est mis en cause, mais son homologue marseillais, Jacques Dallest.

Selon nos informations, le 23 avril 2010, ce magistrat a réclamé que lui soient fournies les factures détaillées (fadettes) de Jacques Follorou, un journaliste du « Monde » chargé notamment des affaires corses. Deux de ses articles, cosignés avec Yves Bordenave et parus le 14 janvier 2010 et le 24 mai 2009, ont semé une sacrée pagaille dans le « milieu ». S’appuyant sur des procès-verbaux de garde à vue auxquels ils ont eu accès, les journalistes reviennent sur la tentative d’assassinat visant l’ancien chef nationaliste Alain Orsoni, ainsi que sur l’assassinat de Richard Casanova, une des figures du gang de la Brise de mer. Dans leurs publications, les noms des commanditaires présumés de ces crimes sont cités. « Du jour au lendemain, ça a mis un foutoir monstre dans les prisons où étaient détenus des Corses, se souvient une source judiciaire. Certains se sont mis à craindre pour leurs vies. Il a fallu procéder, d’urgence, à des transferts. »

Les affaires corses, complexes, sont gérées par la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Marseille, sous l’autorité du procureur de la République. Jacques Dallest ouvre immédiatement une enquête pour « violation du secret de l’instruction ». « Il pensait que les journalistes pouvaient être manipulés, via des avocats, par l’un ou l’autre clan de la pègre », indique une source policière. Convoqués à Marseille, les reporters doivent s’expliquer devant les enquêteurs. Excès de zèle d’un magistrat dont le nom figurait, il y a peu, parmi les candidats possibles au poste de procureur de Paris ? Sans les en avertir, le procureur de Marseille réclame, en plus, les factures détaillées de Jacques Follorou.

Deux périodes sont passées au crible : du 23 avril au 30 mai 2009, ainsi que du 3 janvier au 17 janvier 2010. Grâce à ces relevés, le procureur peut ainsi savoir avec qui le journaliste s’est entretenu, avec son téléphone, durant ces semaines. Une solution de facilité, décrypte une source policière. « Il aurait dû, en principe, enquêter sur les éventuels informateurs du journaliste et pas sur le journaliste lui-même. »

« Une réquisition dont la légalité se discute », estime Me Yves Baudelot, l’un des avocats du « Monde » à l’origine de la plainte qui a déclenché l’instruction de la juge. Selon la loi du 4 janvier 2010, censée protéger les sources des journalistes, « il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ».

Contacté hier soir, le procureur Dallest n’a pas souhaité commenter l’enquête menée sur les fadettes du journaliste du « Monde » et a simplement évoqué « une affaire sérieuse, mettant en cause la criminalité organisée ».

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