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L’union européenne renoue avec Cuba

Publie le mardi 1er février 2005 par Open-Publishing

(Au grand dam de Reporters sans Frontières !)

de Maxime Vivas

Un groupe d’experts européens avait recommandé, en novembre dernier, de renouer le dialogue avec les autorités cubaines, et pas seulement avec les opposants. Dédaignant la toute récente missive enflammée de Robert Ménard, leader de Reporters Sans Frontières, les ministres des Affaires étrangères de l’UE, réunis à Bruxelles les ont suivis en décidant lundi de suspendre pour six mois les sanctions prises en juin 2003 contre Cuba.

La décision a été difficile à cause des nouveaux adhérents, notamment la Pologne et la République Tchèque, qui s’alignent volontiers sur les positions américaines.
Selon le Figaro (extraits), « Il faut être bien ingénu pour croire que le sort de l’île appartient aux seuls dissidents, aussi célèbres à l’étranger qu’inconnus dans leur pays. S’il est probable qu’ils auront un rôle à jouer, ce sera en composant avec les cadres du Parti communiste et les militaires... avec la bénédiction de la Maison-Blanche, avant tout soucieuse de maintenir un régime fort à La Havane.

On imagine mal Washington appuyer un gouvernement contesté, qui jetterait des milliers de Cubains à l’assaut des côtes américaines et ferait de l’île, idéalement située, une proie du trafic de drogue. Or il faut reconnaître à Fidel Castro d’avoir tout fait pour éradiquer ce fléau chez lui, un coup d’oeil aux Jamaïque et Haïti voisines suffisant à la comparaison. Surtout, les fonctionnaires européens en charge de l’île enragent de voir tous les projets de coopération gelés, une mesure qui frappe la population cubaine bien plus que le régime. C’est notamment le cas de l’Hexagone (merci Ménard. Note de MV), qui avait placé Cuba dans sa zone de solidarité prioritaire quelque temps avant la crise diplomatique, ce qui déclenchait théoriquement de nombreux nouveaux financements.

Enfin, reste l’argument économique : sachant que tout investissement européen dans l’île dans le cadre d’une société mixte implique un interlocuteur de l’État, la brouille ne facilite pas les affaires. La France, qui était jusqu’en 2001 le premier fournisseur de produits alimentaires de Cuba, est tombée au troisième rang en 2003, derrière la Chine et les Etats-Unis (bravo RSF. Note de MV.) La position intraitable de ces derniers ne les a pas empêchés, sous la pression des lobbies pharmaceutiques et agricoles, de développer les relations commerciales avec l’île. En s’alignant sur la politique américaine (comme le préconise RSF. Note de MV), sans parvenir à dégager une position autonome sur Cuba, l’Union européenne risquait bien d’être une nouvelle fois le dindon de la farce. »
La décision de l’UE prévoit que, lors des visites de haut niveau, la situation des droits de l’Homme et des dissidents devra être évoquée avec le gouvernement cubain et la société civile.

Les ministres ont aussi affirmé leur intention d’« intensifier les relations avec l’opposition pacifique » au régime. L’Europe a réitéré ses objectifs communs rédigés en 1996 : « Un processus de transition vers le pluralisme démocratique, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi qu’un relèvement et une amélioration durables du niveau de vie du peuple cubain. »

Quoi de plus normal ? Cuba, on l’imagine, y souscrira d’autant plus volontiers que cette revendication européenne englobera tout Cuba (en priorité absolue : Guantanamo) et que la mesure ne concernera pas que leur pays, mais tous les autres. Tous.

Ainsi, quand la France recevra des délégations cubaines de haut niveau, et avant de conclure le moindre accord ou de signer le moindre contrat, elle acceptera sans doute que les Cubains rencontrent les mouvements séparatistes corses, les militants basques, les anciens d’Action Directe, l’écrivain persécuté Cesare Battisti, sa femme et ses enfants, les amis de Cuba à qui la grande presse refuse la parole, les SDF (ceux qui ne sont pas morts de froid), les représentants des chômeurs, les journalistes virés de leur journal, les victimes d’écoutes téléphoniques dont la situation n’est pas conforme aux droits de l’Homme. Elle ne verra pas malice au fait que nos hôtes des Caraïbes distribuent quelques subventions aux autonomistes bretons, savoyards, antillais et kanaks un peu endormis ces temps-ci.

Après quoi, les délégations cubaines regarderont sans doute de près si le niveau de vie des Français baisse, si la presse appartient au MEDEF et à un marchand d’armes, si un gouvernement désavoué par les urnes est remplacé par un autre qui tient compte du vote, si les libertés fondamentales (avoir un travail, un toit, pouvoir poursuivre ses études) sont garanties pour tous, si un patron élu par personne peut jeter dans la misère des milliers de travailleurs et ruiner une région entière, si les citoyens peuvent démettre, au bout de deux ans, un élu qui aurait démérité, si un mandat électoral est obligatoire avant de devenir ministre, si l’évolution de la fortune des hommes politiques est contrôlée, si tous les français, quelle que soit la couleur de leur peau, ont pareillement accès au logement, à un emploi, à l’entrée dans les boîtes de nuit.

Par la même occasion, elles souhaiteront rencontrer Robert Ménard et lui demanderont pourquoi il mène avec tant de hargne une croisade qui dessert la France, l’Europe et qui sert... qui ?

Les échanges de haut niveau auront ainsi atteint un point inégalé de franchise, dans le respect mutuel, aucun peuple n’étant humilié par des exigences à sens unique qui alièneraient son droit à disposer de lui-même et à conserver ses spécificités, même si elles contrarient les directives du FMI, les visées de Bush et les espoirs de son aboyeur parisien déguisé en ONG.
Maxime Vivas, écrivain, altermondialiste.