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Au-delà du congrès de la CGT : le syndicalisme au défi du « libéralisme »

par Eve76

Publie le jeudi 23 mai 2019 par Eve76 - Open-Publishing

Le 52ème congrès de la CGT clôturé, les défis auxquels la Centrale doit faire face, comme du reste tous les autres syndicats non collaborationnistes, demeurent. Difficultés reconnues par l’organisation syndicale, et auxquels les travaux du congrès ont eu l’ambition d’apporter une réponse.

Mais la véritable mesure du problème a-t-elle été prise ?

Le remodelage du monde opéré par le capital depuis plus de 40 ans…

Ces défis pour le mouvement syndical sont à mettre en regard des évolutions du capitalisme depuis plus de 40 ans, identifiés comme libéralisme, néo-libéralisme, prédation de la finance…

Cette offensive du capital est essentiellement appréhendée au travers de ses conséquences, de façon fragmentée. Or Il s’agit d’une offensive globale, qui assure progressivement son emprise sur le monde, avec une visée totalitaire en supprimant ou en ruinant tous les contre-pouvoirs possibles ou les espaces de liberté.

Le pouvoir capitaliste est un pouvoir de l’ombre. Il n’apparaît jamais comme tel, pourtant un plan d’ensemble s’est mis en place, à la fin des années 1970 et le début des années 1980, pour faire face à ces impasses. Diffusée à travers des réseaux comme la Tricontinentale, le forum de Davos, le groupe Bilderberg… et à travers tous les réseaux qui unissent les puissants des sphères économique et politique.

Cette offensive du capital n’a été possible que par des mesures légales, prises au nom de la puissance publique, qui ont institué ces règles du jeu mettant en concurrence les travailleurs du monde entier, et les Etats à travers les législations les plus laxistes en matière de droit du travail, de normes environnementales… Car le pouvoir capitaliste est un pouvoir de l’ombre, et il a besoin d’équipes politiques dévouées, bénéficiant si possible de l’onction démocratique, pour mettre en œuvre son programme.

Ce sont les États-Unis de Ronald Reagan et le Royaume-Uni de Margareth Thatcher qui ont commencé à instaurer cet ordre dans leur propre pays pour l’imposer ensuite au reste du monde. Ces politiques ont consisté à abolir toute forme de régulation imposée au capital, assimilée à des entraves à l’économie.

Ce processus se poursuit sous nos yeux, avec les accords internationaux qui, entre autres, soumettent les Etats aux « tribunaux d’arbitrage » ; les Etats, sous la menace d’avoir à dédommager les multinationales dont les profits auraient été bridés par les législations nationales, anticiperont les poursuites et s’abstiendront d’exercer à l’égard des investisseurs internationaux la moindre contrainte. Les Etats dans l’incapacité de protéger leurs populations vis-à-vis des empiètements du capital, voilà ce qui se joue actuellement, pas exactement sous nos yeux parce que tous ces processus se déroulent dans la plus grande opacité.


…oppose de fortes contraintes à l’efficacité des stratégies syndicales

Après ces décennies de libéralisme, le résultat est là : la désindustrialisation de la France. Or c’est autour des ouvriers d’usine qu’historiquement le syndicalisme CGT s’est construit. Les effectifs des bastions ouvriers se sont effondrés les petites et moyennes usines ferment leurs usines après les autres.

Cette désindustrialisation de la France génère le chômage ; l’économie de services –eux-mêmes menacés par les délocalisations, et réduits à la portion congrue quand il s’agit de services publics- ne peut compenser en termes d’emplois. Elle génère chômage, sous-emploi et précarité.

Or la syndicalisation s’effectue dans un cadre de socialisation, favorisé l’insertion stable dans un collectif de travailleurs. Les salariés précaires fréquentent les permanences juridiques des Unions locales, mais cela se transforme rarement en adhésion stable.

Aux causes objectives de la diminution du nombre de syndiqués, s’exercent également celles qui pèsent sur l’efficacité des modes d’action.

Au sommet de la production, il y a les multinationales donneuses d’ordres, qui ne produisent rien, mais mettent en concurrence différents prestataires et concentre ensuite la plus grosse part des profits. La production se trouve éclatée fonctionnellement et mondialement. Les patrons des entreprises qui restent en France sont beaucoup plus tributaires de leurs donneurs d’ordre que de leurs salariés. Les entreprises sous-traitantes sont parfaitement interchangeables, et indirectement, leurs salariés le sont aussi.

Les nouvelles règles du jeu « libéral » ont profondément affecté le rapport de force. En 1973, l’expérience des LIP avait suscité l’enthousiasme : si les patrons ne sont rien sans les travailleurs, les travailleurs, eux n’ont pas besoin de patron, disaient les ouvriers. Las ! Les propriétaires du capital, eux, pouvaient délocaliser les usines. Ils ne s’en sont pas privés.

L’État ne joue plus un rôle d’arbitre entre patrons et salariés. Bien au contraire il applique le programme du capital qui vise à réduire les rémunérations et les droits, et annihiler loi après loi le pouvoir des travailleurs de se défendre à travers la représentation syndicale : remise en cause de la hiérarchie des normes, facilitation des licenciements boursiers, attaque contre les instances de représentation du personnel…

Les FRALIB, dans leur lutte contre UNILEVER, s’étaient appuyés sur des procédures juridiques qui leur donnaient les moyens de tenir tête à la multinationale ; depuis les lois « Travail », ces procédures ne sont plus suspensives. Leur expérience, dans le contexte actuel, n’est pas reproductible.

La force actuelle de la CGT réside dans ses syndicats de terrain, là où les forces militantes sont implantées, qui parviennent tant bien que mal à limiter la casse, à faire respecter les droits qui restent aux travailleurs, à répondre à leur besoin de dignité. Quand le contexte le permet –quand les emplois ne sont pas délocalisables- des luttes victorieuses permettent d’engranger des gains significatifs. Mais si l’exaspération des travailleurs s’accroît toujours davantage, l’espace légal pour mener ses luttes, pour organiser les travailleurs, lui, se réduit de plus en plus.

Le syndicat perd de son attractivité, surtout auprès des jeunes. Les méthodes qui ont permis à la CGT de construire le rapport de force dans le passé ne fonctionnent plus. Les manifestations, « monstres » n’impressionnent plus le pouvoir ; la grève générale est rendue problématique par la vulnérabilité économique des travailleurs, la désarticulation des structures de production, l’absence de perspective. Le syndicalisme même s’il a engrangé quelques résultats, n’a pas pu s’opposer ni à la fermeture des usines ni à l’instauration des lois anti travail.

Se réinventer un avenir ?

Le piège tendu par le capitalisme au mouvement syndical se referme sur nous inexorablement. Ce n’est d’ailleurs pas propre à la France.

Il est plus que jamais nécessaire de comprendre que le répertoire traditionnel d’action est insuffisant. En fait, il n’a pas bougé depuis l’époque où la confrontation entre salariés et travailleurs se jouait dans le cadre national.

La CGT s’est donnée pour comme résolution de son congrès de se rapprocher du terrain et notamment des déserts syndicaux. Ce n’est pas la première fois que ce type de résolution est pris. Avec la baisse des heures de délégation syndicale dans les entreprises, la tâche n’en sera que plus difficile.

Sans réflexion sur les causes objectives qui brident les luttes et ne leur permettent pas de marquer des points, l’injonction « à se mobiliser » risque de rester lettre morte.

Pour une part, cet immobilisme est lié à l’institutionnalisation des instances syndicales, tout autant dépendantes de financements publics que des cotisations des adhérents.

Durant ce congrès, l’institutionnalisation de la CGT a été mise en cause à travers son adhésion à la C.E.S. Ce n’est pas la mention de la FSM dans une résolution de congrès qui va bouleverser la vie syndicale, mais elle témoigne que l’organisation est travaillée par cette question, et que les instances dirigeantes n’ont pas réussi à imposer totalement leur ligne.

La réflexion doit aller au-delà. La riposte à construire ne peut faire l’économie de la prise en compte des stratégies du capitalisme, basées sur la mondialisation. Il faut identifier ce qui lui a permis ade mettre la main sur toutes les ressources de la planète et d’inverser à la tendance séculaire d’amélioration substantielle d’amélioration de la condition des travailleur, sous l’action du mouvement ouvrier.

L’approfondissement de l’internationalisation des luttes est déterminante pour l’avenir du monde, tant le respect des travailleurs et celui de notre environnement vont de pair. Loin d’en rester à une solidarité de principe, la question de la recherche d’une nouvelle efficacité devrait être à l’ordre du jour. Les traités internationaux, au bénéfice exclusif du capital, ne nous en fourniraient-ils pas l’occasion ?

A travers la brume

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