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Autoroutes : les petites arrière-pensées des sénateurs

par Paul

Publie le lundi 14 décembre 2020 par Paul - Open-Publishing

Le 18 septembre 2020, le Sénat rendait public le rapport de « la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières », commission présidée M. Éric Jeansannetas et avec pour rapporteur M. Vincent Delahaye. Si l’ambition de départ était bien de réaliser le premier document exhaustif et synthétique sur la question autoroutière en France, le résultat final n’a malheureusement pas échappé aux petits travers politiques habituels.

Selon l’Article 24 de la Constitution, le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Même si d’aucuns s’interrogent sur l’utilité du Sénat depuis des décennies (pensons à la « rénovation » du Sénat souhaitée par de Gaulle dès 1969…), il reste légitime que les Sénateurs se préoccupent des questions d’aménagement du territoire et d’infrastructures.

De fait, les autoroutes constituent le sujet idéal, non seulement parce que bien des inexactitudes ont été mises en avant par le pouvoir politique sur ce sujet depuis des années, mais aussi parce que le grand public (et une bonne partie des élus) comprend manifestement mal les concessions, ses principes, ses limites et son intérêt pour la collectivité. Sur ce point, les Sénateurs se sont fixé un objectif ambitieux : aboutir au premier document de référence sur la question, en dressant d’une part un état des lieux complet et précis des concessions autoroutières en France, tout en fournissant des pistes de réflexion pour l’avenir du système, censé prendre fin d’ici une bonne dizaine d’années pour les concessions dites « historiques ». Malheureusement, l’objectif n’est pas atteint.

Entre incompréhensions et calculs électoralistes

Il est vrai que les choses partaient sur de mauvaises bases, le communiqué de presse de présentation de la mission d’enquête parvenant mal à cacher quelques forts a priori contre les sociétés d’autoroutes. Rien d’étonnant à cela : depuis 10 ans, les pouvoirs politiques successifs instruisent à charge le dossier des autoroutes. Une telle unanimité cache mal une certaine démagogie, accompagnée d’arrière-pensées électoralistes : taper sur les autoroutes est facile et de bon ton dès qu’il est question de pouvoir d’achat ou lorsqu’il s’agit de s’en prendre aux supposées dérives du « grand capital ». Les sociétés concessionnaires d’autoroutes constituent une cible toute désignée, parce que tous les citoyens français savent ce qu’est un péage, et que tout le monde les trouve toujours trop chers.

Pourtant, si le rapport a bien un mérite, c’est celui d’expliquer les raisons d’une telle unanimité dans ces attaques, qu’il s’agisse de la droite ou de la gauche. L’histoire des autoroutes et de leur « privatisation » (le terme est trompeur dans le cas d’une concession) est avant tout celle de l’incompétence de l’État en matière de gestion d’entreprises. Problème : le procès en incompétence du politique n’est peut-être pas terminé.

En effet, le rapport de la commission d’enquête ne semble pas véritablement tirer les conclusions des éléments qu’il a pu rassembler : plutôt que de tirer les leçons de l’incurie de l’État, en particulier lors des vagues de privatisations des autoroutes entre 2004 et 2006, et aussi lors de « l’épisode Ségolène Royal » en 2014, les Sénateurs préfèrent visiblement s’en prendre à l’ART, pourtant créée en… octobre 2019 (en prenant la suite de l’ARAFER, Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières). En témoigne ainsi une partie de ses conclusions et de ses préconisations qui pudiquement appellent à un « renforcement de son rôle » et à « accroitre ses moyens ». Une façon pudique de dire que, pour les Sénateurs, l’ART ne s’est pas acquittée correctement de sa mission. Curieux réflexe de la part du Sénat que de taper sur une Autorité indépendante instituée par un vote au Parlement, qui n’a pas de plus de réels pouvoirs décisionnels en la matière, mais des pouvoirs d’audit et de contrôle.

Or, le problème n’est pas tant dans les contrôles, que dans l’incapacité des gouvernements successifs à non seulement comprendre le modèle des concessions, mais aussi à prendre des décisions de gestion cohérentes et allant dans le sens de l’intérêt général. En bref, le Sénat a surtout tiré sur les messagers, avec des recommandations qui laissent quelque peu dubitatif sur leur mise en pratique. On notera ainsi leur souhait de « négocier une amélioration du service aux usagers » en « incitant sans contreparties » à augmenter les investissements ou à faire évoluer - à la baisse, a priori - les tarifs des péages (recommandation numéro 3 de l’infographie du Sénat sur les concessions autoroutières). Il est assez sidérant de noter de la part du Sénat une telle méconnaissance des mécanismes économiques fondamentaux d’une entreprise : comment espérer négocier quoi que ce soit en demandant à des entreprises d’augmenter leurs dépenses et de baisser simultanément leurs recettes, tout en expliquant qu’il n’y aura pas de contreparties ?

La déception est à la hauteur des espoirs suscités par cette commission d’enquête qui devait produire une synthèse de référence sur la question des concessions autoroutières tout en permettant une poursuite des débats sur des bases plus apaisées. Et qui finalement, ne contribue pas à éclairer le débat. Plus préoccupant peut-être, certaines propositions de détail du Sénat semblent bien incongrues. Telle est la proposition numéro 27, qui suggère « d’examiner la possibilité de revenir sur des péages péri-urbains pénalisant pour les trajets du quotidien, en particulier le diffuseur de Dourdan (A10) pour les usagers locaux ». Derrière cette formulation anodine se cache une incongruité du rapport : celle de l’évocation du cas très particulier du péage de Dourdan dans un rapport qui se veut général et de portée nationale. Pourquoi ce péage en particulier ? Une association serait à l’origine de cette proposition : l’association « A10 gratuite », présidée par Jean-Claude Lagron. Elle n’est pas inconnue du Sénat : elle a déjà été reçue en 2017 lors d’un séminaire public organisé au palais du Luxembourg avec comme thème « les autoroutes au service de l’intérêt général, des populations et des territoires : l’action pour la gratuité des tronçons franciliens des autoroutes A10 et A 11 ». Ce séminaire était entre autres organisé par Vincent Delahaye, déjà sénateur UDI et actuel rapporteur de cette commission d’enquête. Mais Vincent Delahaye est surtout sénateur de l’Essonne, et le péage de Dourdan se trouve dans son département. Le sénateur a, par le passé, affiché plusieurs fois son soutien à l’association. On comprend mieux dès lors l’intérêt très particulier pour ce péage spécifique. Mais le principe confirme le biais pressenti : même une commission d’enquête sénatoriale peut avoir quelques arrière-pensées électoralistes.

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