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La preuve par Bolkestein

Publie le mardi 22 février 2005 par Open-Publishing

de Geneviève Azam, économiste, membre du Conseil Scientifique d’Attac

Le projet de directive Bolkestein, visant à libéraliser les services dans l’Union européenne, n’est pas un OVNI tombé hier sur la tête de J.Chirac et D. Strauss Kahn ! Il a été approuvé en janvier 2004 par P. Lamy, tout comme par M. Barnier. Il reste à l’ordre du jour de l’Union.

Cette directive est le patient résultat d’une construction idéologique et juridique qui trouve son accomplissement dans le projet de traité constitutionnel européen. Elle est le produit d’abandons successifs qui finissent par accoucher d’une monstruosité. Son histoire commence en février 1979 par une jurisprudence dite « Cassis de Dijon », permettant la circulation d’un produit, autorisé dans un État membre, dans tous les autres États membres, sans harmonisation des normes. Ceci a contribué à accélérer la mise en place du Marché « unique » à partir de l’Acte Unique européen de 1986. Toutefois, dix ans après, la libéralisation des services est jugée insuffisante pour l’Europe : une nouvelle étape est franchie par l’Union en 2000 avec la « Stratégie de Lisbonne » qui fait de cette libéralisation un de ses chevaux de bataille.

Dans le projet de constitution, le ton est donné par l’article 4 concernant les libertés fondamentales réduites à « la liberté de circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux » ? À quand une déclaration des droits de l’Homme et de la Marchandise ?

Les services occupent une place singulière dans cette « libre » circulation, car consommés dans le temps où ils sont produits (ils sont non stockables), ils supposent, pour une partie d’entre eux, la circulation des personnes qui les produisent. Par ailleurs l’emploi est aussi un service économique fourni par les agences privées de placement qui se développent avec le démantèlement des services publics de l’emploi. C’est pourquoi la Constitution traite ensemble la circulation des personnes et des services (section II du chapitre Marché Intérieur). Il est dit là que les travailleurs circulent librement sans discrimination en ce qui concerne « l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail » (III-133). En revanche, dans cet article et ceux qui suivent, rien n’est dit sur la discrimination liée à la protection sociale des travailleurs. Or la directive Bolkestein, en instituant le droit du pays d’origine, permet l’application de la protection sociale du pays d’origine. Absolument rien ne s’y oppose dans cette Constitution, qui au contraire affirme que l’harmonisation des systèmes sociaux se fera par le marché intérieur (III-209), « à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres » (III-210-2-a) et que les états membres s’efforcent de libéraliser les services « au-delà de la mesure qui est obligatoire » (III-148). C’est exactement le sens de la directive.

Par ailleurs, « les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation » (III-144). Ainsi une agence de placement pourra établir son siège social dans un pays à faible protection sociale et fournir des services de placement dans d’autres pays, en respectant théoriquement les réglementations du travail en temps et salaire (III-133), mais sans avoir à respecter les conditions de la protection sociale (III-209).

Et les services « publics » ? La constitution serait-elle un barrage pour la directive Bolkestein ? Rien dans le texte du projet n’est dit sur ces services en tant que tels, remplacés par les SIEG (Services d’intérêt économique général), qui doivent respecter la concurrence libre et non faussée (III-166), qui ne peuvent pas recevoir d’aides financières des Etats (III-167) sauf dérogation qui elle-même devrait respecter les règles de concurrence (III-167) ! Où est la protection ? Mais, rétorquent les libéraux de tout bord, l’article III-122 permettrait qu’une loi européenne fixe les principes et les conditions de fonctionnement des SIEG. Or rien ne l’empêchait jusqu’ici et il n’y a aucune obligation nouvelle. De surcroît, la loi européenne reste à l’initiative stricte de la Commission, qui dans son livre Blanc sur les services publics prend soin de dire que la directive concerne bien les SIEG (p.11). Quant aux services d’intérêt général, non économiques, ils ne sont définis nulle part et ne sont pas mentionnés dans la Constitution. Ou s’ils le sont indirectement, comme l’éducation, c’est avec l’encouragement explicite de l’apprentissage par Internet... qui représente un intérêt économique majeur.

Et pour ceux qui auraient encore quelques doutes : « En réalité le projet de traité constitutionnel, qui ne fait que rationaliser intelligemment le corpus juridique européen existant, consolide la base juridique qui fonde la directive Bolkestein » .

Ce document est un article à paraître dans le prochain numéro de Politis.