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CQFD : La directive Bolkestein revient par la mer

Publie le vendredi 18 mars 2005 par Open-Publishing

(article publié dans CQFD n°21, en kiosque depuis le 15 mars)

La directive Bolkestein revient par la mer

Tout en jurant ses grands dieux que le dumping social ne passera pas par elle, l’Europe prépare une variante de la directive Bolkestein appliquée aux industries portuaires. Selon ce texte confidentiel, le docker havrais devra se mettre au diapason des normes maltaises ou chypriotes. Bonne dégringolade !

De l’UMP au PS, de l’UDF aux Verts, tous ensemble, tous ensemble contre le dumping social ! À trois mois du référendum chiraquien sur la Constitution européenne, visant à graver dans le marbre les sacro-saints commandements de la libre concurrence, les « oui-ouistes » se mobilisent fiévreusement pour réparer la boulette Bolkestein. La directive de l’ex-commissaire européen au marché intérieur prévoyait d’« harmoniser » au ras du sol les pratiques des industriels du service en prônant le principe dit du « pays d’origine » : un
patron tchèque ou chypriote pourrait croître et prospérer dans le pays de son choix selon les normes sociales en vigueur dans son pays d’origine.

Adoptée à l’unanimité des États membres, cette prime au rachitisme n’avait
qu’un seul défaut : elle tombait pile au moment où il s’agissait de
convaincre l’opinion que « l’Europe sociale » (rires) sortirait gonflée à
bloc du traité constitutionnel de Giscard. Devant la désastreuse
contre-publicité de la directive Bolkestein, on se hâta de remiser la copie
en jurant que tout ça, pouf-pouf, n’était qu’un malheureux malentendu.

Mais les ch¦urs de la Constitution ont beau entonner du matin au soir la
chanson du socialement correct (merci, France Inter !), c’est une partition
toute autre qui se joue dans les coulisses de Bruxelles. Ainsi de la
directive « concernant l’accès aux marchés des services portuaires ».

Confidentiel à ce jour, ce texte entend appliquer aux ouvriers travaillant
dans les ports ­ remorquage, amarrage, désamarrage, manutention ­ les mêmes
« harmonies » que celles qui ont inspiré Bolkestein : notamment, le fameux
principe du pays d’origine.

C’est la commission maritime d’Attac, regroupant une poignée de marins
réfractaires, qui a déniché cette nouvelle perle. Initiée en 1996, proposée
en février 2001, amendée en février 2002 et repartie pour un tour en
novembre 2003, la directive sur le charcutage social des industries
portuaires ondulait dans les couloirs de Bruxelles depuis neuf ans, bien à
l’abri des regards indiscrets. Ainsi va le grand chantier de la « 
construction européenne » : défense d’entrer, même avec un casque.

Que dit la directive ? D’abord, que la compétitivité au sein des services
portuaires est le seul bon moyen de « garantir l’efficacité globale des
ports ». Chacun contre tous les autres et que le meilleur gagne !

Ritournelle connue. C’est au deuxième couplet que les choses se gâtent : « 
Les Etats membres peuvent exiger que les fournisseurs de services portuaires
soient établis dans la communauté et que les navires utilisés exclusivement
pour la fourniture de services portuaires soient enregistrés dans un Etat
membre et battent pavillon d’un Etat membre. » Traduit en langue normale :
toute entreprise étrangère faisant partie de l’UE pourra s’installer et
carburer n’importe où dans l’UE selon les lois édictées dans son propre
pays. Une boîte maltaise délocalisée dans le port du Havre, par exemple, ne
cotiserait pas aux régimes de retraite et de sécurité sociale, ne verserait
pas de salaire minimum garanti à ses salariés et ne leur donnerait pas droit
aux congés prévus par les conventions. Les dockers havrais n’auraient plus
qu’à s’aplatir.

Ce projet est une nouvelle étape dans la déréglementation galopante qui
frappe l’industrie maritime. Depuis le 1er janvier 2001, la législation
communautaire permet déjà à chaque pays membre de l’UE d’employer un quota important de marins étrangers à la formation aléatoire et aux salaires
miteux. Les récents naufrages mettant en cause des navires occidentaux
(Erika, italien, Bow Eagle, norvégien, Jolly Rubino, italien, Ievoli Sun,
italien, Tricolore, suédois Š) ont tous eu lieu dans un contexte de
délocalisation du personnel. « Dès lors, on peut craindre que la directive
amène jusque dans les ports les mêmes incidents tragiques », observent les
marins marseillais d’Attac. Une crainte d’autant plus fondée qu’une partie
des tâches portuaires sont effectuées par les marins qui bossent sur les
bateaux.

Pour justifier le naufrage des droits sociaux en mer et dans les ports, les
membres de l’UE pourront toujours invoquer les pratiques féroces dont usent
les armateurs battant pavillon de complaisance 1). Comment rester compétitif
face au dumping panaméen, libérien ou jamaïcain sans faire du dumping
nous-mêmes ? C’est précisément le discours que tient la France. À
l’initiative du sénateur UMP Henri de Richemont, avocat et porte-parole du
lobby des armateurs, le gouvernement Raffarin se démène depuis un an pour
créer un pavillon de complaisance à la française. Avec le « Registre
international français » (RIF), finis les salaires, la sécu, les congés
payés et autres vieilleries qui freinent le business. Le matelot ukrainien
ou philippin doit pouvoir se faire étriller aussi sous bannière tricolore.
Comme l’a expliqué le sénateur socialiste Michel Sergent le 11 décembre 2003
 : « Le droit international a été bafoué par toutes les nations et la France,
après beaucoup d’autres, doit se résigner à faire de même. » Différé à
plusieurs reprises, le projet de loi visant à « bafouer le droit
international » devrait être examiné avant la fin de l’année.

En attendant, la directive qui prévoit de bolkesteiniser « l’accès aux
marchés des services portuaires » est toujours dans les tiroirs. On peut
faire confiance au commissaire européen chargé des affaires maritimes, le
maltais Joe Borg 2), et à son homologue aux transports, Jacques Barrot, pour
le ressortir au moment opportun. De préférence, après le référendum du 29
maiŠ

Olivier Cyran et Pierre Mallet

1) Lire le dossier « Les galériens de la marchande », CQFD n°8, janvier
2004.

2) La république de Malte est l’un des partisans les plus fanatiques de la
dérégulation maritime. Et pour cause : les armateurs y trouvent un paradis
fiscal et social sans équivalent en Europe. Que la commission Barroso ait
choisi un représentant maltais pour gérer les affaires maritimes témoigne de
son sens rigoureux de la neutralité et de l’intérêt public.

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