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POLITIQUE ETRANGERE ET DE DEFENSE EUROPEENNES (par Raoul Marc JENNAR)

Publie le samedi 21 mai 2005 par Open-Publishing

Voici le 2ème texte trouvable sur le DVD

(A diffuser massivement)

"LA CONSTITUTION OFFRE-T-ELLE LA GARANTIE DE POUVOIR METTRE EN ŒUVRE UNE POLITIQUE ETRANGERE ET DE DEFENSE EUROPEENNES ?

La tragédie du peuple palestinien, la guerre du Kosovo, l’invasion de l’Irak et jusqu’au minuscule différend entre le Maroc et l’Espagne pour la souveraineté d’une petite île ont illustré, jusqu’à la caricature, l’incapacité de l’Union européenne à intervenir comme acteur décisif dans des questions de politique étrangère.

L’Union européenne est d’une passivité affligeante en face de drames qui requièrent pourtant une action si les valeurs qu’elle proclame ont un sens. Non pas l’action d’une puissance impériale, mais celle d’un gardien du droit international. Ce qui pose la question d’une capacité européenne autonome.
Or, la Constitution proposée prend exactement le chemin inverse. Elle conforte la subordination des pays européens et de l’Union européenne à la politique des Etats-Unis, pays qui exerce le contrôle politique et militaire de l’OTAN.

La Constitution proposée précise que la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne « respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’OTAN. » Le texte précise que cette politique de sécurité et de défense commune est « compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans le cadre de l’OTAN » (I-41,2). Il ajoute que « les engagements et la coopération demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’OTAN qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en oeuvre » (I-41,7).
En matière de capacités militaires, la Constitution ne parle pas des capacités militaires de l’Union, mais de celles de chaque Etat : « les Etats s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires » (I-41,3). Ce qui laisse la porte grande ouverte aux interventions du complexe militaro-industriel dans les Etats européens où il existe, mais facilite également l’accès du complexe militaro-industriel américain aux contrats nationaux d’acquisition de matériel de guerre, aucun Etat n’ayant d’obligation européenne en la matière. L’exemple des achats polonais (ce n’est pas le seul) aux Etats-Unis n’a pas servi de leçon.

La Constitution proposée renforce le projet de zone atlantique commune. Comme l’écrit Jean-Claude Casanova, un partisan du texte proposé, « cette Constitution consacre le triomphe politique de la Grande Bretagne puisqu’elle aboutit à (...) une Europe dans laquelle le Royaume-Uni serait à la fois le pivot politique parce qu’elle en aurait fixé les règles et les limites, et la charnière avec les Etats-Unis dont il est le voisin et parent. Dans l’Euramérique qui se profile, l’Angleterre tient un rôle central...[7] »

LA CONSTITUTION PROTEGE-T-ELLE LES EUROPEENS CONTRE LA MONDIALISATION NEOLIBERALE ?

La Constitution proposée s’inscrit dans le courant néolibéral mondial appelé mondialisation néolibérale ou globalisation. Par définition, le néolibéralisme tend à réduire les fonctions de l’Etat à des activités sécuritaires. Conformément à cette doctrine politique, la Constitution (I-5,1) « respecte les fonctions essentielles de l’Etat, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale ». Nulle trace de fonctions opératrices, régulatrices ou redistributrices dans ce catéchisme néolibéral.
On ne s’étonnera donc pas que la Constitution proposée soit particulièrement restrictive dès lors qu’il s’agit de l’intégration européenne dans les domaines fiscaux et sociaux. Les dispositions qui permettraient d’harmoniser la fiscalité directe ou l’impôt sur les sociétés, de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, contre le blanchiment d’argent ou d’empêcher le dumping fiscal ne pourront être adoptées que si tous les Etats sont d’accord. De même, les mesures favorisant l’intégration de politiques sociales ainsi que les décisions de nature à éviter le dumping social exigeront l’accord unanime (III-171 et III-210). Par contre, les dispositions destinées à concrétiser les quatre « libertés fondamentales de l’Union européenne » liées à la liberté d’établissement et de circulation pourront être décidées à la majorité. La Constitution proposée s’inscrit ainsi dans le droit fil des textes fondateurs de la mondialisation néolibérale arrêtés au sein de l’OCDE, du FMI, de la Banque Mondiale et de l’OMC.

Daniel Cohn-Bendit et Alain Lipietz, des députés européens (Verts), rejoignant le social-démocrate Pascal Lamy, proclament en chœur que « l’Union européenne, c’est la première réponse à la faillite de l’OMC [8] » Ils ajoutent que le choix n’est pas entre la Constitution proposée et un texte idéal, mais entre cette Constitution et les traités existants tels qu’ils sont compilés dans celui de Nice.

Or, le chapitre consacré à la politique commerciale commune (III-314 et 315) confirme les orientations des traités antérieurs. Il ne les corrige pas, loin s’en faut. Contrairement à ce qu’affirment les libéraux de gauche, la Constitution proposée met les peuples d’Europe en état d’être complètement soumis aux accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et aux choix fondamentaux de société qu’ils comportent.

Pire : l’article I-12 de la Constitution proposée précise que « lorsque la Constitution attribue une compétence exclusive dans un domaine déterminé, seule l’Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement obligatoires. » Et l’article I-13 classe la politique commerciale commune dans le domaine des compétences exclusives. Les Parlements nationaux sont donc totalement dépouillés de la moindre capacité d’influencer les accords commerciaux internationaux dont on sait qu’ils sont décisifs pour la manière dont nos vies sont régentées.

La Constitution proposée soumet bien les peuples européens à une Union européenne qui adhère pleinement aux objectifs de la mondialisation néolibérale. Elle consacre la prééminence d’objectifs commerciaux, économiques et financiers sur les autres aspects de la vie en société, tout en privant l’Union des pouvoirs qui lui permettraient d’agir dans des secteurs aussi importants que le contrôle et la taxation des mouvements de capitaux (III-156).

En fait, avec cette Constitution (III-315), toutes les matières gérées par l’OMC et celles qu’on y ajoutera seront traitées à la majorité qualifiée au sein des institutions européennes, à l’exception des services sociaux, de santé et d’éducation. Les droits de propriété intellectuelle et l’investissement étranger direct feront également l’objet de décisions prises à l’unanimité lorsque celle-ci est requise pour l’adoption des règles européennes (III-315,4). Si l’unanimité reste également requise pour la culture et les services audiovisuels, les services sociaux, de santé et d’éducation, cette garantie est désormais conditionnée par la nécessité de prouver qu’il y a un risque pour la diversité et l’existence de ces services ; en l’absence d’une telle preuve, la décision se prendra à la majorité. Il n’est pas indiqué à qui incombera la charge de prouver qu’il y a menace. Il est certain que le pays qui tentera de le faire sera accusé de remettre en cause un accord commercial déjà négocié et approuvé par le négociateur unique de la Commission européenne.
En dehors de ces exceptions, un État seul ne pourra plus empêcher une décision si elle recueille la majorité. Il faut signaler que le projet de Constitution issu de la Convention, projet résolument soutenu par les Lipietz et les Strauss-Kahn, avait, à la demande de la Commission, abandonné l’exigence d’unanimité pour les services sociaux, de santé et d’éducation, exigence qui se trouvait dans le traité de Nice. C’est sur l’insistance de la Finlande et de la Suède que cette exigence a été rétablie par la CIG, mais elle est soumise à l’obligation de prouver qu’il y a un risque pour ces services.
Le processus de prise de décision est inchangé. Le Comité 133 est maintenu. Il sera sans doute rebaptisé par son nouveau numéro (315). Dans le secret des délibérations, à partir de documents qu’aucun parlementaire national ou européen n’a le droit de consulter, des hauts fonctionnaires de la Commission et des Etats membres, c’est-à-dire des personnes qui n’ont aucune responsabilité devant les citoyens, vont continuer à procéder à des choix de société fondamentaux.

La Commission européenne, dont les pouvoirs sont ainsi considérablement renforcés, va être en mesure de mieux encore répondre aux attentes des milieux d’affaires, par exemple, en favorisant l’expansion des organismes génétiquement modifiés, en poussant encore davantage les négociations à l’OMC dans le sens de la libéralisation des investissements, du renforcement des droits de propriété intellectuelle sur les espèces vivantes et sur les médicaments ou de la privatisation des services.

L’article III-314, consacré à la politique commerciale commune, constitue un exemple spectaculaire de l’orientation idéologique de ce projet de Constitution, puisqu’il assigne à l’Union « la suppression des restrictions aux investissements étrangers directs ». Or, au même moment, la Banque mondiale reconnaît, à partir d’une étude portant sur les investissements dans trente et un pays au cours des vingt dernières années, que la libéralisation du régime de ceux-ci ne provoque pas pour autant leur augmentation. Mais tel n’est pas le but de cette orientation. Les auteurs de la Constitution proposée ont simplement répondu là à une attente des milieux d’affaires, qui voudraient ne plus avoir à tenir compte des législations fiscales, sociales et environnementales des pays où ils investissent, législations considérées comme des restrictions à leurs activités. En conséquence, adopter cette disposition de la Constitution signifie donner le feu vert au retour de l’Accord multilatéral sur l’Investissement (AMI) rejeté en 1998.

Les effets conjugués des articles I-13 (compétences exclusives de l’Union dans la quasi-totalité des matières liées au commerce international), III-122 (services d’intérêt économique général), III-175 (droits de propriété intellectuelle), III-314 et III-315 (politique commerciale commune) fournissent pleinement et durablement les moyens d’imposer les accords de l’OMC aux peuples d’Europe.

Ce projet de Constitution ne protège donc pas contre la globalisation, il nous y soumet.

Raoul Marc JENNAR
http://www.urfig.org

[1] Discours devant le TABD, Bruxelles, le 23 mai 2000.
[2] Discours devant le TABD, Berlin, 29 octobre 1999.
[3] Newsweek International, 1 février 1999.
[4] COM (2000)580 ; COM(2003)270 ; COM(2004)374.
[5] Pour l’Europe, Paris, Seuil, 2003 p. 143.
[6] Le Monde 20 septembre 2003 et 3 juillet 2004 etDocument intitulé « Nous Verts altereuropéens » signé par les têtes de liste des Verts français aux élections européennes, 3 mai 2004.
[7] Le Monde, 25-26 juillet 2004.
[8] Le Monde, 20 septembre 2003."