Accueil > Bêtise à haut débit

Bêtise à haut débit

par raoul

Publie le samedi 4 février 2012 par raoul - Open-Publishing
5 commentaires

La chronique d’Alain Accardo

Naguère encore, si on était d’humeur à entendre un échantillon de la bêtise humaine ordinaire, il suffisait de s’accouder au zinc d’un bistrot de quartier à l’heure de l’apéritif et d’écouter les buveurs de blanc sec et de pastis débiter à visage découvert des inepties qui parfois faisaient rire. Aujourd’hui la bêtise, sous le masque du pseudonymat, vient à domicile vous sauter à la gorge chaque fois que vous ouvrez la page d’accueil de votre fournisseur d’internet, pas seulement sous la forme des innombrables annonces publicitaires dont les déjections à géométrie variable maculent la page comme les virgules marron et les inscriptions pornos sur les murs des toilettes publiques, mais aussi sous la forme des commentaires que les internautes sont invités à déposer au bas de chaque dépêche d’information.
Quels que soient les faits d’actualité concernés, les commentaires auxquels ils donnent lieu sont, à quelques exceptions près, d’une bêtise crasse, qu’on aurait peine à imaginer si on ne la voyait s’étaler là, sous ses yeux, péremptoire, agressive, révoltante, ouvrant des aperçus vertigineux sur l’inaptitude à toute réflexion, l’étroitesse d’esprit, l’absence de générosité, la fureur intolérante que des êtres soi-disant pensants sont capables de manifester envers autrui.

Il n’est pas nécessaire d’être un spécialiste de sociologie politique pour repérer dans le flux ininterrompu de sottises l’ensemble des thèmes habituellement exploités par l’idéologie d’extrême droite, avec une dominante raciste et xénophobe dont la ferveur patrouillotique (comme aurait dit Rimbaud), qui commande de privilégier tout ce qui est bien français, n’empêche pas néanmoins d’infliger les pires outrages à la langue française.

L’anti-intellectualisme toujours sous-jacent à la pensée réactionnaire, combiné au ressentiment d’extrême droite, conduit à une sorte de paranoïa à bouffées délirantes très semblable à celle des fondamentalistes américains du Tea-party, aux yeux de qui un Obama, à cause de ses timides préoccupations sociales, fait figure de « communiste » : de la même façon, pour nos commentateurs internautes, tous les journalistes par exemple sont d’abominables « gauchos » socialistes téléguidés par le PS et le PS lui-même est un repaire de « cocos » qui veulent brader l’héritage de Saint-Louis et de Jeanne d’Arc. En arriver à faire à nos Pujadas et à nos Hollande l’honneur de les tenir pour des suppôts de l’extrême gauche, voilà qui donne bien la mesure des divagations internautiques !

Pourquoi donc faut-il que le site de mon fournisseur d’accès soit devenu le rendez-vous préféré des pires imbéciles de la Toile ? Dois-je changer d’auberge ? Hélas, je sais que c’est inutile, c’est partout la même désolation : Internet a ouvert les vannes de la stupidité humaine en 3G ; ce n’est plus qu’un immense Bistrot de la Gare où l’on ne rit même plus et d’où les internautes sensés sont chassés par les incultes comme la bonne monnaie est chassée par la fausse. Le règne de la communication généralisée, c’est le triomphe de la sottise de masse. À cet égard le philosophe Alain avait raison de souligner que, dans la pensée en cercle, le niveau intellectuel ne tend pas spontanément à s’établir au plus haut, avec les meilleurs, mais toujours au plus bas, avec les plus obtus.

On a beau se dire qu’à l’origine de cette haine obsessionnelle de la gauche il y a très souvent une forme de souffrance sociale née précisément de la trahison par « la gauche de gouvernement » de sa mission historique, qui était de servir de rempart aux gens modestes contre la domination bourgeoise, on ne peut s’empêcher de repenser à tous ces précédents historiques, quand des foules de travailleurs réduits au chômage, à l’exclusion, à une vie indigne et sans horizon, saluaient bras tendu l’aube trompeuse d’un ordre qui se disait nouveau. Le monde capitaliste a toujours été générateur de vrais maux et de faux remèdes et ses vieilles recettes, remises au goût du jour, sont toujours efficaces : diviser le peuple, dresser les travailleurs les uns contre les autres, attiser le racisme, détourner la colère sociale sur des boucs émissaires, rendre les malheureux responsables du malheur des autres, culpabiliser les pauvres. Et ça marche toujours, grâce à l’imbécillité ambiante. Il suffit de lire les commentateurs d’Internet pour s’en convaincre et pour comprendre que si les premiers ennemis du peuple sont ceux qui vivent sous les lambris des salons bourgeois et des palais ministériels, il en est d’autres, non moins virulents, qui se trouvent dans le peuple lui-même et dont il n’y a aucune arrogance élitiste à dénoncer la malfaisance.

Alain Accardo

Chronique initialement parue dans le journal La Décroissance, du mois de février 2012.

http://blog.agone.org/post/2012/01/21/B%C3%AAtise-%C3%A0-haut-d%C3%A9bit

Messages

  • Certes, il y a au principe de ce genre de commentaires outranciers (pour rester poli) une énorme frustration qui trouve son achèvement sur Internet, mais il ne faudrait pas, non plus, oublier, que la droite et l’extrême-droite mènent une guerre idéologique totale pour imposer leur point de vue sur la société et que cela passe non seulement par la voix de leurs alliés (Institutions diverses, patrons, journalistes chiens de garde, partis de droites et affidés) mais que cela procède, aussi, de mobilisations politiques clairement identifiables.

    Des sites d’extrême-droite, tel que le triste "fdsetouche", l’horrible "Riposte Islamophobie cachée sous des déclarations vaguement laïques" ou les recoins de la blogosphère réactionnaire, sont la base arrière à partir de laquelle les fachos s’organisent pour prendre d’assaut les pages laissées libres par la bonne volonté démocratique (ou la volonté cynique de "faire du flux" et donc du commerce) des industriels de l’information sur Internet.

    En fait, il n’y a rien de spontané dans ce genre de commentaires. Ils sont le produit de mobilisations collectives structurées et organisées grâce aux nouvelles technologies, ils sont une partie de la bataille idéologique qui se mène à droite de la droite et qui a été théorisé sous le terme paradoxal "gramscisme technologique" (cherchez sur un moteur de recherche) par Jean Yves Le Gallou du FN.

    Dans ces conditions on peut se demander où est la gauche de gauche ?

    Pas de site de référence, pas de forces de frappe, jamais d’incitation a sortir du "ghetto intellectuel" de l’extrême-gauche du net. Et pourtant, nous avons de quoi faire et si nous décidions de relever le défis, nous pourrions ardemment mener la bataille puisque nous avons une supériorité sur les fascistes : nous sommes sur le terrain, implantés dans le peuple, nos informations n’ont rien de seconde main !

    Mille et un mouvements sociaux se développent, les luttes ouvrières s’intensifient, syndicats, associations, partis produisent au kilomètre des analyses, des documents et des vidéos informatives et/ou pédagogiques. Nous avons, entre les mains, du matériel idéologique indépendant qui ne demande qu’à circuler.

    Lénine, disait à propos d’Iskra qu’il devait être le réceptacle de toutes les luttes qui servaient a donner confiance au peuple, à lui donner la conscience qu’il constituait une classe en soi et pour soi. A nous, maintenant, de construire nos propres réseaux d’information, et de nous unifier pour produire cet intellectuel collectif qui manque à la gauche de la gauche.

    Aujourd’hui, face au vide politique laissé par la gauche critique, pullulent les explications spontanées de la domination qui égarent nombre de personnes sincères qui cherchent, notamment sur le net, des explications à la crise de civilisation que nous traversons. Certains se tournent vers les replis les plus glauques de la blogosphère, antisémites maquillés en anti-impérialistes d’opérette, historiens et géopoliticiens de l’histoire donnant dans les théories "conspirationnistes", docteurs diafoirus de l’économie politique prophétisant la fin d’un monde pour mieux faire avancer leurs solutions antidémocratiques, humanistes ou décroissant donnant dans les alternatives mystico-sectaires, fascistes faisant dans l’anticapitalisme romantique...bref, les raisons de se perdre sont multiples et les chausse-trappes sont légions....

    Mais le défis en vaut la peine...et c’est à nous, habitués des milieux militants et utilisateurs des nouvelles technologies de rentrer dans la bataille....

  • Ça commence par :

    ... il suffisait de s’accouder au zinc d’un bistrot de quartier à l’heure de l’apéritif et d’écouter les buveurs de blanc sec et de pastis débiter à visage découvert des inepties qui parfois faisaient rire....

    Ça finit par :

    ...si les premiers ennemis du peuple sont ceux qui vivent sous les lambris des salons bourgeois et des palais ministériels, il en est d’autres, non moins virulents, qui se trouvent dans le peuple lui-même et dont il n’y a aucune arrogance élitiste à dénoncer la malfaisance.

    L’auteur a trouvé tout seul ... ! ( ;-)

    Bistrot, blanc sec, pastis ... inepties ... il ne boit ni blanc sec, ni pastis !
    Mais la connerie se trouve aussi bien à la cafétéria de la Fac’, à la buvette du Sénat qu’au bistrot du quartier, non ?
    A moins que la culture (universitaire ) et le champagne soient dans tous les cas des vaccins contre la bêtise plus efficaces que le blanc sec . La preuve par Botul ?

    On peut être désespéré par la pub’ et l’avalanche de commentaires de bas-du-Front, mais, dans ce cas on évite la page d’accueil de son fournisseur d’accès et on élimine certains sites.
    Et puis, toute généralisation est excessive. Il y a aussi des commentaires pertinents, sur BC, par exemple ( ;-) .

    En arriver à faire à nos Pujadas et à nos Hollande l’honneur de les tenir pour des suppôts de l’extrême gauche

    Rassurons tout de suite M. Accardo : statistiquement, les commentaires en ce sens, sont assez rares ici !

    Internet a ouvert les vannes de la stupidité humaine

    C’est confondre une évolution technique avec l’utilisation qui en est faite.
    On pourrait en dire autant de l’invention de l’écriture, du papier.