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Les troubles psychologiques sont-ils assez rentables ?

par Pertus04

Publie le mercredi 11 juillet 2012 par Pertus04 - Open-Publishing

Avec 400 millions de personnes atteintes (dont 38% en Europe), les maladies du cerveau représentent un enjeu sociétal et humain majeur. Mais pour certains laboratoires, à l’instar d’AstraZeneca (dernier exemple en date !), le marché n’est pas encore assez lucratif. Il en résulte des coupes sombres dans leurs budgets de R&D, malgré qu’ils affichent une santé financière insolente. Les lois de la finance seraient-ils en train de phagocyter l’industrie pharmaceutique, dont le coeur de métier est de soigner ?

Désormais, on peut légitimement s’interroger. Les laboratoires pharmaceutiques recrutent-ils davantage de chercheurs que de juristes et de financiers ? Y parle-t-on davantage, dans les conseils d’administration, d’avancées médicales que de la meilleure manière de jongler avec un portefeuille de brevets sous forme de rente ? Ils sont quelques-uns à avoir lancé la "mode" : Pfizer, GSK, Novartis se sont retirés de la recherche dédiée aux maladies du cerveau ou ont considérablement diminué leur participation dans le domaine des neurosciences. Avec plus de 16 000 emplois supprimés depuis 2007, et 7300 en moins prévus dans les deux ans à venir, le laboratoire anglo-suédois AstraZeneca remporte la palme du plus fort désengagement, provoquant une vague de mécontentement et de consternation dans la communauté médicale et dans les familles des patients. Les maladies neuropsychiatriques ne seraient-elles pas assez profitables pour un géant comme AztraZeneca (qui a, accessoirement, dégagé 10 milliards de dollars de profit en 2011) ?

Pour l’OMS, les chiffres font plus que parler, ils sonnent l’alerte : 130 millions de personnes dans le monde touchées par la dépression, 40 à 50 par l’épilepsie, 24 millions par Alzheimer, 10 millions de tentatives de suicides (souvent liées aux troubles neuropsychiatriques)... Toujours selon l’OMS, près de 50% des malades ne seraient pas suivis correctement. Financièrement parlant, rien qu’en Europe, la prise en charge de ces troubles représente 1 550 euros par an et par habitant, soit deux fois plus qu’il y a 8 ans, selon une étude menée par l’EBC -European Brain Council. Ce sont donc des millions d’espoirs et des millions de vies qui sont placées dans la recherche médicale. En ce qui concerne les enjeux, l’ECNP (European College of Neuropsychopharmacology) est - tristement - formel : "c’est un des enjeux du 21e siècle", déclare son président, Joseph Zohar. Les risques d’augmentation des pathologies neuropsychiatriques est annoncé important sur les 20 prochaines années. Certaines de ces maladies sont étroitement liées au stress ou au vieillissement. Rappelons que la population du continent européen ne cesse de vieillir, creusant ainsi les risques de maladies comme la démence et Alzheimer (chez une personne âgée de 80 ans, le risque de développer Alzheimer est de 30%, contre 1,5% chez une personne de 65 ans).

D’une manière concrète, le retrait de laboratoires de l’envergure d’AstraZeneca va affecter l’accès à des médicaments de qualité sur le marché européen. Plus il y a de laboratoires dans la course, plus il y a de chances que de nouveaux traitements soient découverts. Les neurosciences doivent faire face à une crise mondiale. Face à une réalité criante de chiffres, ces laboratoires cèdent à la pression qui régit l’économie mondiale. Le marché de la santé devient un terrain de transactions et d’intérêts financiers, quel que soit le prix final à payer par les patients. Or AstraZeneca et ses homologues précités n’hésitent plus à tacler directement le marché en le désertant, laissant la place vide face à l’arrivée des médicaments génériques et le marché soumis à la loi du moins cher.

On connaissait déjà les conséquences humainement désastreuses de la politique menée par des centaines d’entreprises à travers le monde, à coups de plans sociaux, de licenciements économiques et de coupes dans les budgets de la R&D. Mais aujourd’hui, AstraZeneca inaugure un genre nouveau en grandes pompes : la loi comptable.

On reproche au système capitaliste ses massifications, ses jeux de fusions et d’acquisitions souvent faites au détriment des employés, ses prises de risques financières et les suppressions de postes, même quand le chiffre d’affaire compte plusieurs zéros à son actif. Avec 10 milliards de profits, AstraZeneca ne fait pas partie des plus mal logés dans l’industrie pharmaceutique. Mais le laboratoire se sent obligé d’obéir prioritairement aux enjeux économiques, au détriment des enjeux de santé : productivité, rentabilité, concurrence. Les suppressions de postes, les coupes budgétaires, si communes dans le paysage actuel, sont ici - c’est en tout cas un argument invoqué ! - dues à la concurrence directe des médicaments génériques. C’est donc la perte de brevet de l’antipsychotique phare d’AstraZeneca, qui motive le laboratoire à déserter la recherche dans le domaine des maladies du cerveau, ajouté à la pression des investisseurs pour une rentabilité plus rapide et plus certaine.

Si ces pratiques sont courantes, et déjà vivement critiquables, dans d’autres domaines économiques, ils revêtent une toute autre symbolique dans la recherche médicale. L’ECNP est formel sur les problèmes qu’engendrent de telles décisions : augmentation des risques d’échec des formules, dé-crédibilisation générale des neurosciences et de la recherche neuropsychologique dans la sphère médicale, etc. La logique que sous-tend cette décision économique revient à mettre un prix sur la maladie. Combien vaut un patient ? Telle ou telle maladie est-elle assez lucrative pour y consacrer des moyens ? Quand il faudrait dynamiser la recherche, réviser les procédés, accroître les investissements, mieux informer les malades et rechercher des fonds, AstraZeneca se retire en douce et externalise sa R&D comme n’importe quelle entreprise soumise aux règles du marché. Tout devient propre au commerce et au marchandage, les ouvriers, les employés, les capitaux, la recherche, et même la maladie qui ne semble pas représenter un marché assez juteux pour susciter le digne intérêt d’un de ses acteurs phares. En annonçant ses prochaines mesures économiques, AstraZeneca prend un virage dangereux et se replie dans une inertie lourde de sens : celle qui consiste à faire plonger la dynamique de progrès médical au détriment de la population.