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Bolkestein toujours menaçant

Publie le vendredi 13 mai 2005 par Open-Publishing

de Marc Blachère

Activités de services. Le projet dénoncé au sommet de Bruxelles reviendra après le réferendum.

Le projet de directive dite Bokelstein, du nom d’un ancien commissaire européen, vise à unifier le marché intérieur des activités de services. Il s’agit, dans un secteur qui recouvre aujourd’hui près de 70 % des activités économiques, de réaliser à marche forcée l’équivalent de ce qui a été fait dans le domaine des biens matériels en une vingtaine d’années et par le biais de plus de deux cent cinquante directives. Avec cependant une différence de taille. Jusqu’ici la disparition des frontières économiques a été organisée sur la base d’une harmonisation vers le haut de la plupart des normes auxquelles les produits doivent satisfaire. Par exemple, aucun jouet comportant une matière inflammable ne peut être fabriqué ou importé dans l’un quelconque des pays de l’Union.

Il n’en serait plus du tout de même pour les services. La Commission européenne entend mettre à profit le caractère immatériel de ces productions pour imposer un véritable renversement de doctrine. Toute entreprise produisant un service marchand dans l’un quelconque des pays membres aurait de ce seul fait totale liberté de proposer ce même service dans les mêmes conditions dans tous les autres pays membres. C’est ce que l’on appelle la règle du pays d’origine. Elle conduit à ce que, dans un domaine donné, les législations propres à chacun des États membres auraient force de loi dans tous les autres États de l’Union.

Voilà qui est déjà effarant, mais ce n’est pas tout. Le projet Bokelstein dispose que les éventuels contrôles du respect des règles relèveraient exclusivement des autorités du pays d’origine. Ainsi une entreprise installée sur la petite île de Malte et proposant directement ses services sur le marché français pourrait non seulement y conclure des contrats ne relevant que de la législation maltaise mais de plus ne serait soumise qu’au contrôle des autorités maltaises. Les services fiscaux français pas plus que l’inspection du travail n’auraient autorité pour intervenir. C’est comme si un automobiliste français était autorisé à s’insérer dans le trafic routier britannique en roulant à droite et ne s’occupant que des limitations de vitesse et priorités qui ont cours chez nous, étant entendus que seuls des policiers français seraient habilités à contrôler, en Grande-Bretagne, son respect du code de la route français. Ce n’est encore qu’une partie du projet de directive services. Hors du secteur financier régi par une directive particulière, aucune limite n’est apportée à ce que recouvre le marché unique concurrentiel des services. Ainsi, dès qu’il y a contribution financière de l’usager, tout ce qui relève des services publics entre dans le champ d’application de la directive. Autant dire que la plupart des services publics locaux seraient visés.

Parfaitement informé depuis des mois du texte de ce projet, les responsables politiques français inconditionnels de l’Europe telle qu’elle se fait se sont mis à crier au feu quand la connaissance de cette affaire a commencé à se répandre. De François Hollande à Jacques Chirac, on s’est offusqué, on a clamé sur tous les tons son opposition. À l’issue d’une habile mise en scène au sommet européen de mars dernier, les mêmes ont assuré que la mécanique était enrayée, voire terrassée, le projet en voie de refonte et le cauchemar écarté. Il n’en est rien. La Commission européenne, qui dispose seule de l’initiative législative, a refusé de revoir sa copie déjà en cours d’examen par une commission du Parlement européen.

Sans doute la rapporteure du texte, la social-démocrate allemande Evelyne Gebhardt, affirme-t-elle son hostilité au principe du pays d’origine et au champ sans limite du projet. Mais la même affirme qu’en l’état actuel des choses il n’y a d’autre issue au débat qu’un compromis avec la droite ultralibérale. En clair, les élus PSE accepteront une part au moins des objectifs Bokelstein lors du débat parlementaire qui aura lieu à l’automne prochain. C’est sans doute ce qu’annonce le vote intervenu à Bruxelles il y a deux semaines. Un voeu conciliant demandait à la Commission européenne de bien vouloir présenter d’autres bases à l’ouverture du marché des services. Il a été rejeté par 445 voix contre 125. Ont voté pour le voeu : les groupes GUE et Verts (ces derniers en étaient les auteurs) ainsi que 42 élus du PSE dont 15 socialistes français ; ont voté « contre » : les deux groupes de droite, dont tous les élus UMP et UDF à l’exception d’une seule, ainsi que l’écrasante majorité du PSE dont 8 socialistes français parmi lesquels se compte Pierre Moscovici, secrétaire national du PS.

http://www.humanite.fr/journal/2005-05-12/2005-05-12-634150