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L’Admission « intempestive » du Venezuela au Mercosur

par Raúl Zibechi *

Publie le samedi 14 juillet 2012 par Raúl Zibechi * - Open-Publishing
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Quand Dilma Rousseff s’est approchée de José Mujica et de Cristina Fernández en disant : « J’ai quelque chose de politique à discuter avec vous », elle était sur le point de transmettre un message qui changerait le déroulement du sommet du Mercosur. En privé, la présidente a exigé de l’Uruguay son appui à l’entrée du Venezuela au Mercosur qu’il se refusait à accepter depuis le jour précédent pour une question de formes.

Avant de se rendre à Mendoza, Dilma a eu une entrevue à Sao Paulo avec l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva qui a « exigé » que Dilma « mette tout le poids politique du Brésil à la réunion qui allait démarrer quelques heures après à Mendoza » pour obtenir l’entrée du Venezuela au Mercosur (Noticias Clic, 3 juillet 2012).

Lula s’est révélé être un stratège remarquable et géopolitique. Par la main de Celso Amorim, proclamé comme le « meilleur ministre des affaires étrangères du monde » par la revue Foreign Policy en 2009, le Brésil a réussi à détourner le sommet de l’OMC à Cancún, en 2003, en créant le Groupe 20–plus, dirigé par le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud, empêchant la libéralisation du marché agricole global préjudicable au sud. En mai 2010, la diplomatie brésilienne a obtenu la signature d’un accord entre l’Iran, le Brésil et la Turquie pour l’échange de combustible nucléaire, élaboré pour apaiser l’escalade de guerre des États-Unis et Israël contre l’Iran.

Dans la région, le Brésil de Lula fut un des artisans de la fin de l’ALCA, enterré au sommet de Mar del Plata en novembre 2005 et des démarches de l’UNASUR pour freiner le « coup civique » que la droite bolivienne tramait en septembre 2008 contre Evo Morales. L’alliance militaire avec la France est l’un des principaux legs des gouvernements Lula du point de vue géopolitique, puisqu’elle lui permet de construire des sous-marins conventionnels et nucléaires pour défendre son pétrole et pour favoriser l’unique complexe militaire - industriel latinoaméricain.

Lula fut l’architecte de l’UNASUR et de la CELAC qui pour la première fois dans l’histoire de l’Amérique Latine intègrent tous les pays sans la tutelle des États-Unis et du Canada en réaffirmant une volonté opposée à la doctrine Monroe, dont la maxime pourrait être « l’Amérique Latine pour les Latinoaméricains ». La création du Conseil Sudaméricain de la Défense qui inclut les douze forces armées de la région, coordonne la construction d’armement entre plusieurs pays, ce qui à moyen terme permettra de construire une autonomie militaire.

Construire un monde multipolaire dans lequel le Mercosur et l’Unasur peuvent jouer le rôle qui leur correspond, c’est un chemin qui ne peut pas être parcouru sans discuter avec les grandes puissances, notamment avec les États-Unis. Dans ce chemin, le Brésil joue par moments comme une grande puissance, parfois avec des traits impérialistes, mais dans les faits il a montré sa capacité de s’asseoir discuter d’égal à égal y compris avec des voisins au PIB cinquante à cent fois plus petit. Malgré les asymétries évidentes, il y a une marge de négociation que les pays de la région n’ont jamais eue avec les puissances du Nord.

Il est certain que la décision prise à Mendoza pour l’admission à part entière du Venezuela a été peu discutée, bien que les parlements des trois pays l’eussent déjà approuvée. Cependant, dans une période de changements aigus comme en ce moment, où se toruvent reconfigurés les pouvoirs globaux, régionaux et locaux, les formes pèsent moins que les contenus. Ce qui est en jeu c’est que le chemin connu par l’Honduras en 2009 ne devienne pas « la méthode usuelle » pour empêcher que les pays et les peuples choisissent leur direction.

Dans cette période les coups d’État et les guerres sont et seront monnaie courante. Si le Brésil s’est engagé à fond contre le coup au Honduras, dont on a su les mois passant qu’il avait germé avec l’appui de Washington, pouvait-il s’agir de quelque chose distinct dans le cas du Paraguay, un pays clef pour la stabilité énergétique et militaire du Brésil et du Cône Sud ? L’entrée du Venezuela au sein du Mercosur est un signe en direction de la Maison Blanche du fait que la région ne veut pas continuer d’être son arrière cour.

Raúl Zibechi, journaliste uruguayen, est enseignant et chercheur à la Multiversidad Franciscana d’Amérique Latine, et conseiller de plusieurs organismes sociaux.

Alai-Amlatina. Équateur, le 13 juillet 2012

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi.

http://www.elcorreo.eu.org/L-Admission-intempestive-du-Venezuela-au-Mercosur

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