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Penser ce qui compte

par Jean-Luc Mélenchon

Publie le vendredi 26 octobre 2018 par Jean-Luc Mélenchon - Open-Publishing
5 commentaires

Que tous les leaders de mon style fassent l’objet dans tous les pays du monde du même type de choc frontal médiatico-judiciaire ne serait qu’une coïncidence. Que partout en Europe l’action syndicale ou écologique soit criminalisée comme jamais et que l’on franchisse en France un seuil en s’attaquant à la sphère politique parlementaire ne serait pas une interrogation angoissante. Que le principal parti d’opposition en France voie ses fichiers d’adhérents confisqués, dix de ses membres perquisitionnés, trois sièges politiques envahis et interdits d’accès à ses dirigeants, ce ne serait pas un problème. Que trois sièges de modestes entreprises privées soient perquisitionnés, ce ne serait pas le sujet. Que pour le faire cent policiers soient mobilisés plus une bonne dizaine de représentants des magistrats dans cinq villes du pays n’est pas le signal d’une démesure ostentatoire et coûteuse. Que des chiffres tournent en boucle qui sont faux et déjà démentis depuis des mois n’est pas le signal d’une volonté de nuire exclusive. Que toute la presse en boucle reprenne les mêmes deux minutes d’images dans un moment tendu qui a duré près d’une heure et ne montre aucune image des militants bousculés ou jetés à terre ce n’est pas le sujet. Bien joué « propaganda ». Qu’elle passe son énergie à justifier l’action gouvernementale plutôt qu’à en interroger les accusés, ce serait normal. Que des dirigeants soient empêchés d’entrer dans leur propre local dans lequel on se livre à des actions légalement discutables, ce ne serait pas le sujet. Qu’un procureur laisse des procès-verbaux être publiés sans se demander qui les distribue et s’il ne s’agit pas d’un cas de corruption dans ses propres services, ce ne serait pas une question. Que la procureure n’ait de mots que pour se déclarer solidaire d’une des parties d’un conflit sur lequel elle est censée enquêter, ce ne serait pas le sujet. Que la Garde des Sceaux qui a couvert tout cette opération n’ait pas un mot pour rappeler à l’ordre les branches de la justice dont elle est le chef administratif, ce serait normal. Je doute que ses refrains sur la justice « indépendante » à propos d’action de parquet lui aient valu autre chose que le mépris intellectuel des gens informés sur le sujet. Que la vie privée des perquisitionnés soit foulée au pied de toutes les façons par des confiscations sans objet et des révélations qui n’en sont pas ce ne serait pas un sujet. Que soit accusée de surfacturation la campagne la plus longue et la moins chère des cinq premiers de cette élection, ce ne serait pas une énigme. Que le PS ait dépensé en trois mois autant que nous en un an et que nous soyons les accusés ce n’est pas le sujet. Que des faits avérés de surversement de dons et de dons d’entreprises affectent le compte du vainqueur désormais néanmoins Président de la République, cela ne compte pas.

Ce qui compte, ce qui serait central, ce serait ma colère et son spectacle, ma protestation et mes mots pour la dire jugés désuets. Naufrage total de la pensée. Ma colère est condamnée de toutes les façons possibles, interminablement, en boucle. Bien joué « propaganda ». Car du coup ses causes sont effacées. Et cette colère, ce serait le seul sujet. De la sorte, qu’ils le veuillent ou non, par pur corporatisme, par une haine dont je ne m’explique plus l’inépuisable obsession, des légions de gens de média dont le métier devrait être d’aider à penser et à comprendre s’acharnent à empêcher leur public de le faire. Des gens qui devraient défendre la liberté et la démocratie passent leur temps à justifier un coup de force inouï et sans équivalent en Europe. Et cela à l’heure même où les droits et libertés semblent bien menacés partout. Le parti médiatique mène sa campagne contre les Insoumis avec, quel que soit le titre, les mêmes mots, les mêmes images, les mêmes « angles » pour amener les mêmes conclusions et suggérer les mêmes comportements. Des partis et des médias dits « de gauche » qui auraient hurlé au fascisme pour trois fois moins autrefois se réjouissent et jettent sur nous quand ils le peuvent leur propre pierre. Et ainsi de suite.

Tout cela est politique. Le but est notre destruction au profit « d’oppositions » plus accommodantes et plus confortables, plus maîtrisables. Il faut donc en retour politiser notre riposte. C’est le choix que j’ai fait avec les députés le jour et à l’heure où nous avons compris que c’était une razzia politique et non une action de justice qui se menait contre nous. Mais pour agir à bon escient, il ne faut pas s’arrêter aux impressions de l’instant. Mes choix de réaction, mes comportements n’ont jamais été callés sur les moments dans lesquels ils prennent place mais dans la signification que je veux leur donner dans le temps moyen et long.

Telle est ma pratique du judo politique avec l’énergie toujours disproportionnée que libère la boucle médiatique. Le parti médiatique ne peut travailler que dans le court terme. Par obligation, il sautille d’un sensationnel à l’autre. Quand ses klaxons et ses prises à la gorge se transportent sur une autre scène saignante, le moment redevient celui de la conscience et de l’assimilation raisonnée des faits. Et dans cet espace entrent l’action militante, les vidéos, les textes, les meetings, les rencontres les débats.

Ce que nous venons de vivre comporte une ample moisson d’apprentissages. Vous avez vu les méthodes utilisées contre nous et déjà vous les décryptez. Vous avez vu les personnages, du type Plenel, et vous avez mieux compris l’infamie que tant de personnes dans ma génération leur attribue, vous avez vu un déploiement du parti médiatique et vous avez admis sa réalité si vous n’en étiez pas convaincus.

Alors je sais que notre travail d’éclaireur est fait. Dans le projet de Sixième République et de Révolution Citoyenne, nous ne construisons pas un parti révolutionnaire. Nous aidons à faire émerger un peuple révolutionnaire, formé et éduqué politiquement par lui-même et ses rencontres avec les évènements. Cette séquence n’a ébranlé que les moins préparés. Elle a déstabilisé les moins intéressés à décrypter. C’est normal. Pour beaucoup la politique est un sujet second ou moins encore dans leur vie. Mais eux aussi vont réfléchir et comprendre comment le pouvoir politique et sa caste médiatique ont voulu les manipuler. J’en suis certain quand je vois la masse des messages de solidarité que j’ai reçu. Et davantage encore en accueillant les petits mots et gestes amicaux dans la rue depuis une semaine. Les sondages et les micros trottoirs sont un aspect de la réalité. Ils comptent, cela va de soi. Les médias bourreurs de crânes politiques ont leur efficacité. Sinon, seraient-ils payés pour diffuser de la pub qui vous pousse à l’achat de choses dont parfois vous n’avez pas besoin ?

Mais la lutte est aussi une école. Et voir lutter fait aussi réfléchir. Ainsi, d’une épreuve à l’autre la conscience populaire élargit ses perceptions du moment et des tâches. Au total, il y a dorénavant davantage de gens qui se sentent « insoumis » du point de vue intime que ce mot décrit. Il y a davantage d’insoumission disponible. Pour rester dans le ton que j’ai donné dans les moments les plus intenses, je dirais que mon comportement est un mode d’emploi de la situation pour les désemparés. Personne n’a envie d’imiter un modèle comme celui des éditocrates qui catéchisent leurs auditeurs. Dans le peuple ils sont méprisés. Surtout quand on connaît leur paye car on devine aussitôt quelles sont les laisses qui les lient au système. Mais comme ces députés insoumis en écharpe qui bravent l’arbitraire et la meute, nombreux sont ceux qui se sentent représentés par eux et voudront agir dans leur esprit le moment venu. C’est notre but.

PS : Qu’après le passage de la perquisition mon ordinateur et mon téléphone aient un fonctionnement erratique ce ne serait pas un problème. Qu’il m’ait fallu cette épreuve pour décider de ma rupture avec la totalité, sans exception, de ceux dont j’avais cru qu’ils étaient des interlocuteurs loyaux sur la scène médiatico-politique prouve une certaine naïveté de ma part à l’égard de la caste et de ses subalternes. Moi aussi, comme tout le monde, j’apprends en vivant. Que dans sa diffusion, certes confidentielle, le live de Médiapart puisse dire qu’il a « des preuves » de ma vie privée montre pourquoi tant de personnes respectueuses d’elles-mêmes ont raison de se désabonner. Que le même organe déclare mensongèrement que nous aurions su depuis des semaines que nous serions perquisitionnés ne montre pas seulement un mensonge délibéré à l’égard des lecteurs. C’est surtout un aveu. Eux savaient. Cela révèle une connivence que les liens familiaux et les achats de service expliquent facilement. Que plusieurs organes de presse aient préparé et décalé leurs parutions pour correspondre aux dates de ces perquisitions se comprend mieux alors.

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Messages

  • En période d’ultra répression où la démocratie bourgeoise montre qu’elle n’est qu’un masque de la dictature du capital, on doit mettre en veilleuse les désaccords.
    Donc j’approuve à 100 % ce que dit JLM ...

    J’ai quelque chose à ajouter. Toute la France éveillée sait que de nombreux cadres, DRH, ingénieurs, hauts bureaucrates des banques, ...etc. ont bénéficié de vacances payées non officielles ou de décharges de service non planifiées pour pouvoir militer pour Macron. Les journalistes font donc partie de la France qui somnole bercée d’illusions. Ils ne nous informent même pas sur ce que beaucoup d’entre nous savent et, en se comportant ainsi, ils nous montrent ouvertement un visage vitriolé par la servilité et, j’espère, par la cupidité ( sont ils bien payés pour accomplir ces besognes ? ).

    Ce triste épisode prouve que la France est devenue une république qui s’autorise des opérations de basse police - basse justice qu’elle dénoncerait si des faits analogues étaient commis à l’est ou à l’ouest, contre l’extrême droite violente et armée !

    Il est peut être un peu tard pour piger que cette grosse bavure est un test dirigée contre toutes les oppositions et que nous avons le droit sacré de nous insurger et le devoir indispensable de riposter, pas parce que nous sommes des démocrates petit bourgeois de l’article 35, mais parce que nous sommes surveillés, évalués, testés.

    JLM et la FI sont contraints de ne réagir que sur le terrain juridique et médiatique. Mais d’autres groupes, mouvements ou partis, qui seront perquisitionnés et brutalisés demain ( ou l’ont été hier ) ont parfaitement le droit de prendre des initiatives dépassant l’indignation.

  • D’accord avec tout. La droite est capable de pires saloperies et de nous mener vers la dictature si c’est son intérêt (voir le Brésil).
    Il y a eu un piège auquel toute réaction (servile ou contestataire) a été mise en scène par les médias.
    Exemple : sur mon téléphone médias, un article sur deux parle de Mélenchon dans des termes néfastes, en changeant de titre mais avec tout le temps les mêmes arguments. On sent bien le matraquage et les FI de fraiche date tombent dans le piège. Ceux ci manquent de culture politique. Fillon a été dégagé pour laisser Le Pen face à Macron, LFI doit dégager pour ne pas perturber Macron.
    Merci aux journalistes et à la Justice indépendante (et un peu à la police qui rappelons le a voté Le Pen à 75%).

  • L’affaire Macron ( Mélenchon)

    1- Il faut complètement oublier le temps ou en Europe ou aux Etats unis, la bourgeoisie faisait semblant d’être pour les libertés élémentaires. Cette époque est révolue.

    2- Aujourd’hui le capital , garce à ses medias de propagandes, des journalistes aux ordres et une justice à deux vitesses, est prêt à toutes les infamies, tous les mensonges et d’abjections pour rester le seul maitre du jeu

    3-Si cette affaire Macron( Mélenchon) s’était passé sous Sarkozy, toute la gauche aurait été dans la rue. Toute la gauche aurait manifesté.

    4- L’absence de solidarité des partis et des syndicats de gauche avec jean Luc Mélenchon et avec la FI est scandaleuse !

    • @Foolad ... Bravo ! CQFD ! Cet oubli de la solidarité inconditionnelle va coûter très très cher ... J’espère qu’ils vont se racheter en diagonale, par exemple en fracassant l’opération "flics dans les bahuts" et qu’ils n’hésiteront pas à cracher dans la gueule des profs pervers du hashtag "#pas de vague" ! Sinon ils devront se torcher le cul et mettre la main sur la couture du pantalon .
      NB : la campagne qui se prépare contre Sophia CHIKIROU ressemblera en pire à celle contre OBONO l’an dernier !

    • L’intervention de sophia Chikirou sur la BFM était claire , net et remarquable . La bourgeoisie et ses chiens de gardes n’aiment pas cela du tout !

      De toute façon La campagne contre la gauche radicale et ses vrais leaders va se poursuivre partout au monde