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IRAK : JOURNALITES MERCENAIRES ( et RSF suite )

Publie le jeudi 27 février 2003 par Open-Publishing

Irak
Journalistes mercenaires

26 février 2003
http://www.lecourrier.ch/

MANUEL GRANDJEAN

Gagner une guerre, ce n’est plus une seule question de puissance de
feu. C’est aussi une question de maîtrise de l’image. Les Etats-Unis l’ont
appris à leurs dépens au Vietnam. Depuis, le torchon brûle entre
journalistes et militaires.
Nous avons donc été habitués aux guerres maquillées en opérations
humanitaires, aux verbiages sur la précision des frappes et à l’absence d’
images : qu’avons-nous vu de l’Afghanistan ? Rien ou presque.
Mais la tactique semble évoluer. Après la défiance, les armées veulent
restaurer l’« estime réciproque » entre elles et la presse. Fleurissent donc
les stages de formation pour journalistes. Aux Etats-Unis, en
Grande-Bretagne et en France1 notamment, des camps d’entraînement
accueillent les reporters pour éprouver leur capacité de résistance au
stress du combat et leur apprendre à se protéger… Le Pentagone va même plus
loin, puisqu’il a promis d’incorporer pour la première fois des journalistes
dans les unités combattantes. Plusieurs centaines de journalistes,
étasuniens et étrangers, ont donc reçu à mi-février leur « ordre de marche »
pour le golfe Persique.
Curieusement, cette nouvelle tactique d’enrôlement de la presse n’a
suscité que peu de réticences.
En France, Reporters sans frontières va même jusqu’à inciter ardemment
ses membres à s’inscrire aux stages de l’armée. De cette façon, l’
association de défense de la liberté de la presse se soucie de la seule
survie du journaliste sous le feu. Dans la même ligne, elle organise le prêt
de gilets pare-balles et lance une assurance tous risques pour les
journalistes libres. Le visuel publicitaire de cette dernière ne craint pas
non plus le gris-vert : le slogan « reporter indépendant, pour 3 euros on te
couvre ! » est flanqué de l’image d’un Rambo armé jusqu’aux dents…
Robert Ménard, secrétaire général de RSF, est explicite. « Bien sûr que
l’armée a des arrière-pensées, et alors ? » Selon lui, les journalistes sont
de toute façon constamment soumis à des pressions diverses et multiples :
ceux qui ne sont pas capables d’y résister n’ont qu’à faire un autre métier.
C’est cependant faire preuve d’un optimisme considérable que d’estimer
que les journalistes sauront faire prévaloir leur indépendance et qu’ils ont
tiré les leçons de leurs erreurs passées. Sur le front médiatique de la
guerre, les choses risquent de se passer différemment.
Il suffit pour s’en convaincre de lire le journaliste Stan Crock, du
Business Week - hebdomadaire étasunien dont le tirage frôle le million d’
exemplaires - raconter sa « formation » militaire.
Notre brave plumitif témoigne de la façon dont ses liens avec l’
institution militaire ont été resserrés en quelques jours de vie en caserne.
Il a notamment été impressionné par la remarquable précision des armes, le
char d’assaut Abrams « étant capable de toucher une assiette à 1800 mètres ».
Sans voir de contradiction dans ses propos, il espère que la présence de
journalistes « indépendants » permettra de déjouer rapidement les accusations
calomnieuses que Saddam Hussein ne manquera pas de lancer contre l’armée
étasunienne. Il adopte tout de go la position du général de division Paul
Eaton, commandant de Fort Bening où se déroulent les « stages », lorsque
celui-ci dit vouloir mettre fin à la défiance entre journalistes et
militaires : « La presse permet à l’Amérique de voir ce dont ses fils et
filles sont capables. »
Et Stan Crock de conclure : « Après une période d’entraînement au sein
des troupes US, j’ai acquis un respect nouveau pour les G.I’s. Maintenant,
les militaires pourront-ils apprendre à faire confiance à la presse ? »
Avec des recrues aussi dociles que Stan Crock, il ne fait aucun doute
que la défiance reculera.
Toutefois, il faut espérer que le sens critique du public envers les
médias se renforce proportionnellement. Ceci pour une raison toute simple.
Jamais aucun militaire n’aura intérêt à ce que la guerre soit montrée telle
qu’elle est.
http://www.lecourrier.ch/