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Laïcité et démocratie

Publie le mardi 12 juillet 2005 par Open-Publishing
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Par Kamel Ben Tahar CHAABOUNI
le mardi 5 juillet 2005

La majorité des démocrates arabes en général et tunisiens en l’occurrence, affiche une appréhension totale à évoquer dans leurs discours politiques le thème de la laïcité, de peur d’éveiller les vieux démons de la mécréance, du « kufr », de la « zandaqa » et que sais-je encore ! ! !

Il faut rendre un grand hommage à feu président Habib Bourguiba, pour son courage extraordinaire, inimaginable aujourd’hui d’aborder ce thème à partir de 1956 dans ses discours, de traduire cette vision prémonitoire dans la législation et surtout d’en faire un axe majeure de son action politique, alors que l’idée même d’évoquer cette question effraie penseurs, militants et hommes politiques de tout bord, en ...2005 !

Mais pourquoi, Bourguiba avait réussi là où nous avons peur d’échouer ? Pour quelles raisons l’idée de laïcité nous effraie ? Avons-nous peur de nous faire traiter de mécréants, de « kuffar », de « zanadiqa » ? Manquons-nous de courage, d’arguments philosophiques, théologiques, de tradition intellectuelle musulmane qui va dans le sens de la laïcité pour éviter d’évoquer le thème de la sécularité ? Les ultras islamiste et autres terroristes de la raison humaine et du libre arbitre, nous contraignent-ils par leur terreur à faire profil bas et à leur céder le terrain sur ce thème ?

Quoi qu’il en soit la question essentielle dans ce débat demeure de savoir si la démocratie, forme et système politique réclamée par tous les opposants politiques à la dictature est ou non compatible avec l’immixtion du religieux dans le politique ? En d’autres termes la séparation du temporel et du spirituel est-elle une condition essentielle de la démocratie ?

Pour Jean Bauberot, spécialiste français contemporain de la question, la laïcité est fondée sur trois principes fondamentaux : le respect de la liberté de conscience et du culte ; le refus de toute domination de la religion sur l’État et la société civile et l’égalité des religions et des convictions y compris le droit de ne pas croire. Pour le christianisme catholique, les rapports entre la religion et le politique étaient fusionnels il y a deux siècles, seul l’assaut critique et courageux des philosophes des lumières avait permis de remettre en question la prédominance de la religion sur la société civile et sur l’État, le coup de grâce fut asséné par la Révolution de 1789. Un concordat signé par Napoléon avec le Vatican avait ramené la paix entre le camp des ecclésiastiques et celui des laïques et mis fin à cette querelle. Enfin, la loi française de 1905 sur la laïcité et les amendements qui l’ont suivi, continue de réguler les rapports entre la religion, l’État et la société civile.

Malheureusement ces trois principes sus indiqués contredisent la vision même d’un certain « Islam », quant à la place de la religion dans la société et chez l’individu. Pour avancer dans les méandres de ce débat à la fois philosophique, théologique politique, il faudrait nous mettre d’accord sur le concept même d’Islam afin d’éviter les amalgames et les malentendus.

Une conception minimale de l’Islam, qu’aucune personne se réclamant de cette religion ne peut contester est une condition indispensable dans ce débat à hauts risques. Il est capital en effet de donner à l’Islam une définition stricto sensu. Une définition qui puisse constituer un dénominateur commun à tous les personnes, les tendances, les sectes, les écoles juridiques, les exégètes du Coran, les « madhahibs », les « milals » et autres « nihals » . Seule la réduction de l’Islam à son seul texte fondateur, à savoir le codex coranique « al-mushaf al-karim » est capable de réunir tout le monde se réclamant de l’Islam au-delà de leurs querelles et divergences. Toute définition extensive de l’Islam qui l’étendrai à la Tradition Prophétique « la sunna » et à l’Ijtihad susceptible de mener à la discorde et aux divergences est à bannir.

Certes l’Islam avait connu à ses débuts des recensions et des versions légèrement différentes du Coran, la dernière en date à circuler fût celle de Ibn Mas’ud, brûlée au IV s. de l’hégire (cf. à ce sujet « Kitab ikhtilaf al-masahif » d’Ibni Abi Daoud al-Sijistani, édition Jeffrey, voir aussi article Koran in Encyclopédie de l’Islam, 2ème éd. Brill). Le Coran demeure malgré, ses premiers balbutiements, et jusqu’à sa mise par écrit ordonnée par le troisième Calife Othman Ibn Affan, vingt ans après la mort du Prophète, un texte incontesté, hormis dans sa lecture qui a donné lieu à sept lectures canoniques. Ces divergences dans la lecture sont dues essentiellement à l’absence de points diacritiques et de vocalisation qui caractérisait la graphie arabe jusqu’au Xe siècle a.j. (cf. à ce sujet le Coran, F. Deroche, Puf, 2005).

Contrairement au codex othmanien « mushaf Uthman » qui a finit par rallier tous les musulmans, sunnites et chiites toutes sectes et écoles juridiques confondues et fait actuellement l’unanimité de tous les croyants, la Sunna prophétique a donné lieu à des divergences extrêmes et a provoqué la division des musulmans. Les sunnites pour qui la tradition prophétique est exclusive des gestes et propos de Mohamed, existe en plusieurs versions dont les plus célèbres devenues canoniques sont les quatre recensions de Bukharii, Muslim, al-Nasaii et Tirmidhii. Ces traditions ont été consignées par écrit environ deux siècles après la mort du Prophète. Pour les shiites, la tradition prophétique ne se limite pas aux dires et actes du Prophète, elle s’étend à ceux des « ahl al-bayt » c’est-à-dire, sa fille Fatima, son gendre Ali et ses deux petits fils Hasan et Husein mais aussi à tous leurs descendants appelés Imams. Les recensions les plus célèbres de Hadith shii ! te sont celles de Kulayni, « al-kafi » et celle de Ibn Babawayh al Qummi, « kitab man la yahdhruh al-faqih ».

Les divergences en matière de Hadidh, somme toutes légitimes, bénéfiques et utiles en matière théologique ne facilitent pas le débat autour de la relation entre les concepts de religion, spirituel, temporel, politique, démocratie et laïcité. Il est donc sain d’exclure de notre champ d’investigation et de débat le Hadith dont la teneur ne fait pas l’unanimité des musulmans. Seul le Coran peut être tenu pour authentique et servir de base à toute dialogue et débat avec les tenants de l’Islamisme, c’est-à-dire les personnes et les courants politiques dont le seul programme politique et la seule constitution digne, à leur sens, d’être appliquée est le Coran.

Les Islamistes tunisiens, le parti d’ Ennahdha en tête, à l’instar des islamistes et autres Frères musulmans du monde entier, n’ont qu’un fantasme dont il caressent la mise en œuvre depuis la chute du califat musulman suite à la Grande Guerre, c’est la nostalgie de l’Etat de Médine, l’application de la charria, surtout de son volet pénal, et la restauration du Califat qui représente pour eux un modèle politique idéal à suivre de nos jours !!! Ce fantasme irréaliste est aux yeux des islamistes nostalgiques de la grandeur arabo-musulmane ( IVe-XIIe s.) la seule réponse capable de renouer avec la gloire et les fanfaronnades d’antan. Ce n’est nullement la mise sur l’enseignement et l’éducation, l’investissement dans la science et la recherche, l’industrialisation et la mise en place de régimes réellement démocratiques que se trouve le salut, c’est dans le retour en arrière, vers le temps mythique du Prophète et de ses illustres Compagnons que se trouve la solution à nos probl ! èmes de sous-développement général du XXI e. s. !!!

La Tunisie présente l’avantage d’être un pays quasi-homogène y compris sur le plan religieux en sus des plans ethnique et linguistique. Les berbères tunisiens ou berbérophones de Djerba et leur courant Ibadhite et ceux de Matmata et d’autres régions sont ignorés en tant que tels par le régime politique depuis 1956. Leur spécificité culturelle et linguistique loin d’être reconnue et sauvegardées à l’instar du Maroc, comme une composante culturelle de la Tunisie et facteur de diversité et de richesse, a été étouffée et entravée par les régime de Bourguiba et de Ben Ali pour des raisons politiques dites d‘ « unité nationale ».

Face aux tenants de l’Islamisme politique qui ravage l’esprit des jeunes tunisiens, et sème les fantasmagories à tout vent, le pouvoir en place a prôné la fermeté tout azimut, tous les moyens sont bons pour les réduire au silence, tortures, emprisonnement suite à de simulacres de procès, mise en quarantaine, en résidence surveillée, empêchement de travailler, de voyager, de se déplacer, etc. Toutes ces mesures justifiées par la lutte anti-islamiste, sont contraires au droit tunisien et aux droits humains en général. Ils sont condamnables et ne souffrent d’aucune excuse. Nous compatissons avec les victimes de la répression anti-islamiste, quoique nous sommes profondément anti-islamistes et préconisons d’autres moyens de lutte exclusivement idéologique contre ce courant politique qui n’hésitera pas le jour où il s’emparera des reines du pouvoir en Tunisie à faire pire que le régime en place aujourd’hui. Mais la fin ne justifie pas les moyens !!! Que faire alors pour lutter contre l’Islamisme en Tunisie ? La condition principale et essentielle à mettre sur la table du débat est le rapport entre la religion et le politique, entre le temporel et le spirituel. Les islamistes s’acharnent à affirmer que l’Islam est inséparable du politique et de l‘Etat : « dunya wa din ». Ce courant politique qui s’inspire du Coran et du Hadidh, s’attache à mettre en œuvre certains versets du Coran qui corroborent ses visions tels que : « Innama addinu inda Allah al-Islam », et « wa man lam yattakidh gayra al-Islam dinan falan yuqbala minhu ». D’autres versets, sont toutefois indulgentes avec les non musulmans et les non croyants et qui peuvent conduire à des conclusions diamétralement opposées voir à un Islam plus tolérant.

Nous voyons ainsi que les rapports entre Islam et politique est source de polémiques intarissables et l’objet de débats sans fin. Nous ne pouvons nous positionner sur ce terrain glissant, où les Islamistes ont le maître mot en raison de la démagogie dont ils font usage et des arguments religieux qui usent et abusent de l’instinct de peur des gens. Les Islamistes sont des sorciers dont la matière alchimique est la peur légitime de la mort et de l’au-delà.

La seule arme à manier face aux Islamistes est sans aucun doute l’arme de la séparation du religieux du politique, l’autonomie du domaine spirituel par rapport au temporel. Alors qu’un régime politique qui s’inspire du Coran et du Hadith pour fonctionner et gérer la société est un régime qui ne reconnaît de droits civiques ou politiques entiers qu’aux musulmans de sexe male « la farqa bayna arabiyyin wa a’jamiyyin illa bi-ttaqwa » , un régime politique laïque est ouvert à tous les citoyens, il n’est nullement exclusif. Tous les citoyens d’un seul pays sont égaux en droits et en devoirs, quelque soit leur origine, leur race, leur sexe, leur condition sociale et leur fortune. La meilleure expression de l’égalité entre les citoyens dans une même société jamais produite par des êtres humains fût « la déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen » de 1789. Il suffit de comparer les droits qu’elle reconnaît aux citoyens aux droits conférés p ! ar le Coran aux musulmans et aux non-musulmans pour saisir la différence de nature entre deux conceptions du monde diamétralement opposés et inconciliables !!!

Alors que la religion et tout système politique qui s’en inspire exclut les non musulmans et les femmes même musulmanes de la direction de la cité, et leur accorde un statut juridique amoindri, un régime politique laïque reconnaît que toute personne est libre de choisir la religion de son choix, de changer de religion ou de ne pas en avoir. La laïcité permet que les fidèles organisent leur culte comme il l‘entendent. L’État est neutre face à toute religion, il n’en favorise aucune au détriment des autres. Il assure l’égalité entre les religions. Il ne s’immisce dans la gestion d’aucun culte et assure la libre pratique cultuelle.

Les régimes politiques d’obédience religieuse, comme celui de l’Iran ou des Talibans en Afghanistan, répriment toute expression non religieuse de la pensée humaine, condamne toute action qui ne s’inscrit pas dans les dogmes islamiques. En revanche un régime politique laïque respecte non seulement la religion musulmane mais aussi toutes les religions sans distinction. Il permet un développement autonome, harmonieux et serein de la religion. Loin d’être l’ennemi de la religion, ni qualifiée de "kufr", la laïcité protège la religion de la démagogie et de la surenchère idéologique. Elle préserve son autonomie par rapport au politique en tant que patrimoine spirituel inaliénable et non négociable de la majorité du peuple tunisien. La France donne les meilleurs exemples de la manière dont un pays laïque se conduit face à la religion musulmane, aucune obstruction à la construction des mosquées, organisation du culte musulman au sein d’un organisme démocratiquement élu, etc. Bien symbolique de la nation et patrimoine culturel et spirituel du peuple tunisien, la religion musulmane ne peut être le privilège de quelques personnes ou partis qui s’arrogeraient le droit de s’en prévaloir exclusivement afin l’exploiter à des fins politiques.

Alors qu’un régime politique religieux s’opposerait à l’enseignement de la philosophie, de l’histoire, de la sociologie, de l’anthropologie des religions d’un point de vue strictement scientifique, un régime laïque permet la liberté de l’enseignement religieux et cultuel en dehors des écoles étatiques. La laïcité permet à tout personne qui le souhaite de recevoir par des organismes spécialisés l’enseignement religieux de son choix. Toutefois l’enseignement des religions d’un point de vue objectif et scientifique pourra être assuré par les écoles étatiques de manière scientifique, objective et égale.

Dans ce débat, les Islamistes croient détenir la vérité absolue et veulent l’imposer à tout le monde fusse par la contrainte. Entre l’Islam, tel qu’il est compris par eux, et les autres idéologies, religions, et même les simples idées différentes il n’a y a aucun compromis à faire. « Aslim tassili » est leur credo !!! Face à ce fanatisme d’un autre âge, la laïcité et sa déclaration comme idéologie par l’Etat et son inscription dans la constitution est le meilleur moyen de protéger la religion de ces apprentis sorciers, de permettre une saine pratique de la religion par les fidèles, d’assurer la sérénité d’un domaine représentant un besoin spirituel pour le peuple tunisien. Si la laïcité fait bon ménage avec l’Islam et toutes les autres religions, l’islamisme ne fait bon ménage avec aucune idéologie ou religion, il est exclusif , démagogique et la pire des dictatures car il manipule le sacré à des fins temporelles. La Tunisie qui a fait des pas de gens depuis 1956 grâce au génie du grand Bourguiba en matière de laïcité, doit continuer de porter haut le flambeau de ce combat contre le fanatisme, l’obscurantisme religieux et l’islamisme politique et pour la laïcité quitte à déplaire aux autres pays musulmans et arabes dont Bourguiba n’avait nullement craint les remontrances et qui sont restés intellectuellement sous l’hypothèque islamiste qu’il lève des fois par la répression brutale, cas de la Syrie en 1981, ou par la soumission cas de la Palestine et du Liban avec la montée du Hamas et du Hizbollah et leur main mise sur les sociétés civiles palestiniennes et libanaises.

Me Kamel ben Tahar CHAABOUNI

Messages

  • cher monsieur
    vous avez raison de mettre l’accent sur la dimension berbere de l’afrique du nord mais malheureusement aucun tunisien n’a le courage de proclamer haut et fort notre amazighité historique , spoliée par les conquete d’un tyran ommeyade OKBA ou par la destruction systematique de la civilisation amazigh par les banu hillal et banusuleim
    comme le disait si bien feu lounes matoub "faisons un coursd’histoire et eclairons les conscience et parlons d’un sujet devenu tabou par banalisation et en reprenant ce qu’il disant " la terre d’afrique du nord à savoir Tamazgha n’est pas arabe à ce que je sache
    il faudra etre moins timide que cela et pour ce faire pourquoi ne pas suggérer d’incorporer l’apprentissage de la langue tamazight dans nos programme scolaire en tant que NOTRE VRAI LANGUE MERE l’arabe etant la langue des conquérants