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« Ne vous suicidez pas ! Rejoignez-nous ! » : le slogan oublié par les géants du journalisme

par Frédéric Lemaire, Henri Maler

Publie le mardi 23 avril 2019 par Frédéric Lemaire, Henri Maler - Open-Publishing
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« Ne vous suicidez pas ! Rejoignez-nous ! » : ce slogan adressé aux policiers, entendu lors des manifestations des 13 et 20 avril, était sans doute incompatible avec le prêt-à-condamner dominant… C’est pourquoi les commentateurs professionnels ont préféré l’oublier pour se mobiliser exclusivement contre le pire – « Suicidez-vous ! » – scandé par quelques dizaines de personnes en fin de manifestation sur la place de la République. Indignation générale et escalade verbale.

Dès le samedi à 16h, à peine avait-elle eu lieu, la scène fut diffusée en boucle notamment sur les chaînes d’information en continu.

… prélude à une nouvelle diffusion en boucle de la scène et des condamnations…

… suivie dans la soirée et pendant toute la journée de dimanche des débats pompeusement présentés comme des « décryptages ».

Pour ne pas accabler nos lecteurs, nous reproduisons en annexe seulement quelques indices de ce matraquage.

Entre temps, les éminences de l’éditocratie purent, tout à loisir, condamner ce qui est condamnable en omettant consciencieusement ce qui ne l’est pas !


Condamnations

Jean-Michel Aphatie décréta que la « violence », « l’intolérance », la « haine » étaient depuis le début le cœur de la mobilisation des gilets jaunes :





Bruno Jeudy, éditorialiste de Paris-Match habitué des plateaux de BFM-TV, s’abandonna à une inhabituelle concision :





« Un degré de plus franchi dans la haine », asséna Christophe Barbier sur BFM-TV. « De la haine à l’état pur » s’indigna Alba Ventura sur RTL. « Imbécile et honteux » précisa Anne Sinclair (Huffington Post).

« Vermine », surenchérit enfin un très zélé serviteur du service public, oublieux de l’appartenance de ce lexique à la propagande d’extrême-droite dans l’entre-deux guerre :





À noter que la nuit du 20 au 21 avril porta conseil à notre vertueux penseur qui, vers 7h du matin, s’avisa qu’il valait mieux battre partiellement en retraite… dans l’intérêt de sa propre paix intérieure [1] :





Au moment où nous écrivons, les « décryptages » se poursuivent, après que Priscillia Ludosky et Jérôme Rodriguez (entre autres) [2] dénoncent « avec vigueur » les slogans invitant les policiers à se suicider « entendus très marginalement et pour la première fois lors de l’acte XXIII des gilets Jaunes, après plus de cinq mois de mobilisation [3] ».

Une fois de plus, comme ce fut le cas à propos de l’antisémitisme, on assiste ainsi à la construction d’un amalgame médiatique où quelques dizaines de manifestants deviennent, par la magie de la répétition en boucle des images, représentatifs de la totalité des gilets jaunes.


Omissions

Pourtant, s’ils en avaient pris la peine, les commentateurs patentés (dont certains se font passer pour des journalistes) auraient peut-être entendu un slogan qui s’est répandu dans les manifestations depuis plusieurs semaines. Inaudible dans la quasi-totalité des grands médias, on l’entendit au départ de la manifestation à Paris :





Également dans la manifestation de Toulouse [4] :





On l’aperçut sur des pancartes et sur des gilets jaunes [5] :









On l’entendit à Rouen où, les manifestants l’ont scandé avant d’observer une minute de silence en solidarité avec les familles des policiers qui se sont suicidés [6] :









Dimanche 21 avril à 13h30, le service Checknews de Libération (on peut s’en féliciter) s’avise, en réponse à des lecteurs, de rendre compte de l’existence de ces slogans.

Il n’empêche : ailleurs, le verdict simplissime est livré. Que voici :





De semaine en semaine, lors de chaque manifestation (ou presque) des gilets jaunes, c’est le même spectacle qui est offert par les grands médias. Des scènes de violences et d’agressions verbales, de préférence marginales et minoritaires, sont chargées de livrer le sens du mouvement dans son ensemble. Inutile, dans ces conditions, de s’informer pour informer : il suffit de bénéficier des échanges entre commentateurs professionnels pour commenter à son tour [7].

La fabrique des « débats » et des « polémiques » peut alors fonctionner à plein régime. « Comment les gilets jaunes sont-ils devenus antisémites ? » « D’où vient l’homophobie des gilets jaunes ? » « Pourquoi la haine anti-flic gagne-t-elle les manifestants ? » Questions de pure rhétorique auxquelles il est vain de tenter de répondre puisqu’elles reposent sur des généralisations abusives qui n’ont d’autre effet que de jeter le discrédit sur le mouvement que l’on fait mine d’expliquer.

Henri Maler et Frédéric Lemaire

Post-Scriptum

Comment se construit le discrédit qui, dit-on, s’abat sur le mouvement des Gilets jaunes ? Pour tenter de le comprendre, nous avons consulté un professeur de philosophie. Voici ce qu’il a déclaré :





Cette analyse lumineuse (qui concède, pour les minimiser, l’existence de violences policières) nous semble néanmoins incomplète. Un philosophe mieux avisé soutiendrait que ce mouvement, s’il s’est tiré une balle dans la tête (ce qui n’est pas établi), c’est avec le fusil tendu par la médiacratie. Ou, plus simplement, que certaines constructions médiatiques sont des armes.


Annexes : Dramaturgie rituelle

Acte 1 : une scène diffusée en boucle













Acte 2 : la diffusion en boucle de la scène et de ses condamnations














https://www.acrimed.org/Ne-vous-suicidez-pas-Rejoignez-nous-le-slogan

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