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Les constructions en bois, prisonnières de l’industrie chimique ?

par Pierre Fournier

Publie le vendredi 13 juillet 2018 par Pierre Fournier - Open-Publishing

Tous les ouvrages de construction composés de bois – des traverses de voies de chemin de fer aux maisons à ossature bois – sont traités afin de garantir leur résistance aux intempéries, aux champignons et aux insectes, source de pollution de l’air à l’intérieur des maisons en bois. Des obligations légales qui font les affaires de l’industrie chimique.

La nouvelle n’a pas fait la une des journaux au printemps, et pourtant elle concerne tous les citoyens français : le 23 avril, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire, chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a décrété une restriction drastique sur l’utilisation de bois traité à la créosote. « La créosote est une substance toxique pour la santé humaine et pour l’environnement, constate l’Anses dans son communiqué officiel. Elle a été utilisée dans une période de notre histoire industrielle pour la protection des bois en extérieur dont les usages ont été progressivement restreints. Afin d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, le ministère de la Transition écologique et solidaire, en lien avec le ministère de la Santé et le ministère de Travail, interdira d’une part, l’importation sur notre territoire des autres produits en bois traités avec la créosote et, d’autre part, la réutilisation des bois traités présents sur notre territoire. » La créosote – substance toxique cancérogène reconnue au même titre que l’amiante – avait en effet été largement utilisée par le passé pour le traitement du bois en extérieur.

Entre « risques acceptables » et « risques inacceptables »

Jusqu’à avril dernier, les bois concernés par ce produit chimique étaient limités aux traverses en bois de chemins de fer, aux poteaux électriques, aux installations maritimes ainsi qu’aux piquets de clôtures. Soit ce qui représentait un « risque acceptable », terminologie sur laquelle l’Anses a finalement tiré un trait, car professionnels et riverains pouvaient encore être largement exposés à ces objets, sources de contamination. Depuis la nouvelle directive, seules les traverses de chemin de fer sont encore autorisées. « Les produits biocides contenant de la créosote ne peuvent être autorisés, estime l’Anses, que pour les utilisations pour lesquelles l’Etat membre (de l’Union européenne) délivrant l’autorisation conclut qu’il n’existe pas de produits de substitution appropriés, sur la base d’une analyse de faisabilité technique et économique de la substitution ». En France, la SNCF a par exemple commencé à remplacer les traverses en bois par des traverses en béton.

Les pouvoirs publics ont décidé de prendre ce sujet à bras le corps, même s’ils ne sont pas encore assez audibles auprès du grand public. Le ministère de la Transition écologique et solidaire, en lien avec ceux de la Santé et du Travail, tente par exemple de mettre en garde les riverains – principalement en zones rurales – sur le fait de ne pas laisser les enfants jouer près d’anciennes lignes de chemin de fer, de ne pas couper ou faire brûler d’anciennes traverses en bois, d’anciens poteaux électriques, ou de planches utilisées pour construire les granges au siècle dernier. Selon l’Anses, les traitements de poteaux électriques et de clôtures présentent aujourd’hui « des risques inacceptables pour l’environnement en raison notamment des quantités de produits auxquelles seraient exposés certains compartiments terrestres ou marins ». Au-delà du grand public, les ministères concernés ont décidé d’associer à leurs efforts plusieurs opérateurs comme la RATP, la SNCF, Enedis, l’Association des maires de France, l’Association Robin des Bois ou encore le Cercle national du recyclage. Objectif : assurer la meilleure prise en charge possible des pièces de bois traitées, en fin de vie.

Le gouvernement Philippe a également mis le sujet au menu des discussions de la Commission européenne, afin d’amener l’Europe à généraliser ce type de dispositions et d’interdictions. Car dans le domaine du bois de construction, la France est largement importatrice et la traçabilité du bois importé d’Europe de l’Est ou de Sibérie est parfois sujette à caution. Le trafic du bois dans ces régions est documenté, et des bois toxiques peuvent encore pénétrer l’espace économique européen. Et à cela s’ajoute un autre facteur d’inquiétude : la créosote n’est pas la seule dans le box des accusés.

La liste des produits chimiques est encore longue

Le processus de traitement du bois – par trempage ou par pulvérisation à haute pression en autoclave – est aujourd’hui obligatoire afin d’éviter les dégâts dus aux champignons, aux insectes et à l’humidité, et pour ralentir la combustion en cas d’incendie. Si, par le passé, certains traitements étaient naturels (cire d’abeille, huile de lin, colophane…) ou dépendaient de techniques propres comme le séchage ou la rétification (procédé de traitement thermique), la plupart font aujourd’hui intervenir des produits chimiques et toxiques pour la santé humaine. L’avènement de l’industrie chimique dans la seconde moitié du XXe siècle n’y est évidemment pas étranger. Et aujourd’hui, les intoxications par les artisans, les ouvriers professionnels ou les simples bricoleurs du dimanche ne sont pas rares, plusieurs pesticides contenant encore des métaux lourds (chrome, arsenic, cuivre, plomb…).

La prise de conscience des autorités et des industriels est finalement assez récente. En 2000, la Commission européenne a poussé les industriels à réduire l’utilisation du principal accusé, l’arsenic : « Quelle que soit sa classification (déchet dangereux ou non dangereux), le bois imprégné ne peut être recouvert ou éliminé qu’en conformité avec les dispositions de l’article 4 de la directive 75/442/CEE, c’est-à-dire sans mettre en danger la santé de l’homme et sans porter préjudice à l’environnement, et notamment sans créer de risque pour l’eau, l’air ou le sol, ni pour la flore et la faune, sans provoquer d’incommodités par le bruit ou les odeurs et sans porter atteinte aux sites et aux paysages. » En France, la réglementation sur les traitements locaux a dressé une liste d’interdiction complète, outre la créosote : distillats de goudron ou de houilles, huiles de naphtalène, fractions acénaphtalènes, huiles anthracéniques, phénols de goudrons, pentachlorophénol ou hexachlorobenzène…

Parmi tous ces produits que l’industrie chimique écoule auprès de l’industrie du bois, ce sont encore les dérivés de l’arsenic qui posent le plus de problèmes. Interdit depuis les années 90 dans presque tous les pays européens car considéré comme extrêmement toxique, l’arséniate de cuivre chromé se retrouve encore dans des bois traités. Des pays producteurs de ce produit, comme la Grande-Bretagne, ont même vendu des stocks importants à des pays africains (ex : 200 tonnes vers l’Ethiopie en 2002). En 2004, la France a quant à elle interdit l’utilisation de l’arsenic et de ses dérivés pour le traitement du bois, tout en octroyant de nombreuses dérogations. Sur la liste de ces produits se retrouvent l’arséniate de cuivre ammoniacal (ACA, toxique pour l’environnement et non biodégradable), l’arséniate de zinc ammoniacal (solvant), l’éthyloamine de cuivre (toxique pour le milieu marin) … L’industrie chimique doit pouvoir proposer aujourd’hui des produits alternatifs à ces produits interdits. Le borate de sodium a, par exemple, été introduit pour pallier l’utilisation de l’ACA, mais présente des propriétés utiles uniquement pour des bois non exposés aux intempéries, et ne convient donc pas à toutes les pièces de bois de construction.

Le respect des normes antifongiques, insecticides et ignifuges est un véritable casse-tête pour les fabricants, entre sécurité et toxicité pour l’être humain. L’industrie du bois est aujourd’hui tributaire des interdictions toujours plus nombreuses en ce qui concerne les traitements, et donc des produits mis au point par l’industrie chimique.

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