Accueil > "Elles vont voter comme leur mari ou le curé, disait-on à gauche", se (...)

"Elles vont voter comme leur mari ou le curé, disait-on à gauche", se souvient Simone, 83 ans

Publie le vendredi 29 avril 2005 par Open-Publishing

de Régis Guyotat

Toutes les trois n’ont jamais été de ferventes féministes, mais elles se souviennent, non sans peine parfois, de ce jour "tant attendu par les femmes et tant redouté par les hommes" , où elles mirent pour la première fois un bulletin dans l’urne.

Renée, qui ne souhaite pas donner son nom, avait 25 ans ; elle venait de retrouver son mari, qui avait rejoint le général de Gaulle dès 1940 et avait été blessé dans les terribles combats du pont de Remagen, en mars 1945. "Je me revois dans la rue, bien habillée, toute fière d’aller voter, dit-elle. Je pensais que beaucoup de choses allaient changer. Les femmes étaient contentes comme tout parce que ça les valorisait, elles faisaient comme les hommes. Depuis, je n’ai jamais raté un vote !"

L’événement ne fit pas la "une" de La République du Centre ce jour du 29 avril 1945. L’imminence de l’armistice et la probable mort de Hitler à Berlin faisaient les gros titres du quotidien d’Orléans. En page 2, il faut lire attentivement un article consacré aux élections municipales pour découvrir la nouvelle. Les citoyennes qui "pourraient éprouver quelque timidité" trouveront sur place toutes les informations "pour voter tranquillement, sans perdre leur calme" , indiquait le rédacteur.

Le journal rendait également compte d’un meeting de la liste unie de la Résistance. "Nous ne voulons nullement supplanter les hommes. Nous ne sommes pas de ces ardentes féministes qui font retomber tout le poids des erreurs passées sur le dos des hommes" , lançait avec prudence une candidate de l’Union des femmes françaises, proche du PCF, montée à la tribune. A Orléans, douze femmes figurèrent sur les différentes listes, quatre furent élues.

En France, les femmes remplirent si bien leur devoir ­ beaucoup d’hommes étaient retenus prisonniers ou déportés en Allemagne ­ que l’on vit, paraît-il, des religieuses siéger dans les bureaux de vote.

"Il y avait un scepticisme sur le vote des femmes. Elles vont voter comme leur mari ou le curé, disait-on à gauche" , raconte Simone Minet, 83 ans, jeune institutrice dans le Loiret à l’époque, pour qui ce jour fut moins marquant que "celui de l’armistice et de la naissance de sa fille" au même moment. "Avant la guerre, dit-elle, j’étais trop jeune pour penser à l’injustice que cela pouvait représenter de ne pas voter."

"J’AI LOUPÉ CE COMBAT"

Andrée Thomas, 85 ans, issue d’une famille ouvrière de gauche, a voté à La Ferté-Saint-Aubin (Loiret). Mais ce fut pour elle une "déception" , car, se souvient-elle en souriant, c’était le "châtelain" qui l’avait emporté. "Les femmes disaient que ce n’était pas leur affaire de faire de la politique. Dans ce débat, je critique les femmes plutôt que les hommes."

Elle se souvient qu’à l’âge de 13 ans ­ en 1933 ­, elle avait demandé à son institutrice pourquoi les femmes ne votaient pas. "La maîtresse m’a répondu que c’était parce qu’elles ne pouvaient pas être soldat. Gamine comme j’étais, je lui ai rétorqué : mais qui le fabrique le soldat ? Cela l’avait un peu époustouflée !"

Juste avant la guerre, le Front populaire n’accorda pas le droit de vote aux femmes, qui était surtout combattu par les radicaux et au Sénat, et il se contenta de nommer trois femmes sous-secrétaires d’Etat. Pour Léon Blum, il était trop tôt. Alors que les femmes votaient déjà en Inde depuis 1921, et en Turquie depuis 1934. "Je suis entièrement pour le vote des femmes, quelles qu’en soient les conséquences politiques. Si elles n’ont pas eu les droits jusqu’ici, ce n’est pas la faute des hommes, c’est la faute des femmes. Elles n’y tien-nent pas" , déclarait le leader socialiste.

Avant la guerre, Lucie Aubrac ne fut pas elle-même une militante du suffragisme. "C’est très curieux, j’ai loupé ce combat. J’en suis confuse maintenant, a expliqué avec sincérité l’ancienne résistante à Elisabeth Guigou dans l’ouvrage de celle-ci, Etre femme en politique (Plon, 1997). Je trouvais un peu ridicules Louise Weiss et ces jeunes femmes élégantes qui se faisaient enchaîner aux grilles du Sénat. Pour moi, c’était un combat de bourgeoises. En 1936, j’ai fait à vélo la campagne de Jean Zay dans l’Orléanais, sans me rendre compte que je n’allais pas voter. En avril 1945, il n’y avait plus eu d’élection depuis 1938. Sept ans après, ces élections étaient pour les jeunes hommes aussi étonnantes que pour les femmes. Je participais aux luttes antifascistes, j’ai créé un réseau de résistance, je me suis toujours sentie citoyenne, même en ne votant pas."

http://www.lemonde.fr/web/article/0...