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Qui sont les nantis ?

Publie le mardi 8 mars 2005 par Open-Publishing

TRIBUNE LIBRE
Ces faux nantis qu’on ne cesse d’anéantir
Par Jean-Marc Durand, fonctionnaire, membre du Conseil national du PCF.

Le samedi 5 mars, à l’appel du Collectif creusois pour la défense et le développement des services publics, s’est déroulée à Guéret une initiative d’envergure nationale (1). Sorte de tribune, cette journée d’action et d’information aura permis de mettre en débat, avec une représentation de l’ensemble des citoyens et personnels concernés, la problématique du devenir des services publics en milieu rural. Plus largement, elle aura apporté un réel encouragement aux salariés des services, entreprises et fonctions publics qui ont, par leurs luttes, régulièrement irrigué la scène sociale au cours des vingt dernières années.

La défense d’une conception progressiste du fonctionnement de l’ensemble de la sphère publique est en effet au coeur d’un affrontement de classes dont l’issue modèlera pour longtemps l’organisation administrative de notre pays, son mode de développement et le fonctionnement de ses institutions. OEuvrer à une véritable régénération démocratique des services publics suppose nécessairement, à partir d’une analyse lucide des causes de l’état de dégradation actuelle, de formuler des propositions alternatives donnant à ces services la capacité de répondre aux enjeux d’efficacité sociale de notre temps.

Un peu d’histoire. La fonction publique de l’État trouve son origine dans le processus même qui a conduit à la construction de notre pays. Elle porte en effet la marque originale de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

La conception du service public s’est développée aux XIXe et XXe siècles, répondant à la fois à des préoccupations sociales et aux besoins du capital pour assurer son expansion.

C’est à partir de 1945 que le service public a connu un réel essor. Et c’est la conception d’un développement sous contrôle de la nation qui a prévalu. Ce fut alors l’arrivée de réformes démocratiques comme le statut général des fonctionnaires, la Sécurité sociale, et la mise en chantier de grands services publics comme ceux de l’éducation, des transports (SNCF, Air France), de la santé, de la recherche... Incontestablement, ces mesures ont été un facteur de progrès économique et social.

Au cours de toute la seconde moitié du XXe siècle, les services publics ont joué un rôle essentiel dans la satisfaction des besoins de nos concitoyens. Péréquation tarifaire et maillage du territoire ont permis d’assurer une égalité d’accès, et cela malgré les remises en causes successives. Une des raisons importantes avancées par les investisseurs étrangers pour s’implanter en France n’est-elle pas encore aujourd’hui la qualité de ses services publics ?

Une longue et persévérante campagne idéologique. Ils sont des nantis. Ils sont mieux rémunérés que dans le privé, ils ont la sécurité de l’emploi, ils sont payés les jours de grève (2), ils perçoivent une meilleure retraite, ils sont lents et mous, ils affichent un mépris du public. Depuis plus de vingt ans, une campagne soigneusement orchestrée par la quasi-totalité des médias tente d’accréditer l’idée que les fonctionnaires sont d’affreux privilégiés.

Dès 1982, François de Closets lançait les hostilités avec son livre Toujours plus stigmatisant systématiquement tout ce qui pouvait relever d’une action de l’État et des agents publics pour louer l’entreprise capitaliste. Dans un passage d’anthologie, on peut ainsi lire : « Nous pouvons nous passer de journalistes, de médecins, de professeurs, de fonctionnaires, de cadres et d’ingénieurs, pas de créateurs d’entreprises. Aussi longtemps que la France misera sur l’économie de marché, elle devra tout faire pour favoriser les candidats à la fortune capitaliste. »

Par la suite, d’autres campagnes ont été menées. Du mythe du gagneur, porté par Tapie, au discours culpabilisant sur le coût des services et fonctions publics, jusqu’au credo de la « performance », chaque étape de ce discours a correspondu à des phases de déstructuration des services publics (France Télécom, La Poste, l’hôpital, les administrations financières, l’armement, EDF et GDF, l’aéronaval, etc.). Malheureusement les gouvernements successifs de la France ont tous, peu ou prou, suivi cette logique. La campagne pour « la modernisation de la fonction publique » lancée par M. Rocard en 1989 aura été un de ses temps forts.

Tout en ressemblant à la critique de la bourgeoisie courtelinesque du XIXe siècle, le discours actuel s’en distingue par des propos qui ne laissent guère de place à la plaisanterie, n’hésitant pas à afficher des objectifs clairs de destruction. Cette tendance est aggravée par le fait que ce sont des hauts fonctionnaires, des grands patrons, des journalistes, bref des personnages « sérieux » qui gouvernent le propos. Est menée au ser-vice d’une politique orientée, une propagande des plus agressives marquée par le mensonge, la pratique des amalgames simplistes et l’interprétation tendancieuse d’éléments statistiques.

Une telle entreprise vise à faire des fonctionnaires et agents publics des boucs émissaires au service des visées du capitalisme ultralibéral et de ses objectifs de réductions des budgets publics, de privatisations, de précarisation de l’emploi, de remise en cause des retraites. Le but est de faire fonctionner au coût le plus bas, donc dans les plus mauvaises conditions, le service public pour en préparer la privatisation.

Les chiffres sont de ce point de vue parlant. Alors qu’on assistait à une désertification du milieu rural, alors que des missions publiques étaient rognées ou supprimées, en vingt ans de 1980 à 2000 la part des dépenses induites par la fonction publique d’État est passée de 10,5 % à 8,5 % du PIB (3). Soit une baisse de son coût de 20 %. Cette tendance n’a fait que se confirmer au cours des années suivantes, prenant la forme d’une quasi-asphyxie avec l’arrivée de la droite. Si les réductions ont touché les moyens matériels, elles se sont surtout traduites par des suppressions d’emplois. Le discours sur la pléthore des effectifs publics a tellement été ressassé que la situation sur le terrain est devenue ingérable. Tous les secteurs sont frappés par le sous-effectif (justice, police, finances, santé, éducation, transport, préventions des risques technologiques, inspection du travail, caisses de Sécurité sociale et d’allocations familiales).

Même si aujourd’hui de nouvelles voix semblent s’élever pour dénoncer une telle évolution, il ne faudrait pas croire que cette politique sera aussi simplement mise sur la voie de garage. Des ultra-libéraux aux sociaux-libéraux, les bons élèves de la contrainte des marchés financiers, toujours prêts à envisager des suppressions d’emplois publics, sont nombreux. Leurs différences ne reposent au fond que sur une question de calendrier. Tous misent en tout cas sur l’accélération des départs à la retraite pour poursuivre le dégraissage et s’en prendre dans la foulée aux droits et garanties des fonctionnaires, invariablement présentés comme des privilégiés. Si les fonctionnaires sont les premiers touchés par cette entreprise, c’est aussi l’ensemble des salariés qui sont visés.

Loi du marché et services publics : une profonde incompatibilité. Une raison de plus pour dire non à la constitution européenne !

Que ce soit au sein de l’OMS avec le projet d’AGCS (4) ou dans le cadre de l’Union européenne qu’organisent les traités de Maastricht, de Barcelone ou de Nice, c’est le dogme de la mondialisation financière et la notion de rentabilité immédiate qui prévalent. Ces objectifs ne peuvent être qu’en contradiction profonde avec le développement de services publics assurant l’égalité de traitement des citoyens et la mise en oeuvre d’une solidarité active et efficace. Cette dernière suppose en effet une action résolue sur le long terme, donc une utilisation de l’argent qui implique un processus d’investissements à long terme avec des seuils de rentabilité pas forcément très élevés.

Le projet de traité constitutionnel qui sera soumis à référendum a pour objectif principal de pérenniser la logique financière et d’en faire la règle de fonctionnement de tous les États de l’Union. Le corset libéral dans lequel on veut enserrer les peuples serait d’autant plus insupportable qu’il n’y aurait plus de possibilité de changer de politique. Ce serait la régression sociale généralisée, avec en première ligne la mort des services et fonctions publics.

Le référendum offre la possibilité d’opposer une fin de non-recevoir à une telle perspective. Mais si le vote « non » est la forme qui permettra de matérialiser ce refus, il doit être largement étayé de propositions, notamment à propos des services et fonctions publics. Sans entrer pour l’heure dans un trop grand détail, ces propositions doivent porter à mon sens sur la définition d’un cadre global d’exercice de la solidarité nationale à partir du critère d’efficacité sociale ; une évaluation sérieuse et objective des besoins des populations ; le statut et la rémunération des personnels. Car outre ses objectifs sociaux, un des points forts qui permet d’identifier le service public est le mode de gestion de ses personnels.

Par le type de réponses apporté à ces trois questions est en jeu un véritable choix de société.

(1) À l’appel de : ATTAC 23, Association de défense des services publics de Saint-Vaury,Comité pour le maintien de la gare de Saint-Sébastien, FCPE, LDH Limousin, UNPRA, CFDT, CGT, Confédération paysanne, FSU, G 10 solidaires, UNSA éducation, LCR, les Verts, PRS, PCF, PS.

(2) Se rappeler les propos du ministre de la Fonction publique avant la grève du 20 janvier dernier.

(3) En fait les fonctionnaires coûtent à la nation, proportionnellement
à sa richesse, 20 % moins cher en 2000 qu’en 1980.

(4) OMC : Organisation mondiale
du commerce.
AGCS : Accord général sur le commerce des services.