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MOI, JE NE MANGE PAS N’IMPORTE QUOI

Publie le lundi 8 août 2005 par Open-Publishing
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Régimes comparés : lequel fait le moins mal à la nature ? Une recherche fait passer les végétariens bio et les végétaliens mais fait redoubler les autres italiens.

de Daniela Condorelli et Paola Segurini traduit de l’italien par karl&rosa

Il y a une empreinte sur la Terre, laissée par chacun de nous. Une zone de terrain autrefois fertile qui ne le sera plus jamais. Exploité pour nous permettre de maintenir notre niveau de vie. Notre empreinte est grande : 30 fois plus que celle d’un Indien. Et elle pèse plus que jamais sur l’écosystème. Mais il y a une bonne nouvelle : nous pouvons la réduire en faveur de cet Indien et de nos enfants. L’empreinte écologique, c’est notre impact sur la nature, et tout ce que nous consommons en excès ne revient plus en arrière. Selon le Living PLanet Report du Wwf, nous exploitons aujourd’hui 20% de ressources en trop par rapport à la capacité biologique de la Terre.

Que faire ? Regarder ce que nous mettons dans nos assiettes. C’est le thème d’une étude toute italienne, pas encore publiée, sur l’impact environnemental des différents régimes. Mais aussi de congrès internationaux sur le sort de la planète. Comme la Conférence Annuelle de l’International Grains Council qui vient à peine de se terminer à Londres ( www.igc.org.uk ). "Dans les 45 ans à venir, le monde aura besoin du triple de la quantité actuelle de viande, de lait et d’œufs et notre industrie sera dominée par la demande de ressources pour donner à manger aux animaux" a déclaré Roger Gilbert, secrétaire général de l’International Feed Industry. Plus de richesse signifie, en effet, plus de viande à table : pour chaque point de pourcentage gagné dans le revenu annuel d’une famille, la dépense en protéines animales augmente de 2%. Plus de viande, autrement dit plus de besoins en céréales pour nourrir les animaux. Lors de la réunion londonienne, il a été prévu que la production de fourrage australien allait augmenter de 50% d’ici 2020. Et plus de fourrage signifie moins de nourriture et moins d’eau pour l’homme.

C’est l’habituelle World Water Week qui se préoccupera de l’eau, à Stockholm, à partir du 21 août ( www.worldwaterweek.org ). On dira et redira, entre autres, que durant les 20 ans à venir la population mondiale dépassera les 7 milliards et que les réserves d’eau par personne diminueront d’un tiers. Mais aussi que 70% de l’eau est utilisée pour abreuver les vaches et arroser les pâturages (saviez-vous qu’un bovin boit 200 litres d’eau par jour ? Donc, pour produire cinq misérables kilos de viande, il faut autant d’eau qu’en consomme une famille moyenne en un an).

Le Programme en faveur de l’environnement et d’un développement soutenable accepté par l’Ue place au premier plan "la modification du comportement individuel". Manger moins de viande est utile, certes, mais ne suffit pas. Deux chercheurs, le chimiste environnemental Massimo Tettamanti et la biologiste Rafaella Ravasso, ont comparé différents types de régimes, en tenant compte du niveau de dommages qu’ils créent à la santé humaine, à la qualité des écosystèmes et aux ressources. Catégories en lice : l’Italien moyen, omnivore et insouciant de l’équilibre alimentaire ; celui qui mange de la viande, du lait et des œufs produits en élevage intensif ; celui qui mange la même chose mais choisit le bio ; les végétariens (bio ou non) ; les végétaliens qui ne se nourrissent que de végétaux (bio ou non).

LES BONS ET LES MECHANTS

"On a mis en parallèle les différents styles alimentaires en préparant trois régimes d’une semaine comparables en contenu calorique, en complémentation et en équilibre", explique Tettamanti. "Il s’agit d’un régime omnivore respectueux de la pyramide alimentaire, d’un régime végétarien et d’un régime végétalien, avec trois repas principaux et deux collations, un contenu calorique moyen de 2 000 à 2 200 calories par jour et un rapport protéines/ matières grasses/ hydrates de carbone de l’ordre de 15/30/55". De plus, on a évalué parallèlement un régime avec la liste et la quantité d’aliments réellement et normalement consommés par un Italien (voir encadré en fin d’article) : c’est celui qui a le plus fort impact dans l’absolu.

Mais que signifie analyser un régime d’un point de vue environnemental ? "Chaque processus, si on l’entend comme produit matériel particulier (100 grammes de blé ou un laitage) provient d’un ensemble de matériaux et d’énergie. Il est, en outre, le résultat d’approvisionnement en matières premières, de production, de distribution, de retraitement des déchets et de récupération". Chacun de ces passages peut donner lieu à tout un tas d’émissions qui provoquent différents effets sur l’environnement. C’est ainsi que pour évaluer l’impact sur l’environnement de la production de 100 grammes de blé, il est nécessaire de prendre en considération tous les processus de préparation des fertilisants, d’irrigation, de récolte, de traitement et de transport du produit ainsi que les processus de retraitement des déchets. Il faudra considérer les matières premières et les ressources énergétiques employées mais aussi l’énergie dépensée, les émissions dans l’air et dans l’eau et les déchets solides. A la fin, chaque impact est synthétisé en un nombre de points, d’autant plus élevé qu’il est plus dommageable pour l’environnement.

Et voici à présent ce qui ressort de l’analyse de Tettamanti et de Ravasso qui a duré deux ans.

Le menu omnivore, avec des produits qui dérivent d’élevages ou de cultures intensifs obtient 2,34 points. Le plus fort impact sur l’environnement est causé par la consommation d’eau suivie par celle des combustibles fossiles utilisés lors des processus d’élaboration, de production et de transport et, encore, par les dommages à la respiration des composés chimiques inorganiques liés à ces mêmes processus, par la consommation du territoire et enfin par les processus d’acidification dus aux déjections animales, aux pesticides et aux fertilisants.
Et les ingrédients eux-mêmes ? Quel est l’aliment le plus dommageable ? Le bœuf, suivi par la sole, le fromage, le lait, les yoghourts, les légumes, le thon et le poulet.

Mais si notre omnivore acquiert des produits bio (également pour la viande et les laitages, pas seulement pour les végétaux), le compte des points descend à 1,36. L’ordre de "culpabilité" demeure inchangé mais on évite les dommages à l’environnement, même par rapport au végétarien qui consomme des produits non bio.

Ce dernier comportement correspond en effet à un score de 1,56 ; au premier rang des aliments les plus nocifs (toujours dans le sens où les produire consomme des ressources et pollue), se trouvent maintenant les fromages.
On descend à 1,03 points pour le végétarien bio, à 0,854 si le choix est végétalien mais non attentif au biologique et à 0,599 pour le végétalien bio. Il ressort de l’analyse des deux régimes végétaliens que les légumes sont l’aliment au plus fort impact environnemental quand des pesticides et des fertilisants chimiques ont été utilisés ; et que c’est le riz dans le menu végétalien à agriculture biologique.

C’est à présent le tour de l’Italien moyen, avec un menu normal de produits non bio. Son compte total de points atteint la performance de 5,75 points ! Autrement dit, un impact presque dix fois supérieur à celui d’un régime végétalien bio et plus de deux fois supérieur à celui du régime de l’omnivore qui suit un régime équilibré.

S.O.S. EAU

De quoi dépend l’impact de l’alimentation sur l’environnement ? "La consommation d’eau est l’élément le plus important : de 41 à 46% du total", répond Tettamanti. "N’oublions pas que 70% de l’eau de la planète est consommée par la zootechnique et par l’agriculture, 22% par l’industrie et seulement 8% pour l’usage domestique". Il y a ensuite 15 à 18% d’impact dû aux dommages à la respiration causé par les composants chimiques inorganiques et de 20 à 26% à la consommation de combustibles fossiles. Dans ces deux derniers cas, cela est dû aux processus d’élaboration, de production et de transport des aliments. Le gaspillage énergétique est éclatant : pour chaque calorie de viande bovine, 78 calories de combustible sont utilisées ; pour une de lait, 36 de combustible. Par contre, pour chaque calorie dérivée du soja, on ne consomme que deux calories de combustible.

Environ 5 à 13% de l’impact de notre régime sur l’écosystème est dû à la consommation du territoire. Chaque année, 17 millions d’hectares disparaissent des forêts tropicales. Toute la faute ne revient pas aux élevages intensifs mais ils se taillent la part du lion. Comme en Amazonie, où 88% des terrains déboisés a été affecté aux pâturages. Ou au Brésil, où l’Institut de recherche spatiale fait état d’une croissance de la déforestation de l’ordre de 41% : en 10 ans seulement, le pays a perdu une zone verte deux fois grande comme le Portugal. Et l’ONU estime que 70% des terrains affectés à des pâturages sont aujourd’hui en voie de désertification. Enfin, 3à 4% de l’impact est dû aux processus d’acidification (de l’eau, du sol et des forêts) et d’eutrophisation (prolifération hors normes d’algues). La faute en revient surtout aux déjections animales. Rien qu’en Italie, les animaux d’élevage produisent 19 millions de tonnes d’excréments par an qui ne peuvent pas être utilisés comme fertilisant. Nous aurions la même quantité de déjections inutilisables et polluantes si l’Italie avait 137 millions d’habitants de plus.

"Il y a donc des régimes qui aident l’environnement, comme le végétalien et le végétarien bio et il y en a d’autres qui sont acceptables, comme l’omnivore bio et le végétarien non bio".

Et il y a par contre des régimes alimentaires inacceptables d’un point de vue environnemental (et social) : celui de l’Italien moyen et de l’omnivore "équilibré" qui mettent à table des produits d’agriculture et d’élevage intensifs. Ils exploitent les ressources des pays les plus pauvres, consomment, polluent et sont cause de déforestation et de désertification.

De quel groupe voulons-nous faire partie ?

traduction de l’article "Io mangio delicato" paru dans le supplément "D" de la Repubblica en date du 9 juillet 2005.

de fede53

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