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Ha« ça commence à bien faire » Les tentatives de réhabilitation de Louis Renault

par Jean-Yves Peillard

Publie le lundi 12 décembre 2011 par Jean-Yves Peillard - Open-Publishing

Message de Annie Lacroix-Riz, www.historiographie.info

Chers amis,

Mercredi prochain 14 sera diffusée sur le service public de télévision, en l’occurrence sur France 3 à 20 h 35 une nouvelle émission sur Renault (et Citroën, cette fois). Je vous en communique ci-dessous la présentation officielle, que je commenterai dans la suite immédiate de ce texte.

http://programmes.france3.fr/documentaires/index.php?page=doc&programme=histoire-immediate&id_article=2057

"Ce film est l’histoire de deux destins tragiques qui se confondent avec les destins de la France et du monde dans la première moitié du XXe siècle
Un documentaire de Hugues Nancy
Réalisé par Fabien Béziat

Renault et Citroën. Deux marques mondialement connues. A l’image de la tour Eiffel, ces fleurons de l’industrie automobile appartiennent désormais au patrimoine français. Et pourtant, qui connaît Louis Renault et André Citroën, les fondateurs de ces marques ? Que reste-t-il dans nos mémoires de l’histoire des deux plus grands industriels que la France ait jamais connus ?

Les deux frères ennemis ont partagé les bancs du lycée Condorcet. Ils ont bâti et porté à bout de bras deux empires industriels de renommée mondiale. Ils se sont livrés une concurrence acharnée, et ont façonné l’histoire industrielle du pays. Puis, les créations des deux génies qui ont inventé l’automobile moderne se sont retournées contre leurs créateurs. L’histoire leur a tout repris, comme s’il avait fallu à tout prix gommer l’incroyable histoire de Louis Renault et André Citroën.

Comme dans une tragédie classique, la vie de Louis Renault et d’André Citroën est une fresque intime et sombre qui a le goût de cendres des époques perdues. Jamais en France, des hommes étaient partis de si peu et étaient parvenus si haut. Jamais des hommes aussi puissants avaient finalement tout perdu, presque en un instant. La terrible crise économique des années 30 a eu raison des audaces de Citroën. Ruiné, il meurt en juillet 1935, quelques mois après avoir perdu le contrôle de son usine au bénéfice d’Edouard Michelin. Dix ans plus tard, Louis Renault, enfermé à la maison d’arrêt de Fresnes pour collaboration avec l’ennemi, meurt dans une clinique d’une hémorragie cérébrale avant d’avoir pu défendre son honneur.
L’usine est nationalisée en 1945, et Louis Renault érigé en symbole de la collaboration patronale, alors que de nombreux industriels seront épargnés, malgré une collaboration active organisée par le régime de Vichy.

Ce film est l’histoire de deux destins tragiques qui se confondent avec les destins de la France et du monde dans la première moitié du XXe siècle. L’histoire d’une aventure industrielle époustouflante, dans un monde secoué par une crise économique et par deux guerres mondiales.
L’histoire d’une société qui a basculé dans la modernité et le tout voiture. Notre histoire.

DEBAT, animé par Samuel Etienne"

HISTOIRE IMMEDIATE, Présenté par Samuel Etienne, est Le rendez-vous du documentaire de France 3. L’émission raconte aux téléspectateurs leur histoire, celle qu’ils ont, pour la plupart, vécue depuis le début du XXe siècle. Cette histoire est aussi celle des grands hommes, dans l’intimité des événements majeurs qui ont marqué leur époque.

(passages surlignés par moi : la première affirmation est fausse ; la seconde est malhonnête, puisqu’elle suppose que Renault avait conservé « son honneur » ; la troisième au moins autant, puisque, comme je l’ai démontré dans l’ouvrage Industriels et banquiers français sous l’Occupation (Armand Colin, 1999), la collaboration protégée et promue par Vichy a été, concernant la collaboration économique, d’origine privée, et non « organisée », de l’extérieur, par le régime politique).


Sur la base de cette information, Marc Lacroix, président de l’association « Esprit de Résistance » a adressé le vendredi 9 décembre à Rémy Pflimlin, président de France Télévisions, le courrier qui figure en annexe, courrier proposant pour la participation au débat les noms de Michel Certano et de moi-même. J’ai pour ma part appris vendredi soir qu’il était d’ores et déjà enregistré et accueillerait quatre intervenants, dont les trois suivants :

Laurent Dingli, historien hagiographe de Louis Renault, dont l’indépendance est établie par son statut de mari d’une des plaignantes, Hélène Dingli née Renault.Hélène Dingli-Renault, petite-fille de Louis Renault, qui a bénéficié, comme son mari, d’une quasi-exclusivité médiatique continue depuis le n° du 8 janvier 2011 du Monde Magazine, au service, dans un premier temps, de la « réhabilitation » de l’industriel , et, depuis le 9 mai 2011, de l’assignation déposée par elle-même et les six autres petits-enfants de Louis Renault contre l’Etat, en vue d’indemnisation de la confiscation décidée le 16 janvier 1945.

L’historien Patrick Fridenson, qui a consacré à Louis Renault et à la Société anonyme des usines Renault d’importants travaux s’arrêtant à septembre 1939, c’est à dire à la déclaration de guerre officielle (Histoire des Usines Renault 1. Naissance de la grande entreprise, 1898-1939, Paris, Seuil, 1972). « Spécialiste » reconnu du Renault d’avant-guerre, mon collègue a été le 23 novembre 2011 présenté par France Info comme « spécialiste de Renault », sans autre précision chronologique, et interrogé sur le bilan d’Occupation de Louis Renault, période à laquelle il n’a pas consacré ses recherches : il n’en a pas moins dressé le bilan de guerre suivant des œuvres de Louis Renault : il s’est « en 1939 et 1940 […] investi pour produire des matériels d’armement pour la défense nationale » ; il a sous l’Occupation produit pour l’Allemagne « la même chose que les autres entreprises d’automobiles » et, s’il n’a pas soutenu « la résistance, comme Citroën et Peugeot, […] le reste fait partie de choses sur lesquelles nous n’avons pas à l’heure actuelle d’éléments sérieux et incontestables d’information ». M. Fridenson ne saurait donc, à la lumière de ces récentes prises de positions, non étayées par des recherches, « débattre » d’éventuels désaccords avec la plaignante et son mari. J’ignore encore le nom du quatrième « débatteur », mais d’ores et déjà, le « débat » est acquis aux trois-quarts à la thèse selon laquelle Louis Renault n’a pas collaboré du tout ‑ ou pas particulièrement ‑ avec l’ennemi et a été victime d’une « voie de fait » susceptible d’être rectifiée et réparée par la Justice.

Depuis le 8 janvier 2011, date d’un dossier de 5 pages, extrêmement favorable aux héritiers Renault, rédigé par Pascale Robert-Diard et Thomas Wieder du Monde Magazine, intitulé : « Renault. La justice révise les années noires », il a été strictement impossible d’obtenir des grands media, écrits ou télévisuels, malgré des demandes réitérées, le droit de faire connaître aux lecteurs, auditeurs ou spectateurs la thèse contestant celle des héritiers Renault, désormais engagés dans une action en indemnisation contre l’Etat. Le service public de télévision a déjà, à deux reprises, sur France 2, les 2 mars et 26 avril 2011, accordé à des heures de grande écoute voix exclusive aux héritiers.

Le 3 août 2011, sur Europe 1, Franck Ferrand, a associé M. Laurent Dingli, dans son émission Au cœur de l’histoire, à l’indispensable réhabilitation de l’honneur de Louis Renault mis en cause par des historiens acharnés à « salir la mémoire de Louis Renault », dans des conditions décrites par le courrier ci-joint, que j’ai adressé à M. Ferrand, courrier demeuré à cette date sans réponse. Pour la troisième fois depuis mars, le service public donne la parole aux héritiers Renault et à au moins un historien qui soutient ou ne conteste pas la thèse de ceux-ci, et interdit de parole l’histoire fondée sur les sources originales. Le faux « débat » programmé, et déjà enregistré, sera diffusé au soir même de la première audience vraiment importante du procès que les héritiers Renault ont engagé le 9 mai 2011 contre l’État. Il risque, une fois de plus, de peser unilatéralement sur le cours de la justice.

La presse a le devoir théorique, jusqu’ici bafoué, d’informer sur la situation et les citoyens celui de protester contre une partialité qui met ladite presse, privée et publique, au service exclusif des héritiers de Renault qui ont engagé un combat contre la vérité historique au profit d’une prétendue quête désintéressée de réhabilitation avant de se lancer dans une action judiciaire en indemnisation concernant tous les contribuables français. Il convient d’exiger du service public, que ceux-ci financent directement, le respect du pluralisme : or, celui-ci a été bafoué avec application depuis janvier 2011, date où est entrée dans le domaine public la grande offensive des héritiers de Renault, parée dans un premier temps des atours de la nécessaire « réhabilitation » morale, révélée le 9 mai pour ce qu’elle était, une opération financière de grande envergure.

Vous trouverez dans un second document douze des pièces d’archives qui attestent, sans aucun doute possible, l’ampleur de la collaboration de Louis Renault avec l’Allemagne, que je borne à la seule période septembre 1939-Libération. Je me propose, dans la période à venir, à publier un grand nombre de documents provenant des fonds d’archives concernés (copies des archives de la Préfecture de police ; transcriptions des fonds Lehideux de Haute-Cour, 3 W, sous dérogation particulière et donc interdits de photocopie et de photographie).

J’adresse aux journalistes un courrier comportant les mêmes pièces d’archives.
Bien cordialement, Annie Lacroix-Riz

fin du message

Merci de soutenir l’historienne qui a enfin exaucé les voeux de l’historien juif résistant assasiné Marc Bloch en 44.

Renault le Henri Ford français

et en plus pour la petite histoire, un supplément en rappel : quand on écrit "Renault le Henri Ford français" c’est pas pour rien :

Extraits de "Peakoil, le baril serait-il devenu le Maître du monde ? - Lallegro, il penseroso ed il moderato" - Guy Demenge

« Au procès de Nuremberg, Baldur Von Schirach, ancien chef des jeunesses
hitlériennes, déclara qu’à l’âge de dix-sept ans, il était devenu un antisémite convaincu
après avoir lu Le Juif éternel : Vous ne pouvez pas imaginer l’influence qu’a eue ce
livre sur la pensée de la jeunesse allemande, La jeune génération était éperdue
d’admiration devant ce symbole du succès et de la prospérité que représentait Henry
Ford, et s’il disait que les Juifs étaient coupables, eh bien naturellement on le
croyait. »

Hitler, avec cette fascination qu’on les autocrates pour les immenses fortunes,
considérait son aîné de 26 ans comme son père spirituel ou comme le Grand frère.
Ford lui adressa son portrait que, pieusement, le futur Chancelier fit suspendre dans la
salle précédant son bureau au Q.G. du parti nazi à Munich.

« En 1923, quand Hitler apprit du correspondant d’un célèbre quotidien
américain, que son mentor souhaitait devenir le candidat républicain à la présidence, il
déclara ceci : J’aimerais pouvoir lui envoyer quelques-unes de mes troupes de choc à
Chicago et dans d’autres grandes villes américaines pour aider à son élection. Nous
considérons Heinrich (sic) Ford comme le chef pour l’Amérique, de notre mouvement
fasciste dont l’expansion sera irrésistible… »

Notez bien la mention de Chicago en lieu et place de Detroit ou Dearborn, les
villes de l’automobile ; cela n’a rien d’un hasard. Ford lui-même, peut nous éclairer à
ce sujet : « Dans Ma vie et mon oeuvre (Payot, 1926, p. 78), son autobiographie parue
aux Etats-Unis en 1922, le big boss révélait que son idée de la chaîne de production
était née d’une visite (vers 1880, donc à l’âge de 17 ans) des abattoirs de Chicago : Je
crois que c’était la première chaîne jamais installée. L’idée (de l’implanter ailleurs)
m’est venue en voyant au plafond les rails que les bouchers utilisent. » Ceci laisse
supposer de la part du jeune-homme une prescience exceptionnelle, puisque à cette
époque, aucun véhicule à moteur n’avait encore pris la route aux U.S.A. et que
personne ne pouvait imaginer que cela puisse un jour se faire.

« Une publication de Swift & Company décrit au début des années 20 – à propos
de l’immense complexe d’abattoirs de l’Union Stock Yard inauguré à Chicago en 1865
(et dans lequel Frederick W. Taylor, 1856-1915, aurait travaillé quelques années) – le
principe de la division du travail en ces usines à massacres : Les animaux abattus,
suspendus tête en bas à une chaîne mouvante, ou convoyeur, passent d’ouvrier en
ouvrier, et chacun exécute une tâche particulière du processus. Comme les auteurs de
cette publication voulaient s’assurer que les abattoirs de Chicago se verraient
décerner l’honneur d’avoir inventé la chaîne d‘assemblage (dans ce cas de déassemblage),
ils ajoutèrent : Ce procédés s’est avéré si efficace qu’il a été adopté par
nombre d’autres industries, comme par exemple les chaînes d’assemblage
d’automobiles.

Avec nos ateliers modernes qui, de plus en plus, ressemblent à des cliniques, il
nous est difficile d’imaginer ce qu’étaient au milieu du 19e siècle ces mouroirs géants
alimentés par le flot continuel des animaux provenant des Etats voisins de l’Union et
se déversant 24 heures sur 24 de milliers de wagons.

L’historien James R Barret – l’auteur de Work and Community in the Jungle, Ed.
Chicago’s Packinghouse Workers 1894 – écrit qu’au début du XXe siècle les abattoirs
américains étaient « dominés par le spectacle, le bruit et l’odeur de la mort à une
échelle monumentale ; Les sons émis par la machine à tuer et par les animaux mis à
mort agressaient l’oreille en permanence. « Tous ces mugissements ne parvenaient
pas à masquer le vacarme des engrenages, des carcasses qui s’entrechoquaient, des
fendoirs et des haches qui tranchaient la chair et les os. »

Uptun Sinclair, connut à vingt sept ans un tel succès avec son premier roman
reprenant le titre : La Jungle (NY) Signet 1990, que plus tard un comité d’éminents
intellectuels, mené par Albert Einstein, le proposa pour le Nobel de littérature. Dans
les abattoirs, ce roman met en scène un jeune immigrant lituanien du nom de Rudkus,
en voici quelques extraits :
« … Rudkus est intégré à une équipe d’immigrants lituaniens débarqués il y a
peu. (…) Ils doivent se présenter aux Unions Stock Yards pour l’apprentissage. (…)
Un compatriote les guide vers une galerie surélevée d’où ils dominent les parcs pleins
« de plus de bétail qu’on aurait pu penser qu’il en existait au monde ». A ce spectacle,
Rudkus a le souffle coupé. Quand un des membres du groupe demande ce qui va
arriver à toutes ces bêtes, le guide répond : « D’ici ce soir elles seront toutes tuées et
découpées et là, de l’autre côté du hall de conditionnement, les camions livreront les
colis au train. »
« Alors que la troupe s’approche d’un haut bâtiment, les stagiaires découvrent
des files de porcs que l’on force à grimper à la queue leu leu, le long d’une suite de
rampes, vers l’étage le plus haut. Le guide explique que leur propre poids les fera
redescendre à travers tout le processus en les métamorphosant peu à peu en
quartiers, côtes, jambons ou saucisses. Une galerie surplombe la salle d’abattage, à
chaque arrivée, la bête essoufflée est arrimée par une patte arrière, et vivement
enlevée au moyen d’une grande roue dont les câbles viennent s’enclencher au rail du
convoyeur. Surpris, le cochon couine de terreur. Immédiatement saisi, un trancheur
l’égorge d’une lame maculée. Des flots de sang jaillissent. Plus loin, les bêtes
hurlantes agitées de soubresauts spasmodiques sont plongées dans une cuve
bouillonnante. Les grincements et claquements métalliques, les cris perçants de
douleur et les grognements rauques s’ajoutent à ces couinements suraigus en un
tintamarre indescriptible.
Parfois, une brève pause permet d’ouïr des cris et râles atténués par la distance.
Ils proviennent de l’atelier suivant d’écorchage et de tranchage et laissent deviner que
le martyre se prolonge. C’en était de trop pour les stagiaires. Les hommes
s’entreregardaient honteux en riant convulsivement. Les femmes, au bord de la
nausée s’étouffaient de leurs propres sanglots... »
Un des passages des plus visuel de ce livre décrit la fabrication des saucisses
dans un atelier à la puanteur abominable. « Les ingrédients comprennent : la viande
avariée renvoyée à l’usine, celle tombée à terre dans l’eau croupie, dans laquelle
traîne des balayures, de la sciure, des crachats, des clous rouillés provenant des
caisses de déchets ; des « pétoules » laissés par les rats venus grignoter les
carcasses, des croûtes de pain traitées à la mort-aux-rats, et même parfois le cadavre
empoisonné d’un de ces rongeurs !

On raconte que lorsque le président Théodore Roosevelt lut ce passage, il jeta
les saucisses de son petit déjeuner par une fenêtre de la Maison-Blanche. »
« Le guide nous fit voir que rien n’était perdu : les crânes et les sabots pour les
engrais, les os pour la colle, le suif pour les bougies et le savon… tout devait
rapporter. »

Et pour résumer la conclusion de Rudkus : Ce que les maîtres-bouchers des
Yards tirent de la torture et du meurtre des animaux, c’est ce qu’ils extirpent de notre
honte et de notre peine d’ouvrier, et enfin de la bourse des clients intoxiqués : l’or, du
crime à la chaîne !

Nous imaginions, dans notre candeur, que la modernité aurait fait reculer la
violence et aseptisé le processus. Il ne semble pas. La seule différence serait que les
convoyeurs tournent plus vites et que les hommes abattent un volume de bêtes bien
plus important.
En comptant les milliards de volailles immolées et dont le conditionnement est
très automatisé, l’on abat dans l’Union autant d’animaux en six jours, qu’en une année
du temps de Sinclair, soit, tenez-vous bien : deux cents millions de bêtes par
semaine !

Les opérations de base restent pratiquement les mêmes. Pour les bovins,
« l’assommeur » a simplement troqué sa masse pour un perforateur pneumatique et
plante dans le front des bêtes confiantes ses fiches d’acier, longue comme la main. Le
« fendeur » ne lance plus son fendoir (une très lourde hache), mais débite les
carcasses à la tronçonneuse. « Désosseurs » et « apprêteurs » utilisent encore les
mêmes couteaux aux lames finement aiguisées pour détacher les filets et préparer les
morceaux. Ces couteaux et les crochets à viande restent les outils de base de cette
industrie. Le récent film : Le marché de la faim, commenté par Jean Ziegler, nous
montre d’évidence que l’efficacité technique prime tout et que la violence prodiguée
continuellement aux animaux, et sans état d’âme, n’a en rien reculé.

Et quand est-il de la salubrité ? Le sociologue Gail Eisnitz, dans Slaugterhouse,
nous livre des extraits d’un rapport d’inspection récent. Amherst (NY), Prometheus,
1997, p. 182.
« … Un rat a jailli d’un containeur de l’atelier d’empaquetage et en trottant est
passé sur le pied de l’inspectrice. Celle-ci a fait stopper la chaîne et ordonné
l’inspection de toutes les poubelles et containeurs pour vérifier s’il n’y avait point
d’autres rats ou leurs déjections mêlées à la viande. Appelé d’urgence, le vétérinaire
en apprenant l’incident se contenta d’en rire, d’envoyer un coup de jet d’eau sur le sol,
et surtout après un semblant d’inspection, de faire repartir au plus vite la chaîne. La
chasse au rat tourna à la blague de potache, les ouvriers racontant à l’inspectrice que
les rats pullulaient dans l’atelier de « refroidissement », courraient la nuit sur les
carcasses et les rongeaient. »
Un second inspecteur rapporte : « … Les bestioles sont au festin. L’atelier est
envahi par les rongeurs, et les blattes, parfois longues de deux pouces, prolifèrent. Sur
les tables d’éviscération peu ou pas entretenues, les quartiers de viande macèrent
dans l’urine surie ; le sol où grouille les asticots est de temps à autres désinfecté à
l’eau de javel puis lavé à grands seaux, mais les puisards sont souvent colmatés et
pendant le travail, il arrive que des éclaboussures de la mixture fétide viennent polluer
les carcasses. »

« Ce processus dantesque de mort violente à la chaîne – nous dit C. Patterson –
a introduit quelque chose de nouveau dans nos sociétés industrielles modernes : La
banalisation du geste qui tue, et un niveau jamais encore atteint de désensibilisation.
Pour la première fois, des machines furent utilisées pour accélérer ce rituel du meurtre
de masse en reléguant les hommes au niveau de simples servants (ou rouages)
contraints de se conformer au rythme et aux exigences imposées par la chaîne elle-même.

Le XXe siècle nous l’a démontré, il ne restait plus qu’un pas à franchir du
massacre industrialisé des abattoirs américains aux chaînes du meurtre collectif de
l’Allemagne nazie. » Et comme l’a dit Theodor W. Adorno – philosophe d’origine juive ;
prestigieux chef de file de l’école de Francfort et qui s’exila aux Etats-Unis au début
des années 30 :
Auschwitz commence quand quelqu’un visite un abattoir et pense : ce ne sont que des animaux.

Henri Ford, dont le volet fascisant et antisémite est volontairement oublié des
historiens, en fut le passeur incontesté. Nous pensons vous en avoir donné une idée
en ces quelques pages inspirées de l’ouvrage de Charles Patterson
, déjà cité (pages
113 à 119) et que nous vous recommandons.

Mais la réelle portée délétère de ces deux idéologies jumelles du taylorisme et du fordisme ne peut être totalement perçue
si l’on méconnaît la façon dont elles furent accueillies un peu près partout avec un
enthousiasme délirant. De plus, les horreurs qu’elles ont engendrées en tant de places
n’ont qu’à peine refroidi cet enthousiasme.

Ces idéologies – adulées, directement par des personnes aussi différentes que
Lénine (qui fut subjugué par l’idée que l’on peut rendre les ouvriers aussi dociles que
des chevaux de labour… et qui laissera Trotski interdire les soviets à l’usine dès mars
1918), ou Kennedy, Milton Friedmann…, ou indirectement, chaque fois que le mot
« productivité » est annoncé comme la panacée – ne cache-t-elle pas un monstrueux
appétit de pouvoir et une secrète jouissance à ravaler symboliquement ou réellement
les subordonnés et les humbles, au rang le plus bas : celui de l’animalité corvéable,
suppliciable et tuable à merci.

Un appétit qui depuis des millénaires fut conforté – pour tous ceux qui se
réclament des nombreuses religions issues du Livre – par le commandement, exposé
dans la Genèse, d’user à discrétion de toutes les espèces vivantes… car leur seule
raison d’être, serait d’avoir été mises totalement à notre disposition, par un féroce
démiurge. Le prétexte en serait qu’Il… le démiurge, nous aurait façonné à son image.

Quelle peut-être cette image ? Sinon celle du prédateur final !

Telle serait l’origine historique, idéologique et sociétale de ce phénomène
envahissant et délétère qu’est la bagnole, qui en ces ultimes versions met sous le pied
de créatures immatures des puissances parfois insensées (jusqu’à 600 chevaux).

Cette bagnole de la démesure participe pleinement à la prédation absolue.
L’ALLEGRO : « L’épisode actuel est spéculatif. »