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TF1 : un journaliste qui aime beaucoup la police (et vice versa), au tribunal

par dans Causette

Publie le mercredi 14 décembre 2011 par dans Causette - Open-Publishing
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Causette 03/12/2011 à 09h56

TF1 : un journaliste qui aime beaucoup la police (et vice versa), au tribunal

Causette / Anne-Laure Pineau et Grégory Lassus-Debat

Une perquisition filmée, diffusée par TF1 en 2003 dans le cadre de l’émission «  Appels d’urgence  », a accouché de deux affaires judiciaires théâtrales, toujours en cours.

Au cœur du litige, un journaliste aux méthodes obscures. Tout autour, des échanges de bons services entre le ministère de l’Intérieur et quelques sociétés de production déontologiquement douteuses…

Sur les planches  : perquisition, coups de pression et destructions

Scène 1
« Appels d’urgence », TF1, 2003

Le 19 novembre 2002, 6 heures du matin. On tambourine à la porte. Philippe Barassat se lève, nu, et va ouvrir. «  Police  !   » Perquisition, quatorze policiers envahissent l’appartement. Ils cherchent son ami, alors absent, soupçonné d’appartenir à un groupe de tagueurs violents.

Un cameraman les accompagne. Barassat affirme avoir demandé la raison de sa présence, on lui aurait répondu que la vidéo était un support de pédagogie interne.

Carole Rousseau, « Appels d’urgence », TF1, 2003

Scène 2

Six mois plus tard, le 3 juin 2003, Barassat tombe de sa chaise en se voyant nu et vaguement flouté sur TF1. Il figure dans l’émission « Appels d’urgence », animée par l’impayable Carole Rousseau.

Le sujet  : les tagueurs violents. Il comprend que le policier à la caméra était en fait un journaliste, mandaté par TF1.

Etonné à posteriori de la proximité entre le journaliste et les policiers pendant la perquisition, il s’étrangle qu’on ait pu autoriser la diffusion d’un acte de procédure en cours. Et le secret de l’instruction, alors  ?

Au générique, il repère le nom du journaliste entré chez lui sans son accord. Il s’agit de Gaël Leiblang, caméraman pour le compte d’Antoine – dit Tony – Comiti et de sa boîte, Kaliste Productions. C’est aussi un réalisateur qui aime beaucoup les policiers et les militaires – « La Meilleure Façon de marcher », cette série sur la formation des militaires, c’était lui.

Scène 3

Barassat, réalisateur, est rodé aux enquêtes et décide de mener la sienne sur ces relations et ces méthodes plus que louches. Il fait appel à Catherine Paillé, jeune élève de la Femis, grande école de cinéma parisienne, et tend un piège à Leiblang.

Sous un faux nom et grimé, il prétexte une interview filmée dans les locaux – rassurants – de l’école de cinéma. ll le questionne sur les liens troubles qu’entretiennent policiers et journalistes, en particulier dans le cadre de reportages «  embarqués  » avec les forces publiques. Quand Leiblang comprend que quelque chose cloche, il interrompt brutalement l’entretien.

Sur le contenu et la durée de l’enregistrement, les versions divergent. Selon Barassat, Leiblang y «  confirmait ses liens avec la police. Elle lui commandait des sujets, d’une part, et lui en proposait, d’autre part  ». Une vraie coproduction, quoi. Gaël Leiblang, lui, a refusé de répondre à nos questions.

Scène 4

Quelques jours après l’interview interrompue, Alain Auclaire, président de la Femis (aujourd’hui retraité), reçoit un premier coup de fil. D’après son témoignage, Leiblang menace d’attaquer l’école en justice s’il ne détruit pas les cassettes.

Sans aucun motif de plainte, c’est bien vague… Qu’importe  ! Le directeur, qui connaissait l’ambition du travail de son étudiante («  La Nouvelle Télévision  »), prend peur. Effrayé par les coups de fil à répétition de Leiblang, il convoque l’élève. «  Pour avoir la paix avec Leiblang, le plus simple, c’était de détruire les cassettes  !   » a-t-il affirmé naïvement à Causette.

Mais qu’avait-il pu raconter de si sensible, Leiblang, dans ces vidéos  ? Nous ne le saurons jamais, parce que, docile, le directeur Auclaire a exigé que les bandes lui soient restituées pour destruction. L’étudiante en «  faute  », Catherine Paillé, les a donc volées à la société de Barassat avant de les remettre, penaude, à la Femis. Alain Auclaire fit détruire les quatre cassettes sans même les visionner  ! Hop, un passage sous un aimant et quelques coups de tenaille. Efficace, irrémédiable.

A la suite d’une plainte de Philippe Barassat, l’étudiante et le directeur retraité ont été jugés le 8 novembre, l’une pour abus de confiance, l’autre pour destruction de biens. Le jugement sera rendu le 6 décembre.

Grand gagnant de ce premier acte, pas même impliqué officiellement dans l’affaire  : le journaliste Gaël Leiblang, à qui, apparemment, de grands messieurs obéissent au doigt et à l’œil.

Epilogue  : Leiblang, TF1 et Comiti à la barre  !

Passé les événements de l’acte 1, c’est un procès encore plus intéressant qui devrait se dérouler durant les premiers mois de 2012 au tribunal de grande instance de Paris.

Dans les rangs des accusés, le producteur Tony Comiti, Edouard Boccon-Gibod, président de TF1 Productions au moment des faits – aujourd’hui, président du quotidien gratuit Metro, filiale à 100% de TF1 –, et le fameux Leiblang.

Tous trois ont été mis en examen début 2009, sur une plainte de Philippe Barassat, et renvoyés devant le tribunal correctionnel pour «  recel de violation du secret de l’instruction  ». La diffusion sur la première chaîne des images de la perquisition chez Barassat et son ami était-elle illégale  ? Le tribunal en jugera.

« C’est de la com officielle »

Pour un producteur de télé, une bonne petite perquize aux aurores, pas de doute, c’est spectaculaire et ça tient sa ménagère en haleine.

Côté com des forces de l’ordre, c’est une image d’Epinal sécuritaire qui transforme les policiers en superhéros… Pas étonnant, dès lors, que le ministère de l’Intérieur favorise les émissions bleu marine  ! « Appels d’urgence », « 90 Enquêtes » et autre « Enquête d’action » embarquent dans les fourgons à la demande.

Pour la virée chez Barassat, Tony Comiti aurait obtenu un accord de la part du juge d’instruction pour filmer une interpellation. Quant aux services de police, d’après nos sources, ils ne donneraient ce type d’autorisations aux journalistes que «  verbalement  ». Entre amis, on va pas s’embêter avec la paperasse  ! Journaliste, je gagne de l’argent en vendant ma soupe à M6, TMC ou TF1. Place Beauvau, on s’offre une campagne de pub im-pec-cable, plus palpitante que les spots de l’Armée de terre  !

Pour Yannick Danio, délégué national du syndicat Unité SGP Police, «  cette affaire n’a rien de surprenant » :

« On vend l’insécurité qui fait naître le sentiment d’insécurité. Mais je ne vois jamais de voitures de police pourries, dans ces reportages… Beaucoup sont réalisés avec les services de com du ministère de l’Intérieur. C’est de la com officielle, des reportages institutionnels...  »

Et, normalement, un journaliste qui fait de la com, il perd sa carte de presse. Alors, en attendant ce procès où l’on espère en apprendre davantage sur ces méthodes qui font une audience forte et un électorat peureux, restez devant la télé parce que dehors, c’est dangereux  !

Cet article est extrait du numéro 19 de Causette, le mensuel plus féminin du cerveau que du capiton, décembre 2011, en kiosques.


Causette, numéro 19, décembre 2011 (Causette.fr)

Source : http://www.rue89.com/2011/12/03/tf1-un-journaliste-qui-aime-beaucoup-la-police-et-vice-versa-au-tribunal-227153

via Paz

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