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Les procédés du oui et les raisons du non

Publie le mardi 19 avril 2005 par Open-Publishing
3 commentaires

de Michel Husson article pour L’Ecole Emancipée

Le principal argument du « oui de gauche » consiste à dire que le rejet du projet de traité constitutionnel (TCE) nous ramènerait à Nice, qui est moins bien. Comme la partie III du TCE n’est qu’une compilation des traités précédents, il ne faudrait s’intéresser qu’aux supposées améliorations contenues dans les parties I et IV (objectifs et institutions de l’Union) et dans la partie IV (Charte des droits fondamentaux).

Plus social ?

L’insertion de la Charte des droits ne peut être considérée comme un pas en avant significatif, justement parce qu’elle est encadrée par la partie III où sont définies les politiques de l’Union.

L’article I-12 annonce d’emblée que « dans certains domaines (...) les actes juridiquement contraignants de l’Union adoptés sur la base des dispositions de la partie III (...) ne peuvent pas comporter d’harmonisation ». Or, les domaines en
question concernent les politiques sociales et la clause « à l’exclusion de toute harmonisation » est à chaque fois rappelée dans la partie III.

Le fonctionnement du texte est donc le suivant : des intentions généreuses
sont annoncées dans la partie I, des droits minimaux sont invoqués dans la partie II, mais la partie III exclut toute harmonisation.

Prenons l’exemple de l’emploi. L’article I-2 annonce fièrement que « l’Union œuvre pour (...) une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi ». Mais le « plein emploi » disparaît du reste du texte. Le droit à l’emploi ne figure nulle part, et est remplacé par un « droit de travailler »
minimaliste (article II-75).

Il faut se reporter à l’article III-207 pour découvrir que la loi européenne « peut
établir des actions d’encouragement (...) dans le domaine de l’emploi » mais qu’elle « ne comporte pas d’harmonisation des dispositions législatives et réglementaires ». Enfin, l’article II-111 précise clairement que « la présente Charte (...) ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union ».

Le même dispositif vaut pour les services publics, rebaptisés services d’intérêt économique général (SIEG) », même si un Livre blanc récent précise que ces deux termes « ne doivent pas être confondus ». Les partisans du oui mettent en avant l’article II-96 où « l’Union reconnaît et respecte l’accès » aux SIEG, pour
affirmer que les services publics sont ainsi reconnus. Pour apprécier la portée réelle de cet article, il faut se reporter à l’une des déclarations annexées au projet, mais qui en font « partie intégrante » (article IV-442).

On y apprend que le fameux article II-96 « ne crée pas de droit nouveau ». Au total, la partie III se borne à recopier les formulations antérieures soumettant les SIEG aux « principes de la concurrence » (article III-166).

Il faut au passage insister sur l’ambiguïté du terme « accès ». On sait que la Charte ne mentionne pas (entre autres) le droit à la retraite, à la santé ou aux indemnités de chômage. Mais les partisans du oui renvoient à l’article II-94 qui dit que « l’Union reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations (...) dans des cas tels que la maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse, ainsi qu’en cas de
perte d’emploi ».

La différence entre « droit d’accès » et « droit à » peut paraître subtile. Elle est pourtant essentielle : le droit d’accès à la retraite signifie par exemple qu’on a « le droit » de s’inscrire à un fonds de pension si la couverture publique est insuffisante.

C’est l’interprétation explicite de l’un des rédacteurs de la Charte (1), qui vient d’ailleurs de déplorer que sa nouvelle rédaction fait que « les droits sociaux sont
fragilisés », et qu’un citoyen s’estimant lésé « pourra difficilement faire valoir ceux-ci devant un juge » (2).

Plus démocratique ?

Le TCE serait plus démocratique, parce qu’il permettrait de prendre davantage de décisions à la majorité qualifiée. Ce n’est vrai que dans les domaines qui intéressent les libéraux, comme le souligne très clairement l’Unice. Dans un document de synthèse (3), l’organisation patronale européenne se félicite
qu’en matière sociale, le TCE « n’augmente pas les compétences de l’Union européenne et n’élargit pas le champ de la majorité qualifiée ». En matière fiscale aussi, l’Unice « est satisfaite de constater que la règle
de l’unanimité est maintenue ».

L’essentiel, de son point de vue, est préservé, et l’Europe continuera à
avancer en crabe : plus vite pour tout ce qui concerne la liberté des échanges et moins vite pour le social.

Le Parlement reste quant à lui privé des prérogatives essentielles d’un Parlement démocratique : il ne peut ni prendre l’initiative d’une loi, ni décider de nouveaux impôts. L’article I-34 stipule que « les lois et loiscadres européennes sont adoptées sur proposition de la Commission » et l’Unice y retrouve son exigence d’une « Commission forte, qui conserve le droit exclusif d’initiative ». Elle est également rassurée par l’impossibilité pour le Parlement d’instaurer un « impôt européen ».

Libéralisme forever

Les partisans du oui nous disent que le rejet de la Constitution plongerait l’Union dans le chaos et nous ferait revenir au calamiteux traité de Nice. Or ce traité est en vigueur jusqu’en 2006, à la différence de la Constitution qui serait conclue « pour une durée illimitée » (article IV-446). Nous serions donc, sans le
savoir, plongés dans le chaos. Mais qui, parmi les partisans du oui, nous a avertis de cette situation alarmante lors de la négociation du traité de Nice ?

Il y a d’ailleurs une contradiction manifeste à affirmer que le traité de Nice est une horreur, puis à mettre sous le boisseau les prescriptions de la partie III qui pourtant reprennent les termes de ce même traité.

C’est pourtant l’innovation essentielle du TCE que de conférer valeur constitutionnelle aux préceptes libéraux qu’il énumère à longueur d’articles. L’irresponsabilité de la Banque centrale européenne, le Pacte de stabilité « stupide », les politiques de flexibilisation des marches du travail, etc. : tout y est. Et il faut un sacré culot pour décréter que la fameuse directive Bolkestein n’a rien à voir avec ce projet.

José Manuel Barroso, le président de la Commission, vient pourtant de la mettre très clairement en perspective : « ce principe [du pays d’origine] et son corollaire, la reconnaissance mutuelle [sont] des attributs fondamentaux
du marché unique, au moins depuis le fameux Livre blanc de la Commission de 1985 ».

Comment d’ailleurs nier l’évidence ? La directive ne fait rien d’autre que mettre en musique diverses dispositions du projet de Constitution, comme l’article 144 : « les restrictions à la libre prestation des services sont interdites à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation » ou encore l’article 148 : « les Etats membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi-cadre européenne ».

Poussés dans leurs retranchements, les partisans du oui concèdent alors que le projet n’est pas fameux, mais promettent de l’améliorer. A ce nouveau sophisme, on opposera quelques lapalissades : si le projet n’est pas bon, alors il en faut un autre ; et il n’y en aura d’autre que si celui-ci n’est pas adopté. S’il l’était, comment ne pas voir que cette sanction populaire - même si la procédure référendaire est limitée à quelques pays - lui conférerait une légitimité particulière qui éloignerait durablement toute perspective de
révision ?

Certains mettent alors l’accent sur la pétition prévue par l’article I-47 qui établirait une « démocratie participative ». Mais il suffit de s’y reporter pour découvrir qu’une telle initiative devrait se cantonner « aux fins de l’application de la Constitution ». Imaginons qu’un million de citoyens (qui n’auraient que l’embarras du choix) demande à y inscrire l’un de ces nombreux droits oubliés par la partie II : à la retraite, au divorce, à l’indemnisation du chômage, à un revenu minimum, etc.

Dans la mesure où une telle démarche viserait à changer la Constitution, et non à mieux l’appliquer, elle serait immédiatement déclarée hors sujet.
Le plus grand paradoxe de cette campagne est en fin de compte que le plaidoyer en faveur de la Constitution consiste, pour l’essentiel, à dire ce qu’elle n’est pas : elle n’est pas libérale (quelle idée !) ; elle n’a rien à voir avec les projets de directive en discussion - sur les services ou le temps de travail et,
d’ailleurs, ce n’est pas vraiment une constitution.

Les partisans du oui ont donc besoin de mentir, au moins par omission, car le projet n’est « vendable » qu’à la condition de détourner l’attention des citoyens de son noyau dur opérationnel. L’ultime ligne de défense des partisans du oui consiste à dissocier le débat sur le texte et le bilan de la construction européenne depuis le référendum de 1992. Or, c’est impossible, puisqu’il
constitutionnalise tous les principes qui ont guidé les politiques menées depuis treize ans.

C’est le procédé Bolkestein (« rien à voir avec le traité ») qui est ainsi généralisé : en décrétant que le jugement porté sur la Constitution devrait être déconnecté de l’évaluation des politiques réellement existantes, on cherche à
déposséder les électeurs d’un débat légitime.

Après le non La campagne pour le non de gauche donne donc à voir ce que l’on voudrait tenir caché, et refuse de discuter le projet indépendamment de tout bilan de l’euro-libéralisme. Elle apparaît alors comme un véritable appel
à la raison citoyenne. Mais les partisans du non de gauche sont aussitôt sommés de dire au nom de quoi ils votent non, et ce qui se passerait après sa victoire éventuelle. Il faut un certain culot pour leur reprocher que les rédacteurs du TCE n’aient pas prévu ce cas de figure ! Et d’ailleurs, la France n’est pas le seul pays où le non peut l’emporter : il est majoritaire dans les sondages aux Pays-Bas, où le référendum aura lieu le 1er juin, trois jours après la France.

La réponse à ces deux questions est pourtant simple : c’est précisément au nom de tout ce que le TCE rend impossible - en résumé une politique d’harmonisation sociale - qu’une majorité est en train de se dégager
pour le non. Si le non l’emporte, le message sera clair et pourrait être résumé en trois points : nous ne donnons pas quitus à tout ce qui a été fait depuis la dernière fois où nous avons été directement consultés ;
nous récusons le travail anti-démocratique de la Convention ; nous demandons une autre construction européenne fondée sur un véritable processus constituant.

(1) Guy Braibant, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Le Seuil, 2001.

(2) « L’un des pères fondateurs de la Charte hésite encore à voter oui », La Croix, 16 avril 2005
http://hussonet.free.fr/braibanc.pdf

(3) http://ecocritique.free.fr/tceunice.pdf

● pour en savoir plus : pour une autre Europe

http://hussonet.free.fr/autreuro.htm

Messages

  • Même si je suis d’accord avec cet article, il m’est toujours difficile de voir le journal et courant "l’école émancipée".... Celle de célestin Freinet, du syndicalisme révolutionnaire.... Odieusement confisqué par un parti politique à savoir la LCR.

  • Les procédés du oui

    Journal l’Humanité
    Rubrique Politique
    Article paru dans l’édition du 19 avril 2005.

    L’Humanité censurée sur le Net

    Sur le site officiel « d’info » sur la constitution, les partisans du « non » de gauche sont systématiquement écartés par les éditeurs. « Faute de moyens », disent-ils...

    C’est le site « d’information » sur le projet de constitution européenne, mis en place par le gouvernement Raffarin. Des spots télévisés en ont fait la publicité ces dernières semaines et il sert de base de données aux opérateurs sollicités, via un numéro gratuit, pour des questions sur le texte soumis à référendum. Le site Internet constitution-europeenne.fr vaut le détour : depuis quelques semaines, on y corrige les voix du « non » de gauche, quand on ne les censure pas purement et simplement. Parmi les liens disponibles, les gestionnaires
    de constitution-europeenne.fr viennent de retirer la référence au site de l’appel des 200 (appeldes200.net), fort de 530 comités unitaires locaux soutenus par près de 130 000 signataires dans toute la France. « Ne pas rétablir ce lien constituerait un acte de censure à l’endroit de notre site, mais aussi de responsables politiques (signataires de l’appel des 200), dont beaucoup sont des élus de la République », fait valoir Jean-Robert Velveth, pour le collectif national.

    Autre exemple, la « revue de presse » cite, chaque jour, tous les articles parus dans Libération, le Figaro, le Monde, le Parisien-Aujourd’hui en France, la Croix, les Échos, la Tribune, mais aussi les Dernières Nouvelles d’Alsace ou encore le Courrier picard. Il manque un journal, non ? Des internautes posent la question sur le « forum de discussion ». Comme celui-ci : « Pourquoi, dans la revue de presse, le journal l’Huma n’est pas cité ? Un oubli, bien sûr, qui n’a rien à voir au fait qu’il est le seul à soutenir le "non" et je ne doute pas que vous allez réparer ce qui pourrait ressembler à de la censure. » Ou cet autre : « Pourquoi la revue de presse du site couvrant les 15 et 16 avril 2005 ne cite pas l’Humanité ? Au lendemain du succès populaire du meeting du Zénith pour le "non" de gauche, auriez-vous peur du débat démocratique ? » À chaque fois, le « modérateur » du site gouvernemental se paie le luxe d’avancer comme prétexte le « manque de moyens et de ressources » : « Malheureusement, nous ne disposons pas de moyens supplémentaires pour traiter davantage de journaux. Croyez bien que nous regrettons... » ; « Concernant l’événement indiqué (le Zénith du "non" de gauche), il a été repris dans notre revue de presse (articles du Figaro, des Échos, d’Aujourd’hui en France...). Il n’y a pas de censure à l’attention du journal l’Humanité. » Rappelons à ce « modérateur » zélé que l’Humanité coûte 1,20 euro.

    Thomas Lemahieu

     ;

  • Oui tout à fait, notre NON va exprimer notre refus d’un nouveau cheque en blanc car nous ne sommes pas satisfait du dernier.

    Les consultatioons directes sont tellement rares que nous ne devons pas rater l’occasion de leur dire (à nos politiques) qu’ils doivent nous prendre en compte et arrêter de vivre dans leur monde de pouvoir, d’intrigue et de pognon.

    Nous nous sommes dans la vraie vie........