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« Ne faut-il pas se méfier du revenu de base ? »

par Danièle Linhart

Publie le lundi 24 mai 2021 par Danièle Linhart - Open-Publishing
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Revenu de base

L’idée d’un revenu pour chacun sans condition risque de compromettre toute possibilité de repolitiser l’enjeu du travail et de lui restituer sa finalité citoyenne. La sociologue participera vendredi 11 juin au Forum Live « Revenu de base, et si on essayait ? » organisé par « Libération » et Solutions solidaires.

A priori, le revenu de base, c’est-à-dire un revenu pour chacun sans condition, semble susceptible de combattre la pauvreté et l’injustice sociale en aidant ceux qui ont des difficultés à trouver un emploi suffisamment rémunéré pour vivre correctement. Grâce à lui, ils ne seraient plus aussi dépendants du marché du travail.

Mais cela n’implique-t-il pas un renoncement majeur sur le front du travail ? Cela ne risque-t-il pas d’entériner les règles du jeu qui instituent les employeurs comme seuls décideurs de l’organisation du travail, de la hiérarchisation des compétences et de leur rémunération ? Si l’on dissocie travail et moyens de subsistance, ne considèrera-t-on pas que les revendications, les mobilisations et les luttes dans le monde du travail et notamment du salariat (qui concerne 88% des personnes en emploi) sont déconnectées des enjeux fondamentaux ?

Cela reviendrait à admettre que le seul véritable enjeu se résume à assurer la subsistance des moins « doués » ou « dotés » pour le travail tel qu’il a été historiquement construit. Quant aux autres, ceux qui trouvent « constamment » leur place sur le marché du travail, de quel droit iraient-ils critiquer le travail tel qu’il est organisé et décidé pour eux, puisqu’ils pourraient se contenter de travailler moins ou occasionnellement ?

Mais c’est oublier ce qu’est le travail dans nos sociétés. Loin de se réduire à un simple moyen de subsistance ou d’accumulation de fortunes, il correspond aussi à une activité fondamentale pour la constitution de l’identité sociale et citoyenne. Chacun travaille pour contribuer à la pérennité de la société, pour développer des compétences utiles, pour sortir de soi, s’ouvrir au monde extérieur. Nous exprimons, à travers le travail auquel nous consentons, que nous sommes tous interdépendants et que nous formons une société. Le travail est une activité centrale, c’est pourquoi il est fondamental qu’il corresponde à des valeurs professionnelles, citoyennes et éthiques auxquelles chacun peut s’identifier.

Or, le travail est pensé, organisé, conditionné par les employeurs, du secteur privé comme public, qui s’arrogent la légitimité de décider à la place de ceux qui le font et sans lesquels, évidemment, il n’existerait pas. Cela est institutionnalisé au cœur du contrat salarial par le lien de subordination qui est contraire aux principes mêmes de la démocratie politique et permet de dévoyer le travail de sa véritable finalité, à savoir satisfaire les besoins et les aspirations des citoyens, tout en préservant ceux des travailleurs.

Ce dévoiement s’opère de nos jours dans le cadre d’une rationalité économique ultralibérale qui se pare de modernisations managériales, censées répondre aux désirs les plus fondamentaux des consommateurs mais aussi des salariés, à qui il est demandé de s’impliquer corps et âme dans ce travail pensé par leurs employeurs pour prouver leurs qualités, leur excellence dans une démarche quasi narcissique : on n’est plus censé travailler pour autrui et pour la société, mais pour soi, pour se révéler à soi-même et s’imposer aux autres comme le meilleur. Le travail devient une affaire de happy few, de « talents » en permanence mis en concurrence, jaugés, jugés et évalués, et soumis à une activité intensive et exigeante, qui permet des économies d’emplois…

Ne faut-il pas se méfier du revenu de base qui, au nom d’une belle idée, risque de compromettre toute possibilité de repolitiser l’enjeu du travail et de lui restituer sa finalité citoyenne ?

 Daniele Linhart, Libération 21 mai 2021

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Messages

  • Etant donné les catégories sociales qui prônent cette idée, gauchistes abonnés au Figaro, bobo privilégiés, philosophes déblatérants et pas comiques, financiers, patrons de super marchés, espoirs de la gôche, écolos vert de gris européistes . . . .

    Il faudrait se méfier.

    Macron le petit organisera probablement un référendum sur le sujet après sa ré élection.

    Comme cela, le revenu de base pourra remplacer :
     La sécurité sociale,
     Les indemnités chômage,
     L’école gratuite,
     Une partie du salaire, qui lors de l’application de cette réforme, sera immédiatement baissé du même montant par les glorieux capitaines d’industrie français.

    Par ailleurs, ce revenu de base sera supprimable pour celles et ceux qui ne seront pas dans la ligne du gouvernement bien aimé.