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Sénat : Les conséquences du marché unique : des contrôles défaillants et la santé publique oubliée

Publie le vendredi 22 avril 2005 par Open-Publishing

Je copie une partie du rapport du Senat sur la vache folle, en ces temps référendaires, il est bon de savoir ce qu’a fait hier la commission, au nom de quels principes et on s’appercevra que ces principes là sont entérinés par cette constitution. J’ai souligné en majuscules les éléments les plus significatifs...

La crise de l’ESB intervient à la fin des années 1980 dans un contexte marqué par la mise en place du marché unique, qui a supprimé tous les contrôles aux frontières intérieures à partir du 1er janvier 1993.

Déjà, en 1957, le traité de Rome prévoyait « l’abolition entre les Etats membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux ». C’est dire si la réalisation d’un grand marché à l’échelle européenne, comparable au marché des Etats-Unis par sa taille et sa prospérité, est inscrit au centre de la construction européenne.

Les années soixante avaient permis la création d’une union douanière entre les pays fondateurs, mais la crise économique survenue au milieu des années 1970 menaçait la dynamique européenne.

En réaction à cette tendance à la paralysie, la Commission européenne, présidée par M. Jacques Delors, a proposé en 1985 d’achever la réalisation du marché unique au 1er janvier 1993.

Entre 1985 et 1993, la réalisation du marché unique, qui s’est traduite par l’adoption de près de trois cents directives européennes, a donc mobilisé toutes les énergies. Cette vaste entreprise a été fortement marquée par le libéralisme de l’époque.

TOUT ce qui pouvait être suspecté, si PEU que ce soit, comme une ENTRAVE aux échanges était aussitôt mis en cause par la COMMISSION. De principe, la libre circulation des marchandises a eu tendance à devenir un DOGME. Le CULTE du marché unique a ainsi ECLIPSE les préoccupations de SANTE publique, qui ont été reléguées à l’arrière-plan, jusqu’à ce que l’ESB rappelle cruellement cet oubli.

a) Une approche IDEOLOGIQUE du marché unique : liberté de CIRCULATION et liberté de CONTAMINATION

La libre circulation des marchandises (anciens articles 30 à 34 du traité et articles 28 et 29 nouveaux) constitue un des éléments essentiels de la réalisation du marché unique. Elle implique l’élimination des restrictions quantitatives aux échanges ainsi que toute « mesure d’effet équivalent », définie par la Cour de justice des Communautés européennes comme « toute réglementation des Etats membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire » (arrêt Dassonville - 11 juillet 1974).

Toutefois, « la liberté de circulation ne saurait être considérée comme entraînant la liberté de contamination35(*) ».

Les rédacteurs du traité ont prévu à cet égard un article 36 (nouvel article 30) qui permet aux Etats de prendre des mesures d’interdiction ou de restriction d’importation, d’exportation ou de transit, justifiées notamment par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux.

Or, une conception TROP DOGMATIQUE DU MARCHE UNIQUE semble avoir empêché la prise en compte des préoccupations sanitaires, comme l’illustre le cas des importations de farines et de produits bovins en provenance du Royaume-Uni vers les autres Etats membres, alors que ce pays connaissait une véritable EPIDEMIE qui aurait justifié une interdiction rapide des échanges de ces matières.

Au regard de la législation communautaire, il convient de distinguer les échanges d’animaux et de viande, d’une part, les échanges de farines, d’autre part.

(1) Les échanges d’animaux ou de viandes : le DOUBLE JEU de la COMMISSION

Ces échanges relèvent de la compétence EXCLUSIVE de la Communauté et l’existence d’une harmonisation communautaire INTERDIT aux Etats de prendre des mesures unilatérales limitant ou interdisant l’entrée de ces produits sur leur territoire, selon la JURISPRUDENCE de la Cour de justice des CE (CJCE).

La dérogation prévue à l’article 36 (article 30 nouveau) ne pouvant s’appliquer, IL APPARTENAIT DONC à la COMMISSION européenne et NON aux Etats membres de prendre les mesures NECESSAIRES pour empêcher l’importation d’animaux ou de viande d’origine britannique susceptibles de contenir l’agent de l’ESB.

Mais la Commission européenne, SENSIBLE AUX PRESSIONS des autorités britanniques et soucieuse de PRESERVER LE MARCHE UNIQUE, a longtemps hésité à prendre les mesures qui s’imposaient.

EN REVANCHE, lorsque les Etats ont voulu adopter de leur propre chef des mesures plus rigoureuses à l’égard des produits bovins britanniques, la COMMISSION européenne a AUSSITOT CONTESTE ces actions en invoquant l’atteinte portée au PRINCIPE DE LIBRE CIRCULATION DES MARCHANDISES.

Ainsi, en 1990, la France et plusieurs autres Etats ont interdit l’entrée de la viande bovine d’origine britannique sur leur territoire, provoquant la première CRISE au niveau européen.

La COMMISSION européenne a alors envisagé d’entreprendre des actions à l’ENCONTRE de ces Etats pour INFRACTION au droit communautaire. On trouve une étonnante illustration de l’état d’esprit de l’époque dans l’échange de lettres entre M. Henri Nallet, ministre français de l’Agriculture, et M. Ray Mac Sharry36(*), Commissaire européen chargé de l’agriculture. La réponse de ce dernier est particulièrement sèche et ressemble à s’y méprendre à un ULTIMATUM.

À la lettre de M. Henri Nallet, en date du 31 mai 1990, qui explique les raisons qui ont amené les autorités françaises à décréter un embargo sur la viande bovine et sur les bovins du Royaume-Uni, M. Ray Mac Sharry répond par un bref télex, daté du 1er juin 1990 : « Les services de la Commission ont pris connaissance de la décision des autorités françaises de suspendre temporairement, à compter du 31 mai 1990, toutes les importations d’animaux vivants et produits bovins en provenance du Royaume-Uni ». Y figure, ensuite, une phrase qui a été rayée à la plume : « La Commission partage entièrement le souci des autorités françaises d’éviter le risque de propagation de l’ESB ». Puis, le texte énonce : « La Commission regrette que le gouvernement français ait décidé de manière unilatérale, une telle mesure de suspension des importations. Ladite mesure va, en effet, au-delà des mesures prises par la Commission, après avis du Comité ou comité scientifique vétérinaire dans sa décision du 9 avril 1990, et CONSTITUE UNE ENTRAVE A LA LIBRE CIRCULATION DES MARCHANDISES, contraire à l’article 30 du traité CEE. » Il se termine comme suit : « Dans ces conditions, la Commission invite le gouvernement français à rapporter [dans un délai de cinq jours, à compter de la date du présent télex] (« d’ici lundi 4 juin à dix-huit heures » précise deux fois une mention manuscrite), la mesure prise. Dans le cas contraire, elle engagera les PROCEDURES CONTENTIEUSES APPROPRIEES ».

Finalement, après une réunion du Conseil des ministres, les Etats concernés ont LEVE leur interdiction après avoir reçu du gouvernement britannique des GARANTIES sur les mesures de protection, dont on verra qu’elles n’ont PAS été SUIVIES d’EFFETS.

Le DOGME DU MARCHE UNIQUE a pu jouer également à propos de l’EMBARGO sur la viande irlandaise. Mme Geslain-Laneelle, Directrice générale de l’alimentation au ministère de l’Agriculture, a déclaré devant la commission d’enquête : « concernant la levée des mesures [d’embargo] au début de l’année 1993 pour la République d’Irlande, je considère, compte tenu des éléments que j’ai eus à ma connaissance, que c’est probablement l’évolution du contexte européen qui a amené la France à prendre cette décision. Comme je vous l’ai indiqué, il s’agissait du marché unique et les décisions communautaires qui commençaient à être prises concernaient exclusivement le Royaume-Uni et non pas la République d’Irlande. C’est probablement ce contexte qui a conduit les autorités françaises à lever la mesure d’interdiction concernant l’Irlande. »

De même, en février 1996, lors de la seconde crise européenne, cinq Länder allemands ont fermé leurs frontières à la viande bovine britannique. La COMMISSION européenne a alors ENGAGE à nouveau une PROCEDURE contre l’Allemagne pour INFRACTION au droit communautaire. Finalement, un mois plus tard, 13 Etats membres de la Communauté ont fermé leurs frontières avant qu’une décision communautaire d’interdiction d’exportation de la viande bovine à partir du Royaume-Uni soit prise.

Mme Édith Cresson, commissaire européen chargée de la recherche, avait déclaré devant la mission d’information commune de l’Assemblée : « Lorsqu’on a décidé l’embargo sur les produits britanniques, j’ai entendu le COMMISSAIRE à la CONCURENCE annoncer que c’était la fin du MARCHE UNIQUE ».

Cette priorité donnée au MARCHE UNIQUE a perduré jusqu’à une date très récente, en particulier lors de l’épreuve de force qui a opposé la France à la Commission européenne à propos du maintien de l’embargo sur la viande britannique à la fin de l’année 1999.

La décision de la Commission en date du 14 juillet 1999 d’autoriser la reprise des exportations britanniques de viande bovine à partir du 1er août 1999, n’a pas été appliquée par la France, à la suite d’un avis négatif rendu par l’AFSSA le 30 septembre, de même que par l’Allemagne.

Le COMMISSAIRE européen M. David Byrne a MENACE de saisir la Cour de Luxembourg, envisageant même la procédure en référé. Finalement, mettant ses menaces à exécution, la Commission a engagé une procédure de préinfraction le 14 décembre 1999 contre la France et saisi la Cour de Luxembourg le 4 janvier 2000. La procédure est toujours EN COURS.

(2) L’interdiction des farines carnées : la MAUVAISE FOI du COMMISSAIRE Fischler

La situation est un peu différente en ce qui concerne les farines carnées destinées à l’alimentation des animaux. En 1988, lorsque le Royaume-Uni a interdit l’utilisation de ces farines pour l’alimentation des bovins, il n’existait pas d’harmonisation au niveau communautaire. Toutefois, et CONTRAIREMENT à ce qui a été dit à la commission d’enquête par le commissaire autrichien Franz Fischler, les institutions communautaires DISPOSAIENT de TOUS les MOYENS JURIDIQUES nécessaires pour qu’une décision puisse intervenir dans des délais raisonnables37(*).

L’article 43 du traité permet en effet aux institutions communautaires d’adopter des textes concernant ces produits. En 1990, le Conseil a ainsi adopté une directive harmonisant la production et le commerce de l’alimentation animale, ainsi que des directives relatives aux contrôles vétérinaires mentionnant les produits destinés à l’alimentation des animaux et fabriqués à partir de protéines animales.

Il existait donc une compétence communautaire après l’adoption de la directive de 1990, mais les institutions européennes ont choisi de laisser les Etats membres mettre en oeuvre des mesures nationales.

Pourtant, de manière TARDIVE, en juin 1994, la Commission européenne a adopté une décision interdisant dans tous les Etats membres l’utilisation, dans l’alimentation des ruminants, de protéines dérivées de tissus de ruminants. À cette date les institutions communautaires ont donc estimé qu’il n’était plus souhaitable de laisser fonctionner les mesures nationales et ont adopté une mesure communautaire. Il faut signaler qu’en mars 1994, au sein du Conseil, l’Allemagne avait estimé que les mesures communautaires lui paraissaient insuffisantes et s’était réservée le droit de prendre des mesures plus restrictives.

En résumé, il existait donc une compétence communautaire pour tous les aspects liés à l’ESB. Or, on constate que les institutions communautaires n’ont pas jugé nécessaire d’adopter des mesures plus restrictives.

La VOLONTE de faire fonctionner le MARCHE intérieur et d’assurer la LIBRE CIRCULATION des marchandises semble donc l’avoir emporté sur d’autres considérations.

(3) Les PETITS POTS POUR BEBES : le combat français pour interdire l’incorporation d’abats bovins à risque

Une autre illustration particulièrement marquante a été l’« affaire des PETITS POTS POUR BEBES », qui a opposé la France à la Commission européenne à partir de 1992.

En effet, les autorités françaises ont, à cette date, pris un arrêté visant à iINTERDIRE l’incorporation d’abats bovins à risque, tels que la cervelle, dans les produits destinés à l’alimentation infantile, suscitant une VIVE réaction de la COMMISSION, comme l’ont confirmé M. Jérôme Gallot, Directeur de la DGCCRF, et M. Daniel Hulaud, Chef de Bureau aux produits d’origine animale dans cette administration, à la commission d’enquête.

M. Hulaud : « Cet arrêté a fait l’objet de très vives critiques par la COMMISSION de Bruxelles et nous avons été contraints de nous en expliquer à Bruxelles. J’y suis personnellement allé et je peux vous dire qu’il nous a été rappelé à plusieurs reprises qu’il s’agissait d’une mesure visant à protéger le marché national, à ENTRAVER LES ECHANGES et que ce n’était NULLEMENT une mesure de SANTE publique ».

M. Gallot a ajouté : « Obtenir une interdiction pour les petits pots pour bébés a été un COMBAT ».

La commission d’enquête a obtenu la communication de documents, notamment le compte rendu d’une réunion à Bruxelles le 9 juin 1995 et l’avis de la Commission du 29 novembre 1994, attestant l’attitude PEU CONCILLIANTE de la COMMISSION européenne à propos de la prolongation de l’interdiction française, qui est allée jusqu’à prendre un avis circonstancié à l’ENCONTRE des autorités françaises et à MENACER la France d’une PROCEDURE D’INFRACTION devant la Cour de Luxembourg !

L’avis circonstancié de la Commission européenne, en date du 29 novembre 1994, à propos du projet de décret français visant à reconduire l’interdiction de l’utilisation des tissus bovins dans la fabrication des aliments pour bébés, énonce, en effet : « ceci revient à UNE ENTRAVE NON JUSTIFIEE DE LA LIBRE CIRCULATION DES MARCHANDISES à l’intérieur de la Communauté (...). Le projet devrait, par conséquent, être modifié (...). Autrement, il constituerait une INFRACTION PURE ET SIMPLE à cette décision et en même temps une violation à l’article 30 du traité CE ». Par ailleurs, le compte rendu de la réunion tenue à Bruxelles, le 9 juin 1995, sur cette question est particulièrement éloquent. Ainsi, malgré les explications de la délégation française, les représentants de la COMMISSION se sont montrés INFLEXIBLES. En effet, « en dépit d’une longue discussion les services de la Commission n’ont invoqué que des arguments juridiques pour justifier leur position et ils ont déclaré qu’ils ne pouvaient écarter une saisine éventuelle de la Cour de justice si le texte envisagé était pris ».

b) La déficience des contrôles : une CONSEQUENCE DU MARCHE UNIQUE

La commission d’enquête a pu constater que la mise en place du marché unique a CONSIDERABLEMENT modifié la nature des CONTROLES effectués sur les échanges en matière alimentaire.

La législation communautaire en la matière résulte en particulier de deux directives : la directive 90/425 du 26 juin 1990 et la directive 89/662 du 11 décembre 1989 relatives aux contrôles vétérinaires, qui ont entraîné la SUPPRESSION des contrôles vétérinaires aux frontières intracommunautaires au profit de contrôles sur le LIEU D’ORIGINE et de contrôles éventuels sur le lieu de destination.

L’un des considérants de ces directives précise que « cette solution implique une confiance accrue dans les contrôles vétérinaires effectués par l’Etat d’expédition, notamment par la mise en place d’un système rapide d’échange d’informations qu’il importe que l’Etat membre d’expédition veille à effectuer ces contrôles vétérinaires de manière appropriée ». La commission d’enquête n’a pu que constater la volonté de privilégier les contrôles vétérinaires dans l’Etat d’expédition a rapidement trouvé sa limite avec l’affaire de l’ESB.

Non à la dictature du mmarché, non à la dictature de la commission, non à la constitution...
 http://www.senat.fr/rap/r00-321-1/r...