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Hébergement d’urgence : on continue de violer la loi

par Philippe Alain

Publie le mardi 29 mai 2012 par Philippe Alain - Open-Publishing

Alors qu’à Paris, les ex-ministres de Sarkozy se moquent de la tenue vestimentaire de Cécile Duflot, à Lyon, le préfet sarkozyste se moque des décisions de Madame la Ministre du Logement.

Mardi 21 mai, Cécile Duflot annonce la prolongation des places d’urgence mises à disposition des sans-abri :
« La première décision que j’ai prise en liaison avec Marisol Touraine, la ministre des affaires sociales, c’est de suspendre la fin de la trêve hivernale, de repousser au 31 mai toute décision, et de faire en sorte, d’ici le 31 mai, qu’on puisse garder des places pour qu’on ne mette plus personne à la rue… » (1)
Elle précise :
« Aucun sans domicile fixe ne sera remis à la rue de façon brutale comme cela a été fait ces dernières années »

Enfin, se dit-on, voilà des mesures concrètes qui nous montrent que le changement, c’est vraiment maintenant.

Au cours des 5 dernières années, on nous a en effet habitués à voir la loi violée sans que cela ne choque plus personne. Surtout quand il s’agit des sans-abri.
L’article L 345-2-3 du code de l’action sociale et des familles, par exemple, qui dit en substance que toute personne accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence ne peut être remise à la rue sans qu’on lui propose une solution alternative. (2)
La préfecture du Rhône, elle, s’est consciencieusement appliquée pendant des années à violer cette loi. Elle a ainsi mis un point d’honneur à nous démontrer le cynisme d’une république à deux vitesses qui bafoue les droits des plus démunis dans la plus grande tradition du quinquennat Sarkozy inauguré au Fouquet’s et sur le yacht du milliardaire Bolloré.

C’est ce qu’on appelle la « gestion au thermomètre ». Il fait froid, on ouvre des centres pour les sans-abri, il fait plus chaud, on les remet à la rue.

Cécile Duflot, fidèle à ses valeurs et à celles de la gauche qui ont été choisies par 52% des français le 6 mai, décide donc de nous annoncer que l’Etat va enfin respecter la loi. On ne remettra plus à la rue les personnes qui sont accueillies dans des structures d’hébergement d’urgence. Mais c’est sans compter la volonté de résistance au changement de certains.

A Lyon, d’après les chiffres de la préfecture, plus de 650 places ont été ouvertes dans le cadre du plan froid. Certaines, d’ailleurs, dans des conditions rocambolesques, comme ce centre où on avait convoqué les journalistes, mais oublié de prévenir les sans-abri. Panique à bord, des consignes avaient été données pour réquisitionner tout ce qui ressemblait à un sans-abri afin de faire bonne figure devant les caméras. (3)

Fin mars, donc, comme toutes les années précédentes où on a pris l’habitude de violer la loi, la préfecture commence à fermer les centres, un par un, pour ne pas faire trop de vagues.
350 personnes trouvent néanmoins grâce aux yeux de monsieur le préfet et sont estampillées « prioritaires » en raison de la présence d’enfants de moins de 6 ans ou de problématiques de santé lourdes. _ A cette occasion, déjà, des familles jetées à la rue en toute illégalité saisissent le tribunal administratif et font condamner le préfet. (4)

Sur les 650 personnes hébergées dans le cadre du plan froid, on a donc 300 personnes qui ont disparu dans la nature et 350 qui sont dans des hôtels. Il faudra à l’occasion dénoncer la gabegie de ces mises à l’hôtel fort coûteuses pour le contribuable.

Mardi 22 mai, Cécile Duflot annonce la fin des remises à la rue et l’histoire aurait pu s’arrêter là.
Mais non. C’est méconnaître l’empathie légendaire du préfet du Rhône pour les sans-abri.
Le 22 mai, alors que tout le monde apparemment, sauf lui, à entendu les déclarations de la nouvelle ministre du logement, le préfet confirme à la Direction Départementale de la Cohésion Sociale (DDCS), l’ordre de jeter à la rue une nouvelle vague de sans-abri.
A Lyon, non seulement on continue de violer la loi, mais en plus on se moque complètement des déclarations de madame la ministre.

Prise sur le fait par des associations qui dénoncent la situation, la préfecture précise quelques jours plus tard : « 251 personnes sont hébergées à l’hôtel et elles y resteront jusqu’au 30 mai, conformément aux nouvelles consignes du Ministre du logement Cécile Duflot »

Tiens… En quelques jours, le nombre a diminué de 350 à 251 !!! Mais où sont donc passées les autres ?

On a retrouvé quelques personnes, samedi 26 mai, au tribunal administratif de Lyon.
Une maman qui élève seule ses 4 enfants suite au décès de son mari. Aidée par des associations elle attaque le préfet pour demander que l’Etat respecte ses droits et condamne le préfet pour l’avoir jetée à la rue avec ses enfants.

Sachant parfaitement qu’il viole la loi, le préfet n’envoie même plus d’avocat pour le défendre, cette fois, c’est le Directeur de la DDCS qui est allé au casse-pipe. La veille déjà, le préfet avait été condamné par le même tribunal administratif pour la même raison.
L’argumentaire du représentant de la préfecture aurait pu consister à faire un mea culpa : on viole la loi depuis des années, on n’a pas eu le temps de tenir compte des déclarations de madame la ministre, on est désolés, on remet cette famille à l’abri.
Et bien non. Pour se justifier, il souligne que la préfecture a déjà fait un effort « considérable » cet hiver.
Comme si ce qui avait été fait hier pour respecter la loi pouvait justifier qu’on la viole aujourd’hui.
D’autre part, et c’est là où on se rend compte à quel point tous les rouages de l’Etat sont gangrenés et ont appris à travailler en toute illégalité, le Directeur de la DDCS explique au juge que les personnes accueillies ont signé un contrat qui stipulait la fin de leur prise en charge et que par conséquent, elles avaient été averties suffisamment à l’avance de leur remise à la rue.
En gros, je viole la loi, je le sais, mais je préviens à l’avance les sans-abri, donc, ne me condamnez pas.

Comme un petit garçon qui aurait été pris les deux mains dans le pot de confiture, le Directeur de la DDCS implore le juge de ne pas le condamner sous astreinte comme le demande la partie adverse. « L’état exécutera le jugement » promet-il, anticipant la condamnation dont il est certain. Le juge lui explique sur un ton très pédagogique qu’il y a des lois qui s’imposent, qu’il n’a pas envie de voir l’affaire revenir devant lui pour un litige d’exécution et que par conséquent, il condamnera avec astreinte.
Quelques heures plus tard le jugement tombe : le préfet est hors la loi en remettant la famille à la rue. Par conséquent, le juge lui ordonne de la reloger dans les 4 jours, sous astreinte de 70 € par jour de retard.

Ces derniers temps, le tribunal administratif multiplie les condamnations à l’encontre du préfet du Rhône. Il lui ordonne de reloger les personnes qu’il vient de jeter dehors en invoquant notamment une atteinte grave à une liberté fondamentale, reprenant en cela une ordonnance du Conseil d’Etat (5) ainsi qu’une violation des articles L 345-2-2 et L 345-2-3 du code de l’action sociale et des familles.

Malgré cela, le préfet du Rhône continue de bafouer les droits des sans-abri. Il fait probablement le pari que ça lui coutera moins cher de se faire condamner par les quelques familles qui osent l’assigner au tribunal plutôt que de mettre les sans abri à l’abri. Pour économiser, il n’envoie même plus d’avocat le représenter.
Il serait souhaitable que le préfet comprenne que Sarkozy, c’est fini. Que les sans abri, comme les autres citoyens ont des droits qui sont inscrits dans la loi. Qu’un préfet qui ne respecte pas la loi n’est pas digne d’être préfet, comme il l’a lui même déclaré. (6)

En ce moment à Lyon, chaque soir, entre 200 et 300 personnes se voient refuser un hébergement d’urgence alors que la loi exige qu’on leur en fournisse un et que le Conseil d’Etat dit très clairement que le refus d’un hébergement d’urgence constitue une atteinte à une liberté fondamentale.

A Lyon, la très conservatrice, tout continue comme avant.
Les droits des plus démunis sont bafoués tous les jours.
Des hommes, des femmes, des enfants sont abandonnés ou rejetés à la rue par l’Etat et exposés aux dangers de celle-ci.
Le changement, c’est pour quand ?

(1) http://www.20minutes.fr/societe/logement/938343-cecile-duflot-annonce-report-fin-treve-hivernale

(2) Article L345-2-3, créé par LOI n°2009-323 du 25 mars 2009 - art. 73
« Toute personne accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir y bénéficier d’un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d’hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation. »
Article L345-2-2
« Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence. »

(3) http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-alain/060112/des-sdf-trouvez-moi-des-sdf

(4) http://115juridique.org/pdf/Ord-TA-Lyon-25-04-2012.pdf

(5) http://www.conseil-etat.fr/fr/communiques-de-presse/hebergement-d-urgence.html

(6) http://www.lyonplus.com/fr/permalien/article/6152940/Un-prefet-qui-ne-respecterait-pas-la-loi-ne-serait-pas-digne-d-etre-prefet.html