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Italie, Bologne : Cofferati, chronique d’une déception

Publie le samedi 14 mai 2005 par Open-Publishing
2 commentaires

de Franco Berardi Bifo traduit de l’italien par karl&rosa

"Si je vous dis que Cofferati (ex secrétaire de la CGIL, NdT) pose sa candidature pour devenir maire de Bologne, que répondez-vous ?" me demanda un journaliste quand je décrochai le téléphone, il y a à peu près deux ans. Et moi, avec une ardeur sincère : "Je réponds que je cours voter Cofferati, parce qu’il sera certainement mieux que Guazzaloca (entrepreneur de Forza Italia, élu maire de Bologne en 2000, NdT)". Je me trompais. C’est douloureux à dire, mais un an après les élections municipales qui devaient marquer le réveil, dans une ville qui pour plusieurs raisons est considérée comme un laboratoire du bon gouvernement et de l’innovation culturelle, je suis obligé de l’admettre : il est difficile d’imaginer un climat pire que celui qui s’est créé dans cette ville. Il y a un an, peut-être un peu naïvement, nous nous attendions à ce que le nouveau gouvernement municipal donne un signe de renouveau et d’ouverture. Nous nous attendions à une plus grande tolérance envers les étrangers et Cofferati lui-même avait déclaré, pendant la campagne électorale, que la Mairie allait prendre position contre la présence du Centre de permanence temporaire ( correspondant en Italie aux centres de détention provisoire, NdT) sur le territoire communal bolognais.

Ce que nous avons vu arriver va dans la direction opposée : les évacuations des étrangers sans logement se sont multipliées. Des femmes et des enfants Rom sont jetés hors des édifices qu’ils habitent, bâtis abusivement sur des terrains qui, dans certains cas, ont été régulièrement achetés, comme cela est arrivé dans la via Roveretolo.

Les agressions contre les ambulants sénégalais qui vendaient leur pauvre camelote se sont intensifiées : l’après-midi du 25 avril à quatre heures et demi, tandis que je marchais dans la Via Indipendenza, j’ai vu un garçon africain finir sous un taxi (des ambulances qui accourent, du sang sur le pavé). Il était en train de s’enfuir, le sac à l’épaule, parce que les gardes voulaient lui séquestrer un paquet de Cd. La foule s’entassait,,médusée, autour de la scène.

Les seuls à ovationner cette furie légalitaire sont les plus égoïstes des commerçants, qui se félicitent avec les shérifs de Cofferati et aussi les rares représentants de la Ligue de Bossi, qui approuvent avec enthousiasme les évacuations brutales d’étrangers.

Il y a un an, peut-être un peu naïvement, nous nous attendions à ce que le nouveau gouvernement municipal fasse quelque chose pour améliorer les conditions de quelques dizaines de milliers d’étudiants, qui doivent payer un lit trois-quatre cents euros. Au contraire, le maire a établi que le soir après neuf heures il est interdit de sortir dans la rue avec un verre contenant de la bière. Qui veut boire doit dépenser quatre euros pour s’asseoir dans un local à la page et les boutiques de Pakistanais qui vendent la bière au prix d’un euro risquent maintenant de fermer, tandis que les étudiants pauvres qui pouvaient acheter la bière des Pakistanais resteront le gosier sec.

Il y a un an, nous nous attendions à ce que le nouveau gouvernement municipal relance dans la ville la culture, dépérie depuis au moins une décennie, en état nécrotique. Rien ne s’est passé jusqu’à maintenant, malgré la présence d’une personne de valeur comme Angelo Guglielmi comme adjoint à la Culture. Mais, comme la détérioration semble être l’obsession du gouvernement municipal, il y a à craindre qu’une campagne contre l’art dégénéré se prépare. En effet, on parle ces jours-ci de la street parade qui depuis quelques années est devenue un rendez-vous annuel de la musique, de l’anti-prohibitionnisme et de la liberté. Le maire a dit que cette manifestation est dégradante et la Mairie (qui dans les années Guazzaloca regardait la manifestation avec méfiance mais qui ne l’a jamais entravée) est en train d’évaluer la possibilité de ne pas l’autoriser.

Pour finir, une courte allusion à la sensibilité syndicale de ce maire que nous avions tant attendu : un ami à moi, employé municipal, inscrit à un parti de gauche, m’a dit récemment : "en juillet de l’année dernière, si on nous avait demandé de faire vingt heures supplémentaires, pour Cofferati on les aurait faites gratuitement. Aujourd’hui nous ne les faisons même pas si on nous les paye". La chose est compréhensible, puisque le nouveau maire, ex syndicaliste, en est arrivé à nier aux salariés municipaux le respect d’un accord contractuel signé par les syndicats avec Guazzaloca, où on concédait une intégration salariale de quatre cents euros par an.

Pour achever cette liste, je veux citer la persécution inquiétante à laquelle a été soumis Valerio Monteventi, conseiller indépendant élu dans les listes de Refondation communiste.

Il y a quelques mois, l’adjoint au Logement (ancien squatteur converti au culte de l’ordre cofferatien) a commencé à faire circuler des insinuations sur la moralité de Monteventi, que tous connaissent bien en ville pour son engagement quotidien au service des sans abri et des marginaux. Quand enfin Monteventi a dénoncé la campagne de diffamation contre lui et fourni les preuves que sa position était inattaquable, la campagne s’est éteinte, les dossiers promis se sont volatilisés. Mais entre temps nous avons tous eu la sensation d’être revenus aux temps où la gauche éliminait les dissidents par la délation et la calomnie et que le nouveau maire n’avait rien compris de l’esprit de cette ville qui, au moins après le traumatisme de 1977, a appris à considérer le dialogue et la tolérance comme une chose à laquelle il est dangereux de renoncer au nom de l’urgence de décider.

Dangereux, très dangereux. Et maintenant je vous explique pourquoi.

On a souvent dit que Bologne peut être un laboratoire, une anticipation de ce qui se passera au niveau national quand à la place du gouvernement de Mediaset (le groupe d’entreprises médiatiques de Berlusconi, NdT) il y aura le centre gauche.

Nous savons tous qu’il sera fatigant et douloureux de changer de direction, après cinq ans de gouvernement de pillards qui ont bradé une bonne partie du patrimoine public et dévasté l’économie sociale dans l’intérêt d’un groupe privé. Nous savons qu’à l’intérieur du gouvernement de centre gauche les résistances contre une politique de redistribution du revenu seront fortes. Nous savons d’ailleurs que, sans une action courageuse de récupération des ressources qui pendant ces dernières années ont été soustraites à la communauté, aucun changement ne sera possible, à aucun niveau. En somme, le risque est que, une fois changée la coalition au gouvernement, la situation continue à précipiter, tandis que le conflit social devient plus aigu, l’insatisfaction gagne du terrain, la situation se fait tendue.

En prévoyant un scénario de ce type, quels sont les signaux qui viennent du laboratoire Bologne ? Le signal de l’arrogance, de la fermeture, des décisions unilatérales, de la calomnie contre les dissidents, de la répression contre ceux qui ne respectent pas la légalité hargneuse des propriétaires et des bien pensants. Excusez-moi si je jure, mais moi, si j’avais su qu’à Bologne cela se serait terminé ainsi, j’aurais préféré garder Guazzaloca.

Et alors essayons de comprendre, tant qu’il en est temps. Berlusconi et Co. ont dévalisé la société italienne, ils ont bâillonné la liberté d’expression, ils ont amené le pays dans une guerre infâme. Mais, jusqu’ici, ils nous ont épargné (à l’exception non négligeable de Gênes et de Bolzaneto) la violence et la prison pour les opposants. A Bologne, ceux qui ont mon âge n’ont pas oublié le temps où le parti de Cofferati envoya les chars contre les étudiants et poussa la magistrature à incarcérer les dissidents. C’est pourquoi la leçon que quelques-uns risquent d’apprendre en assistant à ce qui se passe à Bologne peut être terrifiante. Ils pourraient être amenés à penser : pour un peu, je garderais Berlusconi.

http://www.liberazione.it/giornale/050510/archdef.asp

Messages

  • Superbe article de Bifo pour nous édifier de l’entropie de l’environnement dans les visions politiques pragmatiques et les étranges métamorphoses à nos dépens...

    (article comme d’habitude si bien traduit par Karl&Rosa ici).

    Moi je préfère Rosa car elle savait... qu’il ne fallait pas monter à l’insurrection. Mais elle n’y put rien et ce fut fatal.

    Commençons par voter Non au référendum sur la constitution, c’est sans violence et sans danger sauf pour le pouvoir qui s’anime en spectacle du oui ; autrefois nous nous serions abstenu, mais puisque nous avons la chance de faire partie des 10 pays qui ont proposé d’intégrer le peuple sur la décision de l’oppression éternelle sauf bain de sang... et bien nous voterons non.

    et en France, de toutes façons ce n’était pas magnanime mais une obligation incontournable par Chirac sauf à déclarer que la constitution de la 5è république, la démocratie présidentielle, était prescrite...

    O.

  • SUPERBE : (lat. superbia,XIIe s.) Orgueil avec faste et vaine gloire.

    Littré