Accueil > "En direct" du Caire (Suite) la répression "bénie" (...)

"En direct" du Caire (Suite) la répression "bénie" par les "Occidentaux".

par Via Claude Deloume

Publie le dimanche 18 décembre 2011 par Via Claude Deloume - Open-Publishing
3 commentaires

Le Blog de notre Camarade Sylvie Nony, prof au Caire, qui nous apporte non seulement des infos inédites mais aussi et surtout, une analyse des évènements graves qui se produisent en Égypte, en ce moment.

Je vous invite avec insistance, à lire tout particulièrement les deux derniers articles :

 Deux Nouvelles
 Coup de Force


Deux nouvelles

Eh oui, la bonne, et la mauvaise !

Je me dépêche d’annoncer la bonne, qui a été noyée dans un fatras d’informations mondiales, plus désolantes les unes que les autres. Elle mérite pourtant qu’on s’y attarde quelque peu. Le deuxième tour des élections législatives qui vient de s’achever, certes pour seulement le tiers des gouvernorats d’Egypte, a été marqué par un échec cuisant pour les salafistes, au Caire notamment. Certes, les bureaux de vote situés dans les pays du Golfe ont atténué l’effet… Certes, c’est souvent au profit des Frères musulmans que le report s’est produit (80 sièges obtenus sur les 168 en jeu au total). Mais ne boudons pas notre plaisir.

L’entre deux tours a été marqué par des déclarations tonitruantes et il faut bien l’avouer effrayantes des salafistes, notamment de proches et de candidats du parti “el-Nour” (le si-bien-nommé parti de “la lumière”) : dénigrement de l’oeuvre de Naguib Marfouz, qui inciterait à la débauche et la prostitution, mise en cause de la mixité dans les lieux publics, demande d’interdiction de la vente d’alcool, de libéralisation du port du voile, mise en cause de la notion même de démocratie, j’en passe et des meilleures. A tel point “décomplexées”,- comme dirait Nicolas-, ces déclarations, que les responsables de ce lumineux parti ont enjoint à se taire de toute urgence ces porte-paroles un peu trop spontanés.

C’est un peu comme si en France, Marine Le Pen, gonflée par ses 20%, annonçait entre les deux tours qu’elle allait interdire l’avortement, rétablir la peine de mort, reconduire à la frontière tous ceux qui n’ont pas 4 grands parents franco-français et supprimer l’enseignement de la Shoah des manuels d’Histoire. L’effet a été immédiat, et il montre que le peuple égyptien a quelques ressorts que l’analyse globalisante (et donc, fausse) d’un raz de marée “islamiste” ne permet pas de mesurer.

Les conséquences des déclarations, notamment celles de Hazem Abu Ismaïl, prêcheur salafiste (“indépendant”) devant l’Eternel, et de Abdel Monem Al-Chahhat, candidat officiel, ont obligé les Frères à se démarquer de ce qu’il faut bien appeler de l’obscurantisme (pour rester poli) ; d’autant que les deux partis se retrouvaient en opposition dans plusieurs circonscriptions. Dans de nombreux endroits, des alliances avec des libéraux, voire même avec des coptes, ont permis aux Frères de remporter la mise.

La démocratie, la vraie, c’est à dire d’abord le débat d’idées, faisait peu à peu son effet.

Et patatras, la mauvaise nouvelle la voilà : Le Scaf annonce une modification de la règle du jeu en cours de jeu. Le conseil consultatif chargé de rédiger la prochaine constitution, qui devait émaner de la nouvelle assemblée, sera finalement constitué de personnalités choisies par le Scaf himself. L’idée en soi, de faire un conseil représentatif de la diversité de la société n’est pas mauvaise. L’annoncer maintenant, une fois les résultats sortis des urnes, s’apparente à un coup de force qui n’est pas sans faire penser au scénario algérien.

Bien évidemment, les partis islamistes reconstruisent ipso facto une unité de fer, pour s’opposer à ce déni de démocratie. Bien évidemment, la décision du Scaf apparaît comme largement téléphonée depuis outre-atlantique. A ce titre, elle est capable de mettre tous les égyptiens dans la rue pour soutenir d’une seule main… les composantes islamistes mises à l’écart, au nom de la démocratie bafouée. On avance, on avance.

Bravo le Scaf. Merci Obama. C’est rigolo de s’amuser comme ça avec le sort des peuples.

On avait déjà reçu les gaz de combats dans les poumons. Cinq dockers du port de Suez ont été arrêtés il y a deux semaines pour avoir bloqué une cargaison supplémentaire en provenance des US.

Une autre odeur va commencer à se répandre, sauf si, malgré son enfoncement dans une crise économique sévère, le peuple égyptien arrive à désamorcer ces nouvelles cartouches. Faudra qu’il soit vraiment balaise.

Les photos de graffitis qui illustrent ce papier ont été prises ces derniers jours, sur la place Tahrir, au pied du Mogamma, le hideux bâtiment administratif qui ferme son côté Sud. La place est depuis la fin des événements de novembre fermée à la circulation, alors qu’elle ne rassemble qu’une poignée de gens divers et variés … Un pourrissement organisé ?

-

Post-scriptum

Abou el-Kacem Chebbi, éternel jeune poète tunisien mort en 1934, a écrit une adresse Aux tyrans du monde. Un extrait est en incipit du passionnant ouvrage “Dictateurs en sursis”, livre d’entretien de Vincent Geisser avec Moncef Marzouki (le probable futur président tunisien), réédité depuis peu aux éditions de l’Atelier (idée cadeau pour les fêtes).

Doucement ! Que ne te trompent pas le printemps

La clarté de l’air et la lumière du jour

Dans l’horizon vaste, il y a l’horreur de la nuit

Le grondement du tonnerre et les rafales du vent

Attention ! Sous la cendre, il y a des flammes


Coup de force

Samedi : 13h. Atmosphère insurrectionnelle au centre ville. La place Tahrir est entièrement encerclée de cordons de la police militaire, et de la sécurité centrale. Au loin, depuis la rue Talaat Harb, on voit rutiler les casques militaires et en toile de fond, une épaisse fumée noire provenant des tentes qui étaient plantées sur le rond point (essentiellement les familles des blessés de la révolution). Les militaires les ont incendiées et ont roué de coups leurs habitants.

En retrait, sur la place Talaat Harb, des jeunes sont amassés et discutent des événements de la nuit tout en surveillant les événements de Tahrir au loin. Les rues sont pleines, malgré la violence toute proche, de gens qui commentent les derniers déroulements. Je croise deux femmes voilées, la cinquantaine, plutôt classe moyenne. Elles sont en pleurs. Elles viennent d’assister par hasard à un échange de coups de feu : des jeunes sont tombées à côté d’elles. Elle n’en reviennent pas “l’armée tue le peuple !”.

Un jeune passe à côté de moi et me dit “Il faut que tu regardes sur internet : ils battent à mort les gens”. Effectivement, les images ne manquent pas, comme ce film qui vient d’être mis en ligne et ces témoignages (en arabe). Le vieux serveur de mon café préféré, plutôt réservé d’habitude, m’apporte le café en me glissant avec un clin d’œil “l’armée au service du peuple !”.

Plus près du cordon de militaires, des badauds et des indics commentent les évènements sur un autre ton. “On avait la démocratie et les élections ne sont pas finies que ça recommence !”, dit l’un d’eux. Immédiatement les jeunes autour protestent : ce ne sont pas les manifestants qui ont commencé, l’armée frappe et tue sans raison. Y compris, dit l’un d’eux, on pouvait déloger les “campeurs” sans en arriver à une telle violence. Deux jeunes filles voilées prennent la parole vivement pour défendre les manifestants et condamner le rôle de l’armée. “6 avril !”, leur balance le vieux, sur le ton de l’insulte.

Hier soir, vers 22h, l’atmosphère était déjà survoltée, sur place et dans la rue Qasr el-Einy qui part vers l’Assemblée Nationale. Il était difficile d’y comprendre quelque chose étant donné la diversité des témoignages. Mais les récits détaillés dans la presse de la nuit et du matin précisent les choses. En bref, dès vendredi matin vers 4h, l’armée a attaqué le sit-in des jeunes qui réclament le départ de l’armée devant le Conseil des Ministres. Jets d’eau sur leurs tentes improvisées puis coups de bâton. Les jeunes ont répliqué avec des jets de pierre. Sont arrivés ensuite des voyous que de nombreux témoins ont vu sur les terrasses du bâtiment, qui on jeté des armoires métalliques et des morceaux de carrelage sur les manifestants. La complicité de ces voyous et de l’armée ne fait aucun doute pour les journalistes du Masry al-Youm par exemple qui étaient présents (version arabe beaucoup plus complète). Les forces de l’ordre ont ensuite ouvert le feu sur les manifestants qui sont venus en renfort et remplissaient l’avenue Qasr el-Einy hier soir. Bilan : 8 morts et 300 blessés.

Les organisations des jeunes de la révolution étaient déjà sur le qui-vive depuis l’affaire de mercredi dernier. Les militants qui campent depuis novembre avaient reçu un repas d’origine inconnue, apporté par une femme portant niqab. Deux ou trois heures plus tard, une quarantaine d’entre eux partaient vers l’hôpital, empoisonnés, et la ronde des ambulances se poursuivait encore vers 22h lorsque je suis rentrée du boulot.

Le nouveau premier ministre Ganzouri qui avait, lorsqu’il a prêté serment, affirmé que son gouvernement n’attaquerait pas les manifestants, affirme dans sa déclaration de presse aujourd’hui que justement, l’armée est intervenue pour “protéger la révolution” à laquelle il reste fidèle, et qu’il veut défendre contre la “contre-révolution”, ce qui est tout à fait crédible de la part de cet ancien ministre de Moubarak.

A l’heure actuelle l’Institut de Géographie d’Égypte, qui jouxte l’Assemblée Nationale, est en flammes. Je ne sais pas l’étendue des dommages mais sa bibliothèque renferme l’original de la “Description d’Egypte” faite sous Napoléon et de très vieux ouvrages…

De nombreux tweets font état de représailles envers les journalistes et de confiscations des caméras qui filment les événements depuis plusieurs jours. Des appartements qui donnent sur la place sont fouillés. La mosquée hôpital a aussi été attaquée par les forces de l’ordre.

Les partis politiques ont déclaré dans la presse du jour que les pratiques du gouvernement sont exactement les mêmes que celles du régime déchu. On ne peut pas dire à moins. Si l’armée a réussi un coup aujourd’hui, ce n’est sûrement pas un coup de pub, étant donné le nombre de gens de tous les milieux, qui condamnent ses actions ce soir. Mais c’est peut être un coup de force durable.

Messages