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Alain Trautmann : "La recherche n’est pas sauvée"

Publie le mercredi 9 mars 2005 par Open-Publishing

Alain Trautmann, porte-parole du mouvement des chercheurs, estime que l’emploi doit être au cœur de la loi d’orientation en préparation.

Le 7 janvier 2004 , 156 directeurs de laboratoire lançaient un appel à "sauver la recherche" qui allait être le détonateur d’une mobilisation sans précédent de la communauté scientifique. Un an après, Alain Trautmann, porte-parole du collectif "Sauvons la recherche !", revient sur les acquis de ce mouvement et analyse les conditions dans lesquelles le gouvernement prépare la loi d’orientation et de programmation de la recherche.

La recherche française est-elle aujourd’hui sauvée ?

Non. La recherche n’est pas sauvée. Il y a un an, les choix budgétaires et politiques la conduisaient à sa perte. Il y avait une colère mêlée de désespoir dans la menace brandie par les directeurs d’équipes et d’unités de démissionner de leurs responsabilités, si on ne les écoutait pas. Le gouvernement a dû les écouter. La situation de la recherche est moins grave, mais elle reste préoccupante.

Quelles leçons tirez-vous de cette année de lutte ? Quels en sont les acquis ? Les échecs ?

Le mouvement des chercheurs a permis non seulement de stopper une évolution catastrophique pour la recherche, mais aussi de redonner une fierté à ses personnels, de modifier l’image des chercheurs dans l’opinion, d’obtenir de premiers résultats sans violence ni chantage, sur un mode de "démocratie imaginative". Dans cette histoire encore inachevée, il y a eu des insuffisances, mais, jusqu’ici, pas d’échec patent.

En octobre 2004, à Grenoble, des états généraux ont adopté des propositions de réforme de la recherche. Le gouvernement vous semble-t-il décidé à les prendre en compte, dans la future loi d’orientation et de programmation de la recherche (LOPR) ?

Certains signes sont de bien mauvais augure. Pourtant, je suis convaincu que les ministres de l’éducation et de la recherche, François Fillon et François d’Aubert, souhaitent que la loi sur la recherche qu’ils préparent soit réussie. Ils savent qu’elle ne peut l’être qu’en prenant en compte les recommandations des états généraux.

Celles d’entre elles qui ne coûtent rien ou qui sont peu onéreuses (création d’un Haut Conseil de la science, simplification des règles de gestion des organismes publics) seront sûrement mises en place. Mais la question de l’emploi sera cruciale. Or, si la nécessité d’alléger les charges d’enseignement, pour permettre aux enseignants-chercheurs - notamment aux plus jeunes - d’avoir du temps pour leur recherche, semble être reconnue, les ministères rechignent à en tirer la conséquence : l’obligation de procéder à des recrutements importants pour la recherche dans les universités.

Sur ce point, nous serons intraitables. Il faudra, à ceux qui préparent la loi, la lucidité, l’énergie et le courage politique nécessaires pour imposer les choix indispensables à l’avenir du pays à ceux qui, dans la majorité, restent accrochés de façon pathétique au dogme selon lequel la France fonctionne mieux lorsque les services publics sont dégraissés.

Le gouvernement s’apprête à mettre en place une agence nationale de la recherche (ANR) qui attribuera des financements sur projet. Etes-vous d’accord avec ce principe ?

La recherche a besoin que coexistent deux formes de financement : pour l’essentiel, un financement de base permettant aux équipes bien évaluées de poursuivre leur travail dans la durée ; et pour les nouveaux projets, un financement complémentaire. Nous sommes donc favorables à la création d’une agence qui devra veiller à ne pas financer exclusivement les thèmes à la mode, en délaissant des secteurs apparemment peu porteurs mais qui pourraient se révéler cruciaux par la suite.

Toutefois, la hâte avec laquelle l’ANR est mise en place, sans que les modalités de décision et d’évaluation aient été discutées, relève de l’improvisation et de la politique spectacle. Cela ne permettra pas d’optimiser le financement de la recherche, ni d’éviter la coexistence de gaspillages et de pénurie.

Le gouvernement a par ailleurs lancé des appels d’offres en vue de la constitution de "pôles de compétitivité". Approuvez-vous cette démarche ?

On peut regretter, là encore, une précipitation à prendre des décisions spectaculaires et peu élaborées. Pour notre part, nous préconisons la création de pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES). Ces pôles, multidisciplinaires - ce qui n’empêche pas que des spécialités y soient renforcées -, visent à optimiser le fonctionnement de la recherche et l’offre d’enseignement dans les universités, tout en attirant à proximité des entreprises dépendantes de la recherche. Ils s’inscrivent donc dans une logique d’aménagement du territoire.

Les pôles de compétitivité souhaités par le gouvernement, centrés sur une spécialité, participent d’une logique absolument inverse : on tente d’attirer par des mesures fiscales des entreprises d’un secteur donné, on choisit des logos, labels et autres outils de communication, puis on cherche quels laboratoires pourraient y participer. On donne dans le spectaculaire, sans se préoccuper de l’enseignement supérieur, de son lien avec la recherche et du long terme. On veut des résultats tout de suite et on y met beaucoup d’argent : 750 millions d’euros sur trois ans, avec un premier appel d’offres qui doit être clos en février 2005. Encore un gaspillage prévisible !

Les présidents d’université réclament "une réforme de fond"qui mette les universités à égalité avec les grands organismes pour la gestion de la recherche. Cela passe, à leurs yeux, par un statut unique des chercheurs et des enseignants-chercheurs. Y êtes-vous favorable ?

Au cours des états généraux, un consensus a émergé pour définir un ensemble de moyens permettant de développer la recherche dans les universités. Parmi ces moyens, un allégement de la charge d’enseignement des enseignants-chercheurs actifs en recherche - avec, j’insiste, les recrutements que cela implique -, un rapprochement des statuts de chercheurs et d’enseignants-chercheurs, une évaluation régulière des activités des enseignants-chercheurs, la mise en place des PRES et d’une gouvernance améliorée des universités... A toutes ces conditions, on pourra, à terme, se rapprocher d’un statut unique. Mais, en l’état actuel, ce statut unique ne peut être à l’ordre du jour. Prétendre le contraire, comme le font quelques responsables universitaires, c’est faire preuve de légèreté.

Les chercheurs sont-ils prêts à descendre à nouveau dans la rue s’ils n’obtiennent pas satisfaction ? Comment allez-vous continuer votre combat ?

Nous avons travaillé à l’élaboration de propositions pour refonder le système de recherche et d’enseignement supérieur en France. Nous y avons passé un temps considérable, nous y avons mis beaucoup d’énergie et de réflexion. Nous savons que la recherche française peut être sauvée si nos propositions sont prises en compte. Comment pourrions-nous accepter que ces propositions soient ignorées ? Que la dramatique désaffection des jeunes pour la recherche continue ?

Nous n’abandonnerons pas cet ouvrage maintenant bien avancé. L’heure est aujourd’hui aux négociations. Le gouvernement sait que nous sommes déterminés, que le réseau Sauvons la recherche ! est bien organisé sur tout le territoire et que nous avons de l’imagination. Souhaitons que ce réseau serve à rapprocher les scientifiques et leurs concitoyens, en mettant en avant l’information et la démocratie ! Si l’on nous y force, il servira à la lutte, comme il y a déjà servi efficacement.

Propos recueillis par Pierre Le Hir

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