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Notes pour une : déclaration de droits (et de devoirs) des narrateurs

Publie le vendredi 29 juillet 2005 par Open-Publishing

de Wu Ming

Introduction
Qui est-ce qu’un narrateur et quels sont ses devoirs et droits ?
Le narrateur est celui qui raconte des histoires et réélabore des mythes, des ensembles de références symboliques partagés - c’est à dire connus, et même mis en question - par une communauté.

Raconter des histoires est une activité fondamentale pour quelque communauté que ce soit. Tout le monde raconte des histoires. Sans histoires, pas de conscience de notre passé et de nos relations sociales . La qualité de la vie n’existerait pas. Pour le narrateur, raconter des histoires est l’activité principale, sa propre “spécialisation”, comme il est pour la différance entre hobby du bricolage et travail de menuisier.

Le narrateur occupe - ou il devrait occuper - une fonction sociale pareille à celle du griot dans les villages africains, du barde dans la culture celtique, du aède dans le monde grec classic.
Raconter des histoires est un travail particulier, qui peut présenter des avantages, mais c’est toujours du travail, aussi intégré dans la vie de la communauté que l’éteindre des incendies, labourer la terre, assister les malades, etc.
Autrement dit, le narrateur n’est pas un artiste, mais un artisan de la narration.

Devoirs

Le narrateur a le devoir de ne pas se croire supérieur à ses semblables. Pas de concessions à l’image du narrateur comme d’une créature plus “sensible”, toujours en contact avec des dimensions de l’ être plus élevées, aussi quand il écrit des banalités quotidiennes.
A tout prendre, les aspects les plus ridicules et clownesques du métier d’écrivain se fondent sur une version dégradée du mythe de l’artiste , qui devient “vedette” parce qu’on croit qu’il soit de quelque façon supérieur aux “pauvres mortels”, moins étriqué, plus intéressant et sincère, en un certain sens héroique, car il supporte les “tourments” de la création.
Le fait que le stéréotype de l’artiste “consumé” et “tourmenté” suscite plus de “sensationnalisme” et aie plus de valeur que la fatigue de ceux qui débouchent fosses septiques , fait comprendre combien l’actuelle échelle des valeurs soit perverse.
Le narrateur a le devoir de ne pas confondre l’affabulation, qui est sa mission principale, avec un excès d’autobiographisme obsédant et d’ostentation narcissique. En renonçant à ces poses, le narrateur peut sauver l’authenticité des moments et vivre sa vie au lieu d’interpréter un personnage.

Droits

Le narrateur qui s’acquitte du devoir de refuser les stéréotypes ci-dessus a le droit d’être laissé tranquille par ceux qui vivottent en les encourageant.
Seulement celui qui en refuse la logique peut se défendre contre les intrusions.
Au contraire, ceux qui aiment être “vedettes”, poser pour des photos niaises ou parler sur n’importe quel sujet, n’a pas le droit de se plaindre des intrusions.

 Le narrateur a le droit de ne pas apparaître dans les médias. Si un plombier n’apparaît pas, personne ne lui reproche ça ou l’accuse de snobisme.
 Le narrateur a le droit de ne pas devenir une bête dressée de salon ou de gossip littéraire.
 Le narrateur a le droit de ne pas repondre à des questions qu’il ne juge pas pertinentes (sur sa vie privée, ses préférences sexuelles, ses goûts culinaires, ses habitudes quotidiennes, etc.)
 Le narrateur a le droit de ne pas jouer l’expert en tous les sujets.
 Le narrateur a le droit de s’opposer avec la désobéissence civile aux prétentions de n’importe qui ( y compris les éditeurs) veut lui enlever ses droits.

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