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L’Etat veut mettre l’Aide Médicale d’Etat en miette au risque de perdre son âme

Publie le dimanche 19 juin 2005 par Open-Publishing

Concernant l’immigration dans notre pays, Monsieur Sarkozy propose notamment la sélection qualitative des étrangers autorisés à séjourner en France et d’autre part la suppression pure et simple de l’ A.M.E. (Aide Médicale d’ Etat)

Haro sur les pauvres, une fois de plus, notamment ceux qui fuient les 18 pays les plus pauvres (nous rencontrons nombre de patients originaires du Mali, du Sénegal, de la Mauritanie et du Burkina Faso) dont les pays les plus riches viennent d‘effacer princièrement « la dette »

Dès le 18 février 2003, les DNA annonçaient que notre pays comptait 1 million d’enfants pauvres (soit 8 % de l’ensemble de cette classe d’âge) et que ce handicap touchait particulièrement les enfants élevés par des femmes seules.

On retrouvait ce fléau principalement chez les personnes issues de l’immigration et « surtout celles récemment venues » qui courraient plus de risques en matière de précarité dans le domaine du logement, de la santé et de l’éducation.

Comment peut-on croire à l’heure de l’internet et du « village global » qu’une partie des pauvres de la planète n’aspire pas à trouver refuge chez nous ?

Par ailleurs, les statistiques le prouvent, les jugements de reconduite à la frontière sont en hausse, passant de 97.575 en 1999 à 111.107 en 2002.

Les reconduites effectives sont passées de 4350 en 98 à 7534 en 2002.

Et Monsieur Sarkozy d’en exiger le doublement pour 2005.

Les deux derniers gouvernements, dont la politique a été sanctionnée quatre fois par les urnes, menacent régulièrement, depuis décembre 2002, l’accès aux soins d’une population particulièrement démunie et sans défense : les étrangers en situation irrégulière qui bénéficient de l’ A.M.E.

Aujourd’hui, Monsieur Sarkozy parle de sa disparition pure et simple.

Quels sont les bénéficiaires de l’ A.M.E. ?

Loin d’être des profiteurs d’avantages sociaux et économiques qui cherchent à nous envahir et à menacer notre équilibre politique, ils sont nos « concitoyens de résidence » qui ont rarement fait le choix de l’exil.

Le plus souvent ils sont intégrés dans notre société par le travail (au noir, il faut bien donner à manger aux enfants) et par la scolarité obligatoire des enfants.

Chacun d’entre nous a déjà croisé la route de ces personnes, sans doute sans le savoir. Ces gens peuvent se retrouver du jour au lendemain sans soins médicaux courants depuis les dernières dispositions gouvernementales.

Sans couverture médicale, vers qui se tourner quand votre enfant présente fièvre nocturne à 40° alors que vous êtes une famille de 4 ou 5 personnes à partager un appartement de 2 pièces ou pire un studio ?

Or, c’est de cela dont il s’agit maintenant au prétexte de faire des économies pour la communauté. Mais pourquoi au détriment des plus faibles ?

Nous sommes convaincus, soignants et intervenants sociaux, que ce n’est pas en bafouant les droits vitaux de ces populations précaires (les plus vulnérables au plan sanitaire) et en leur interdisant l’accès aux soins que disparaîtront magiquement les problèmes de la pauvreté.

Nos arguments se situent à plusieurs niveaux :

 Au plan économique, les dépenses engendrées par l’AME représentent environ 0,5% des dépenses de soins..

Vous n’êtes pas sans savoir que les dépenses de santé ont augmenté en 2002 de presque 8%. Nous tenons à notre système de soins et partageons le souci civique de responsabiliser usagers et professionnels, tout comme vous.

La suppression de l’A.M.E. permet-elle une économie conséquente et prioritaire ? Nous pensons que non.

 Au plan médical pour les personnes concernées, il est bien connu qu’elles sont particulièrement vulnérables surtout pour certaines maladies (tuberculose en progression, par exemple)

Il n’est pas plus besoin d’être expert en santé publique pour savoir qu’une pathologie non diagnostiquée précocement et traitée en retard coûte plus cher au final à la collectivité (cancer, maladies infectieuses, maladies cardio-vasculaires, traumatismes psychiques...)

Nous retenons que ces mesures sont contre-productives au plan de la santé individuelle et publique.

 Au plan de notre éthique professionnelle, nous estimons que ces mesures instaurent une régression au regard de l’universalité de la Couverture Maladie Universelle et des principes de l’Aide Médicale d’Etat.

La justice dans le cadre des pratiques de soins ne se limite pas au droit.

Les médecins ont une obligation de moyens pour répondre à la souffrance de leurs patients et sont contre le principe d’octroyer des soins gratuits, pour préserver la dignité et la liberté de leurs patients, ainsi que la valeur de leurs actes.

Nous entendons donc mettre en garde contre les graves conséquences, liées aux projets de Monsieur Sarkozy, au plan sanitaire, économique, mais aussi politique (stigmatisation d’une frange particulièrement fragile de la population)

Quelles en seront les prochaines victimes ?

Nous invitons tous nos concitoyens à s’interroger sur le sens profond du mot solidarité et des moyens financiers que les collectivités publiques sont prêtes à mettre au service de cet idéal républicain.

Est-il vraiment nécessaire « d’entrer en guerre contre les immigrés » comme le dénonce le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP) dans un communiqué daté du 13 juin ?

Que vaudra alors le rappel à l’ordre du Conseil de l’Europe, via son Comité des droits sociaux, qui rappelait que le gouvernement français « ne saurait porter atteinte à la dignité humaine, dont l’accès aux « soins de santé constitue un préalable essentiel » et doit accorder un droit à l’assistance médicale à tous « les ressortissants étrangers, fussent-ils en situation irrégulière »

« La lutte contre un nombre inconnu de « profiteurs » ne justifie pas ce recul des valeurs chez nous, ni le recul sanitaire qu’il entraîne, pour les étrangers concernés comme pour leur entourage » (revue médicale Prescrire ,juin 2004)

Strasbourg, le 13 juin 2005.
Véronique DUTRIEZ vice-présidente du MRAP-67
Georges Yoram FEDERMANN médecin psychiatre

5 rue du Haut Barr
67000 Strasbourg
03 88 25 12 30