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Bolkestein avant l’heure !

Publie le mercredi 18 mai 2005 par Open-Publishing

France Télécom sous-traite à des Portugais

Une société d’installation de poteaux et de câbles téléphoniques, Constructel, sous-traitante de France Télécom, emploie une centaine de salariés portugais en France, notamment à Valence, sous contrat portugais.

Une société d’installation de poteaux et de câbles téléphoniques, Constructel, sous-traitante de France Télécom, emploie une centaine de salariés portugais en France, notamment à Valence, sous contrat portugais, a-t-on appris mercredi 18 mai auprès de l’entreprise et de syndicats.
Constructel, société de droit français filiale d’une société portugaise, Vasabeira, a démarré son activité en France au deuxième semestre 2003, et dispose de chantiers dans le sud-est et le centre de la France, selon la direction, qui précise employer environ 100 salariés sous contrat de travail portugais et 50 sous contrat français.
"C’est légal et c’est prévu dans les règles communautaires", a déclaré le directeur commercial de Constructel, Luis Cunha, joint par téléphone.

"C’est légal"

"Il y a la possibilité d’avoir un détachement des moyens opérationnels d’un pays à un autre pendant une période de deux ans. La période de deux ans est en train de se terminer, et nous sommes en train de faire basculer les salariés qui veulent se maintenir en France sous des contrats français", a-t-il affirmé. "Tout est illégal là-dedans", a dénoncé un membre de la direction départementale du Parti communiste à Valence, Jean-Pierre Basset. "L’entreprise doit embaucher les salariés aux conditions sociales du pays d’accueil, tandis que ceux-là sont embauchés aux conditions du pays d’envoi", a-t-il dit.
"La directive Bolkestein (sur la libéralisation des services) n’est pas encore applicable", a ajouté Jean-Pierre Basset.

60 heures par semaine

Les salariés sous contrat portugais sont payés entre 1.300 et 1.500 euros par mois mais travaillent jusqu’à 60 heures par semaine, a quant à lui déclaré Claude Caumel, délégué du personnel Sud-PTT à France-Télécom dans le Languedoc-Roussillon, où est également implanté Constructel.
La direction de Constructel a assuré de son côté que les conditions de travail des salariés embauchés sous contrat portugais étaient avantageuses puisqu’ils disposaient de primes diverses.

Nouvelobs.com


France Télécom, donneur d’ordres


Article paru dans l’Humanité du 23 avril 2005

L’omerta règne autour du cas Constructel. Dans un document classé « Dossier politique confidentiel », on apprend comment l’entreprise réduit de façon drastique ses coûts en utilisant sur le sol français une main-d’oeuvre portugaise très bon marché.

« C’est un peu par hasard que nous avons eu connaissance de l’accident », explique Yves Le Dain. Technicien d’intervention client à France Télécom, il est aussi délégué CGT au CHSCT territorial Languedoc-Roussillon. C’est en participant le 26 juillet 2004 à une réunion extraordinaire du CHCST que « nous avons eu vent, par l’intervention du délégué SUD PTT, d’un certain nombre de malfaçons quant à la mise en place des poteaux téléphoniques », explique-t-il. « De tels dysfonctionnements dans l’ingénierie posaient des problèmes de sécurité évidents pour les salariés chargés d’intervenir sur le réseau », relève Yves Le Dain. « C’est en interrogeant des chefs de service que nous avons su qu’un ouvrier portugais de la société Constructel s’était gravement blessé lors d’une pose de - poteaux au printemps 2004. Cette entreprise intervenait comme sous-traitant de France Télécom sur un chantier dans l’Aude », précise le délégué CGT, avant d’ajouter : « Mais suite à l’accident, aucune réunion du groupe d’analyse et de prévention n’a été convoquée. » Pourquoi ?

L’omerta semble régner autour du cas Constructel. Et pour cause ! France Télécom l’utiliserait pour pratiquer des « délocalisations inverses » dans le cadre du programme Top Sourcing. C’est ce qu’affirme une étude dont l’Humanité a obtenu copie. Le document, classé « Dossier politique confidentiel », a été menée par Claude de Jacquelot, consultant du secteur des télécoms, pour le compte de l’ACNET, un syndicat professionnel de sous-traitants français.

Le schéma est le suivant. France Télécom, donneur d’ordres, passe un contrat de sous-traitance avec l’entreprise Constructel, société de droit français, mais appartenant au groupe portugais Vasabeira. Constructel, pour honorer sa prestation, fait appel lui-même à la société Viatel, société de droit portugais et appartenant au même groupe Vasabeira. Viatel, en bout de chaîne, fournit et envoie en France de la « main-d’oeuvre portugaise peu ou pas qualifiée », explique le document. Selon une annexe jointe au document, France Télécom se justifie en expliquant que « le détachement de personnel de Viatel est parfaitement licite au regard du Code du travail ». En effet, l’entreprise française de télécommunications joue sur les nombreuses failles et dérogations du droit européen (voir article ci-dessus), ce qui lui permet de faire travailler sur le sol français une main-d’oeuvre portugaise aux conditions sociales du Portugal. Du Bolkestein avant l’heure ! Les ouvriers portugais sont payés au taux horaire minimal portugais de 3,61 euros (au lieu des 7,64 euros pratiqués normalement en France). De plus, « les salariés ne respecteraient pas la durée de travail et donc pourraient produire plus ». Grâce à ce système de « délocalisation inverse », France Télécom paierait un « minimum de taxes ». L’auteur de l’étude donne l’exemple des cotisations sociales patronales, qui sont d’environ 24 % pour une fiche de paie portugaise et de 60 % pour un bulletin de salaire français. De même, l’étude fait état de « logement précaire dans les locaux fournis par Constructel près de Valence », ce qui encore une fois se ferait en dépit des normes relatives à l’hygiène et à la sécurité en vigueur en France.

Un tel système est, semble-t-il, répandu dans la région du Languedoc-Roussillon, et pourrait l’être ailleurs. L’accident survenu dans l’Aude au printemps 2004 en dit long sur les conditions d’utilisation d’une main-d’oeuvre européenne bon marché. En effet, France Télécom a trouvé là un moyen de réduire une dette abyssale (70 milliards d’euros) qui avait, en 2002, effrayé les marchés financiers. La direction du groupe s’était alors lancée dans un vaste programme de réduction des coûts.

Le plan TOP, présenté par Thierry Breton (à l’époque PDG de France Télécom), prévoyait 45 milliards d’économies en trois ans, dont 15 milliards d’économies uniquement par une « réduction des frais généraux », une « rationalisation des prestations » ou encore une « réduction des charges d’exploitation » (l’Humanité du 6 décembre 2002). La direction de France Télécom se vante aujourd’hui d’avoir atteint en peu de temps ses objectifs financiers. On comprend mieux comment !

Sébastien Ganet