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Quand la MC 93 singe les pratiques du show business

Publie le lundi 16 juin 2003 par Open-Publishing

Fort de la puissance que lui donne une solide dotation d’argent public, Patrick Sommier, directeur de la Maison de la Culture de la Seine-Saint-Denis (MC 93), vient de décréter l’exclusivité en région parisienne des représentations du prochain spectacle de Fellag pour la saison 2003-2004. La salle Gérard-Philipe de Bonneuil-sur-Marne (94), qui comme d’autres a programmé le spectacle de Fellag pour mai 2004, maintient son choix et mènera campagne pour que cette exclusivité soit annulée.

La pratique dans laquelle s’engage Patrick Sommier est à la remorque d’une évolution inspirée du show business, suivie par certains théâtres privés conformément à leur logique commerciale et malheureusement copiée par quelques salles publiques parisiennes. C’est d’autant plus surprenant que l’histoire et les principes fondateurs de la MC 93, salle située dans une ville et un département populaires, s’inscrivent à l’exact opposé de ce qui se dessine aujourd’hui.

On ne comprend pas trop l’urgence d’abandonner une règle de service public suivie jusque là avec bonheur. Interrogé par téléphone, Patrick Sommier a élégamment indiqué au directeur du théâtre de Bonneuil que l’un et l’autre « ne faisaient pas le même métier » et qu’ayant « mis un paquet d’argent » sur la création du spectacle de Fellag, il lui semblait justifié d’en priver les Bonneuillois. Cette logique et ces raisons appellent bien des questions. En s’engageant dans cette voie, que va gagner cette institution ? Et que va perdre l’art dramatique ?

Bonneuil est une petite ville de banlieue qui compte 70 % de logements sociaux. Il est possible, c’est vrai, qu’une dizaine de spectateurs bonneuillois préfèrent la proximité de leur salle au voyage à Bobigny. Il est en revanche certain que l’annulation du spectacle à Bonneuil en privera des centaines d’autres qui de toute manière ne seraient pas allés à la MC 93.
L’avantage est donc mince. Mais le dommage est massif. L’évolution engagée contribuera inévitablement à désarticuler davantage le système de service public de la culture, à l’atomiser et à le fragiliser face à l’empire du marché, à renforcer les déséquilibres urbains. En perspective, cette logique contribue à déposséder les catégories sociales défavorisées de fonds publics en principe destinés à l’enrichissement culturel de tous

Fellag est un artiste algérien qui a construit sa notoriété en France sur les plateaux des « petites salles » de province ou de région parisienne, élargissant ainsi son public bien au delà de ses compatriotes émigrés. Qu’il ait ensuite trouvé, grâce à la MC 93, des financements à la mesure de son talent, c’est bon pour tout le monde. Alors rêvons. Au lieu de construire des concurrences artificielles, nous mettrions en place ou nous consoliderions de vrais partenariats entre établissements publics de toutes tailles. Nous imaginerions une vie théâtrale où les compagnies et les artistes ne seraient pas ligotés par une idéologie comptable étrangère à leur vocation, où ils ne seraient pas contraints, la mort dans l’âme, de servir le bon plaisir des plus forts. Face à l’alignement de tout sur les critères du marché, nous résisterions.

Patrick Sommier, vous mettez le doigt dans une mécanique marchande qui toujours et partout s’est traduite par l’accaparement des richesses et des plaisirs au profit du petit nombre. Le « paquet d’argent » que vous avez affecté à la création de Fellag ne vous appartient pas. Il vous oblige. Et si nous vous accordons bien volontiers qu’en effet nous « ne faisons pas le même métier », nous ferons tout pour conserver néanmoins le droit d’accueillir les mêmes spectacles.

Christophe Adriani, Directeur de la salle Gérard-Philipe de Bonneuil-sur-Marne
Jean-Louis Sagot-Duvauroux, Auteur associé