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TICKETS

Publie le jeudi 31 mars 2005 par Open-Publishing

de Enrico Campofreda traduit de l’italien par karl&rosa

L’amour, l’arrogance, la solidarité illégale voyagent par le train dans la vie de tous les jours. Ceux qui sont distraits, parlent trop au téléphone portable ou ne regardent pas le monde avec les yeux du cœur ne s’en aperçoivent pas. Trois maîtres de la caméra, au contraire, saisissent les sentiments et écrivent trois scénarios autonomes qui se lient à la perfection en un unique film. Capables de narrer les existences qui nous entourent, Olmi, Kiarostami et Loach réussissent à mettre en évidence les traits de l’homme du troisième millénaire dans la rustre normalité du quotidien.

Avec le travail qui dissocie des sentiments et avec l’âge aussi, il est difficile de penser à l’amour mais un vieux professeur italien spécialiste des médicaments (Carlo Delle Piane) se retrouve en déplacement en Allemagne et, pour son retour à la maison, est aidé par une plaisante et courtoise secrétaire (Valeria Bruni Tedeschi). Les vols aériens sont annulés pour des raisons de sécurité et il devra se rabattre sur le train.

La secrétaire a beaucoup de mal à lui trouver un billet et une place assise et invente un stratagème pour le retenir à la table du wagon restaurant. L’homme est entièrement absorbé par les vicissitudes de son retour et ce n’est que lorsqu’il est à la gare devant la belle figure féminine qui l’a accompagné qu’il s’aperçoit avec quels yeux la femme est en train de le regarder. Des yeux pleins d’admiration et encore plus. Cela ne dure que quelques instants : le train part et il doit y monter. Puis, devant son ordinateur portable le professeur se souvient du regard de la jeune secrétaire et sent un coup au cœur. Il avoue qu’il voudrait retourner en arrière, il comprend que malgré son âge la fille le regardait avec amour, bien que platonique. Le professeur veut lui exprimer de la reconnaissance et du sentiment. Et il essaie de lui écrire un e-mail.

Mais, c’est difficile : à cause de l’affluence dans le train, des bizarreries qui y circulent, des sales gueules de paras affectés à la sécurité dont le visage dur ne rassure personne et qui font même tomber le biberon d’une mère albanaise avec son enfant. Le vieux professeur renonce mais il découvre un sentiment très clair qui le rajeunit, sinon dans le physique du moins dans le cœur. Se souvenir de l’amour, se sentir capable de le réactiver est la chose la plus vitale qu’il puisse redécouvrir. Et même s’il laisse tomber l’hypothèse de la réponse électronique, il sort de sa torpeur, il s’intéresse aux choses de la vie. Son cœur ne pense plus au travail ni aux médicaments, son existence s’est ravivée. Il se découvre solidaire avec la maman qui a perdu le biberon et lui apporte un verre de lait pour le petit.

Le train poursuit sa route vers Rome et s’y matérialise l’arrogance sous la forme de la femme d’un général défunt. Elle a hérité de l’avantage de se servir de jeunes conscrits qui, plutôt que de perdre temps et santé dans une caserne, choisissent l’objection de conscience. Elle en traîne un à sa suite, Filippo, un peu pour qu’il l’aide et un peu pour qu’il lui tienne compagnie. Le jeune fait contre mauvaise fortune bon cœur, il voit et subit les vexations que la femme met en oeuvre vis-à-vis d’autrui, de qui que ce soit. C’est une femme aveuglée par l’égoïsme et par le privilège personnel, qui devient désagréable envers qui a la malchance de la croiser. Filippo est un rêveur, dans le train il trouve des filles qui lui connaissent un amour de jeunesse et lui rappellent les faits. Il reste ébahi, il ne peut pas se souvenir d’elles parce qu’à l’époque c’étaient des gamines mais entendre leurs récits lui rappelle un bout de sa jeune vie. Ses yeux se remplissent de douceur mais il manifeste aussi par un mouvement que l’esclavage acquis lui est insupportable. Ainsi, il ne répond plus à la mégère et disparaît. La femme est contrainte à une attitude plus civilisée quand elle se retrouve seule avec ses bagages sur le quai.

L’insouciance et l’exubérance de trois jeunes Ecossais qui suivent le Celtic, leur équipe favorite, dans son déplacement à Rome pour le match de la Ligue des Champions, voyagent dans une voiture de seconde bondée. Ils sont dans le train parce que l’un d’eux a pour l’avion une aversion déguisée en une opposition présumée à la pollution atmosphérique. Comme ils travaillent dans un supermarché, ils ont traîné avec eux un sac plein de sandwiches et tandis qu’ils mangent et boivent, ils voient un gamin qui porte le maillot de Beckham, le champion du Manchester United. C’est un Albanais qui voyage avec sa famille. Il sait parler anglais, il l’a appris en regardant les matchs à la télé. Les trois, euphoriques, lui offrent un sandwich et puis l’un d’eux lui montre son portefeuille avec le billet du match.

Revenus à leur place, les Ecossais voient que la famille albanaise partage en quatre ce sandwich. Ils sont troublés et vont offrir à chacune des trois femmes qui voyage avec "Beckham" un sandwich. Les Albanaises remercient. Le contrôleur passe et l’un des jeunes ne trouve plus son ticket. Où est-il ? Et pourtant, il l’a acheté, ils l’ont acheté tous les trois ensemble. Le contrôleur menace d’une sanction, ils devront payer l’amende ou sinon ils seront remis à la police. Les supporters n’ont pas l’argent nécessaire parce que celui qui ne voyage pas en avion l’a dépensé pour une paire de chaussures. L’énervement augmente et ils commencent à s’insulter.

Mais l’un d’eux soupçonne le gamin albanais de lui avoir dérobé son ticket. Ils l’interrogent puis ils vont auprès des trois femmes qui voyagent avec lui et découvrent que, oui, les Albanais n’ont que trois billets et qu’ils se sont procuré le quatrième en le volant. La sœur du petit voleur confesse la précarité de leur situation : ce sont des immigrés clandestins qui se rendent à Rome pour rencontrer le père du bébé qu’elle a dans les bras, qui ne l’a encore jamais vu.
Faut-il la croire ou non ? Il y a une discussion très vive entre les Ecossais : ce ne sont jamais que des clandestins, des voleurs, affirme l’un des trois supporters, très agité, qui menace d’en venir aux mains. Mais c’est justement lui qui sera pris d’une crise de solidarité et se privera du ticket, à la place de son ami à qui il a été dérobé, et qui le laissera dans les poches des Albanais.

Bien que les supporters essaient d’expliquer la situation au contrôleur, celui-ci est ferme et inexorable : il veut les livrer à la police. Arrivés à Roma-Termini, il les bloque sur le quai en attendant que les agents arrivent. Pour les Ecossais, la perspective n’est pas seulement de rater le match si attendu mais carrément de finir en prison. Cela ne dure qu’un instant : par un mouvement simultané, ils se libèrent du contrôleur et s’envolent loin dans la foule. Les policiers les poursuivent et sont sur le point de les capturer quand ils sont plaqués au sol et entourés par des supporters de la Roma présents dans la gare. Les jeunes du Celtic sont saufs, grâce à l’aide des supporters adverses. Opposés sur le terrain,ils ne le sont pas dans la vie contre le rôle des sbires. La solidarité du ballon, c’est aussi cela.

Réalisation : Ermanno Olmi, Abbas Kiarostami, Ken Loach
Sujet et scénario : Ermanno Olmi, Abbas Kiarostami, Paul Laverty
Directeur de la photographie : Fabio Olmi, Mahamoud Kalari, Chris Menges
Montage : Giovanni Ziberna, Babak Karimi, Jonathan Morris
Interprètes principaux : Valeria Bruni Tedeschi, Carlo Delle Piane, Silvana De Santis, Filippo Troiano, Blerta Cahani, Klajdi Qorrai, Martin Compston, Gary Maitland
Musique originale : George Fenton
Costumes : Maurizio Basile
Production : Fandango, Sixteen Films
Origine : Italie / Uk / Iran, 2005
Durée : 115 minutes

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