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Qui lit le projet de constitution y trouve Bolkestein...

Publie le samedi 26 février 2005 par Open-Publishing

De Jean-Jacques Chavigné, Gérard Filoche

Les projets de directive Bolkestein et de Constitution européenne n’ont-ils vraiment rien à voir ?

Dés mars 2004, le projet de directive Bolkestein proposée à l’unanimité par la commission européenne (inclus Michel Barnier et Pascal Lamy) avait été approuvé par tous les Chefs d’Etat et de gouvernement. Dés ce moment, tous les anti-libéraux ont essayé d’alerter sur les dangers de cette directive, ainsi que sur celle visant à allonger la durée du travail " opt out " : toutes deux, sous prétexte de faciliter la libre circulation des services et la liberté d’établissement, ont pour principale fonction de niveler vers le bas le droit du travail des pays de l’Union européenne et d’enlever aux institutions élues (municipalités, régions, parlements nationaux) la possibilité d’édicter des règles protectrices des usagers et des consommateurs.

Voilà qu’un an aprés, certains semblent se réveiller et rejeter ces directives : Chirac et Dsk. On en se voit se ruer pour signer des appels contre Bolkestein. Bravo ! Mais encore faudrait-il en exiger le " retrait ". Et ne pas seulement se contenter d’une diversion et de quelques aménagements. Comment expliquer que ces deux projets de directives arrivent au même moment que le projet de Constitution, tous approuvés par les mêmes Chefs d’Etat et de gouvernement dans les mêmes réunions ? N’y a t il pas de toute évidence un lien entre Bolkestein et la constitution Giscard ?

Les projets de directive et de Constitution ont été approuvés par le même Conseil des chefs d’Etat et de Gouvernement

Lors du sommet européen des 25 et 26 mars 2004, les chefs d’Etat et de gouvernement ont confirmé leur volonté de voir la directive Bolkestein aboutir dès 2005 et affirmé : " l’examen du projet de directive sur les services doit être une priorité absolue ".

Le 6 août 2004, ces mêmes Chefs d’Etat et de Gouvernement ont approuvé le projet de Constitution européenne. Le même arbre donnerait-il des fruits différents : des poires en mars et des pommes en août ? Un projet de directive libérale en mars et un projet de Constitution nous protégeant du libéralisme en août ?

Aucune garantie pour les services publics dans le projet de Constitution

Tout d’abord, le projet de Constitution n’utilise jamais le terme de " services publics ". Le terme " public " est banni du vocabulaire de l’Union européenne. Le projet de Constitution ne veut connaître que les Services d’Intérêt Economique Général (SIEG).

Le respect de l’accès aux SIEG n’apparaît que dans l’article II-36. Mais cet article ne crée aucun droit nouveau : le projet de Constitution se contente d’affirmer que l’Union " reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt général tels qu’il est prévu dans les législations et pratiques nationales ". Il n’implique en aucun cas la création de services d’intérêt général lorsqu’ils n’existent pas.

Ce n’est qu’à l’article III-122 que les SIEG trouve une base juridique.

Mais le contenu de cet article se contente de reprendre, sans changement significatif, ce qui était déjà inclus dans l’article 16 du Traité instituant la Communauté Européenne (TCE) : " ... l’Union et les Etats membres... veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d’accomplir leurs missions ". Rien de nouveau, donc, sous le soleil et aucune raison de se féliciter puisque cet article n’a pas apporté la moindre protection à la libéralisation des services publics des Etats-membres de l’Union : transport ferroviaire, transport aérien, services postaux, télécommunications, énergie...

Et, comme dans le Traité instituant la Communauté Européenne (TCE), cet article soumet les SIEG à deux autres articles qui en fixent aussitôt les limites étroites. Dans le projet de Constitution, il s’agit des articles III-166 et III-167 qui reprennent intégralement les articles 86 et 87 du TCE. Ces deux articles interdisent aux SIEG de bénéficier d’aides publiques qui " faussent ou qui menacent de fausser la concurrence " et les soumettent aux règles de la concurrence. C’est ces deux articles qui ont servi de point d’appui à l’offensive continue contre les services publics des Etats-membres depuis plus de dix ans.

Le projet de Constitution par son absence de définition des " services publics " et par la soumission à la concurrence qu’il impose aux SIEG ne présente, contrairement à ce qu’affirment les partisans du projet de Constitution, aucune garantie contre l’un des aspects les plus négatifs de la directive Bolkestein : son attaque en règle contre les services publics.

Pire, l’article III-48 encourage la libéralisation des services : " Les Etats-membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire... " !

Les articles 1-3 et 1-4 du projet de Constitution : première base juridique du projet de directive

Par contre, la directive Bolkestein trouve une sérieuse base juridique dans deux articles du projet de Constitution.

L’article 1-3 alinéa 2 affirme, tout d’abord que l’Union se fixe pour objectif " un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ".

L’article 1-4 considère comme " libertés fondamentales " : " La libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d’établissement...garanties par l’Union... "

C’est, en effet, au nom de cet objectif, de la libre circulation des services et de la liberté d’établissement que la directive Bolkestein va tenter de lever tous les obstacles qui entravent ces " libertés " : les services publics, les monopoles de Sécurité sociale, les droits du travail nationaux, la protection des usagers et des consommateurs.

Le Titre III de la IIème partie du projet de Constitution : deuxième base juridique du projet de directive L’article III-137 stipule : " les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat-membre sur le territoire d’un autre Etat membre sont interdites. "

Le projet de directive Bolkestein tire toutes les conséquences de cet article. Pour faciliter la circulation des services, il veut interdire tout obstacle administratif à l’établissement des prestataires de services. Un prestataire de services serait soumis uniquement à la loi de son pays d’origine et ne devrait donc plus se conformer à des règlements et des exigences administratives nationaux divergentes. On ne pourrait, ainsi, exiger d’une société prestataire de services qu’elle ait un siège social dans le pays où elle exerce, ni même une adresse ou un représentant, ni de se soumettre aux règles applicables au même service dans le pays (être inscrit dans un ordre, posséder un accès à la profession...)

L’article III-144 précise " les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des Etats-membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation ".

Impossible donc, comme le prévoit la directive Bolkestein, d’imposer aux officines pharmaceutiques venant d’un autre pays de l’Union des normes d’implantation en fonction de la population ou d’une distance géographique minimum entre prestataires, comme c’est aujourd’hui la règle en France. Impossible, aussi, d’imposer (en dehors de normes incontrôlables en matière de salaires minimum et de durée du travail) à des entreprises de construction polonaises ou baltes, le respect des conventions collectives ou tout simplement du droit du travail du pays destinataires. Impossible, également, d’imposer à une entreprise de construction slovaque ou lettone le respect des règles de sécurité pour les échafaudages ou les chantiers de désamiantage...

Pour couronner le tout, le prestataire de soins s’installant dans un pays tiers ne sera plus obligé de respecter le système de Sécurité sociale du pays hôte. Pour la directive Bolkestein, en effet, le respect des systèmes nationaux de Sécurité sociale serait contradictoire avec la libre circulation des services dans l’Union...Cette directive complèterait parfaitement la réforme Douste-Blazy pour remettre en cause toute politique de santé publique en France.

L’article III-145 donne une définition très large des " services " : " Aux fins de la Constitution, sont considérés comme services, les prestations fournies normalement contre rémunération ". Combinée à l’absence de définition des services publics et aux restrictions apportées aux SIEG au nom de la concurrence " libre et non faussée " dans le projet de Constitution, cette définition extrêmement large des services offre un solide point d’appui à l’entreprise de démolition des services publics orchestrée par la directive Bolkestein.

Car, en pratique, à part la police, la justice (pas les frais d’ avocats...) ou l’armée, aucun service public n’est gratuit : on paie l’inscription en fac, une partie de l’enseignement est privé et l’enseignement est donc payant, une partie des frais hospitaliers sont à la charge du patient... Tous ses services publics peuvent donc être, selon le projet de Constitution et la directive Bolkestein, considéré comme des " services " et mis en concurrence avec des " services " fournis par des sociétés privées d’un autre Etat de l’Union...

Un projet de directive conforme à la volonté du projet de Constitution d’interdire l’harmonisation des dispositions législatives des Etats-membres

C’est notamment le cas de l’article III-210 qui interdit tout harmonisation entre les droits du travail des Etats-membres de l’Union.

Il est regrettable que les partisans du projet de Constitution ne se soient pas aperçus que cet article était en parfaite contradiction avec " la démarche communautaire " (la fameuse méthode Delors) dont ils se réclament " qui vise à rapprocher et à harmoniser les dispositions des Etats membres ".

D’autant que l’article III-209 précise sans la moindre ambiguïté que c’est le " fonctionnement du marché qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux ". C’est très exactement l’objectif de la directive Bolkestin : favoriser l’harmonisation par le bas des systèmes sociaux en les mettant en concurrence directe les uns avec les autres.

En fait, ce projet de directive arrive au moment opportun pour les libéraux : au moment où entrent dans l’Union dix pays d’Europe centrale et orientale dont les droits du travail et de protection des consommateurs sont nettement inférieurs à ceux de l’Europe des quinze. C’est donc tout à fait sciemment que la directive Bolkestein prend appui sur l’article III-210 pour organiser le dumping social entre les dix et les quinze.

Poisson-pilote de son gouvernement, l’entrepreneur letton Laval anticipe l’adoption de la directive Bolkestein. Cet entrepreneur avait commencé la construction d’une école en Suède et refusé de signer les accords collectifs suédois au prétexte qu’il était déjà signataire des accords en vigueur en Lettonie qui est un pays membre de l’UE. Dagnija Stukena, porte-parole du ministère letton des Affaires étrangères condamne sans appel le boycott des syndicats suédois en s’appuyant sur le projet de Constitution : " L’action des syndicats suédois est en contradiction avec l’essence même de l’UE et la possibilité pour tous les citoyens de travailler librement dans l’UE " (Libération du 1er février 2005).

L’effet Dracula

Le vampire Dracula, prince des ténèbres, ne supportaient pas la lumière du jour qui le transformait en poussière. A la fin des années 1990, cet " effet Dracula " avait frappé le projet d’Accord Multilatéral sur les Investissements. Lorsque ce projet a été mis en pleine lumière par ceux que l’on n’appelait pas encore les altermondialistes, ses promoteurs avaient alors, prudemment, fait marche arrière. Mais ils n’ont pas renoncé, leur repli n’était que tactique : ils essaient, aujourd’hui, de refaire passer ce plat épicé dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce.

Il semblerait que le même phénomène commence à se produire avec la directive Bolkestein. Les mobilisations organisées par ATTAC et des syndicats avec la participation du Parti Socialiste en Belgique, la montée au créneau (même tardive) des dirigeants socialistes français, après celle d’ATTAC, du PCF et des syndicats ont contribué à mettre en lumière le contenu du projet de directive et semé la panique parmi ses promoteurs.

Le Parlement européen qui avait donné un avis favorable au projet de directive en février 2003 change son fusil d’épaule. Chirac qui l’avait approuvé, comme tous les chefs d’Etat, en mars 2004 fait mine de découvrir les menaces de dumping social que recèle ce projet de Directive.

Le président de la Commission européenne, Jean-Manuel Barroso finit par tirer de tout cela la conclusion que cette directive doit être " remise à plat ".

Ne pas baisser la garde

Le repli de Barroso et de Chirac est un succès mais ce n’est qu’un succès temporaire : leur repli n’est qu’un repli tactique dans l’attente de jours meilleurs. Le président de la Commission européenne a d’ailleurs aussitôt réaffirmé la nécessité de ne " pas perdre de vue (les) principaux objectifs " de cette directive. Il a aussitôt réaffirmé la pertinence du " principe du pays d’origine " qui est le principe fondamental du projet de directive puisqu’il permet aux prestataires de services de ne pas dépendre de la législation du pays destinataire mais de leur pays d’origine. " La Commission n’a aucune intention de retirer la directive sur la libéralisation des Services, dite "Bolkestein", mais est prête à travailler avec le Parlement européen et les Etats membres "pour trouver des solutions à des problèmes difficiles", a indiqué dès le 3 février la porte-parole de la Commission, Françoise Le Bail.

On peut donc compter sur Barroso pour ne pas perdre de vue les " principaux objectifs " des libéraux : pour eux, la libéralisation du marché des services (70 % du PIB de l’Union) est une priorité, maintes fois réaffirmée. Ce qui aujourd’hui les fait surtout reculer, c’est le referendum français sur le projet de Constitution européenne. Ils comprennent que le mécontentement social pourrait très bien s’emparer du referendum chiraquien et, sans se tromper le moins du monde de colère, bien au contraire, dire non à la fois au libéralisme en France et en Europe.

La mise en lumière de la directive Bolkestein et la mobilisation pour le retrait (et non pour la " remise à plat " !) de cette directive scélérate est donc plus que jamais nécessaire.

Mais, la directive Bolkestein n’est que la mise en application au domaine des services du projet de Constitution européenne : le moyen le plus sûr d’empêcher cette directive de voir le jour passe donc d’abord par le rejet de ce projet de Constitution lors du referendum.

Jean-Jacques Chavigné, Gérard Filoche
24 février 2005