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Liberté sacrifiée au nom du terrorisme

Publie le jeudi 11 août 2005 par Open-Publishing

de Sophie Bouniot

La lutte contre le terrorisme se fait-elle aux dépens de nos libertés ? Au lendemain des attentats de Londres, puis de Charm el-Cheikh, le premier ministre, Dominique de Villepin, s’est dit « soucieux de trouver le bon équilibre entre l’exigence de sécurité et l’exigence de liberté ». La veille, le 26 juillet dernier, lors de la réunion du Conseil de sécurité intérieure, Jacques Chirac a missionné son gouvernement, il lui faut réagir « dans les délais les plus brefs » afin de contrecarrer les actes terroristes qui pourraient toucher le sol français. L’état d’urgence est décrété. Aux grands maux, le gouvernement use de son remède favori : pour la quatrième fois depuis le 11 septembre 2001, il choisit de muscler l’arsenal législatif du pays.

Un projet de loi antiterroriste expéditif

Si sur le plan international, Dominique de Villepin, dépêché à Londres, rencontre Tony Blair afin d’affermir la coopération franco-britannique, de son côté, Nicolas Sarkozy annonce l’élaboration d’un projet de loi antiterroriste expéditif. Le texte « prêt d’ici à la fin août » pourra « être discuté dès la rentrée » parlementaire, puis adopté « avant Noël ». Parmi les mesures envisagées, la généralisation de la vidéosurveillance, ainsi que le stockage « des données de connexions téléphoniques ». Afin de légitimer la genèse de cette énième réforme, le locataire de la place Beauvau et consorts parlent de « renforcer les moyens de lutte contre le terrorisme ». Un dessein que contestent les associations de défense des libertés individuelles.

Pour nombre d’observateurs, le gouvernement se sert du drame des actes terroristes pour justifier de nouvelles mesures sécuritaires attentatoires aux droits des citoyens et pour, in fine, fliquer toujours plus la société française. À la Coordination antividéosurveillance, on explique que les attentats « sont une excellente occasion pour faire passer sans discussion, en urgence des mesures prévues de longue date ». Comme l’élargissement du parc de caméras de vidéosurveillance dans l’espace public ou le stockage prolongé des images, jusqu’à présent limité à une période d’un mois. « Le gouvernement prétend avoir été convaincu par le système britannique de contrôle par caméra durant les attentats. Alors que ces mesures étaient prévues avant », assure la Coordination. À l’exemple des RER et des bus qu’on prévoyait déjà, fin juin dernier, d’équiper de caméras d’ici un an. Et d’interroger : « Est-ce qu’une société où nos faits et gestes sont surveillés est encore une société libre ? »

Outre un prétexte aux seules fins d’asseoir sa logique sécuritaire, c’est l’efficience même des dispositions préconisées par le gouvernement qui est critiquée. Selon ses instigateurs, la toute prochaine loi servira à donner « un cadre » à l’utilisation contre le terrorisme de la vidéosurveillance. Un dispositif qui aurait fait toutes ses preuves, puisqu’il a permis l’identification, voire l’interpellation rapide des terroristes britanniques. Nul ne le contestera.

Un argument plus que litigieux

Mais Nicolas Sarkozy présente ce futur texte comme « un moyen de dissuasion et de prévention » des actes terroristes. Un argument plus que litigieux. D’une part, les intégristes anglais, bien que se sachant épiés par quelques-unes des 150 000 caméras londoniennes (sur les 2,5 millions que compte la Grande-Bretagne), n’ont pas hésité à commettre leurs forfaits. D’autre part, des études viennent attester du contraire. Celle, en mars 2004, émanant de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France, témoigne que, « d’un point de vue strictement quantitatif, la vidéosurveillance ne traduit pas une baisse significative de la délinquance stricto sensu dans les réseaux ferrés et routiers franciliens, ni de changement de nature des faits ». Même constat outre-Manche, où de récents travaux estiment que les caméras n’ont « pas d’impact déterminant sur le volume de la délinquance mais qu’elles contribuent au déplacement, dans les quartiers non surveillés, de la criminalité ».

« faciliter l’accès des images aux enquêteurs »

Des conclusions qui n’entament pas les velléités sécuritaires du ministre de l’Intérieur. Alors qu’un million de caméras seraient déjà disséminées sur toute la France - dont 320 000 à Paris -, Nicolas Sarkozy veut multiplier ce système de surveillance et faciliter l’accès des images aux enquêteurs, y compris celles captées par des caméras installées dans des commerces, sans nécessiter de procédure judiciaire. À la Ligue des droits de l’homme, on fustige cette surveillance accrue de la population, qui devrait être uniquement dédiée au terrorisme (voir page 4). De plus, conformément au souhait des ministres de l’Intérieur du G5 (Allemagne, Espagne, France, Grande-Bretagne et Italie), la loi antiterroriste offrirait un cadre au stockage des « données de connexions » téléphoniques (qui appelle qui ? où ? quand ? combien de temps ?), sans le contenu des conversations, durant un an.

De fait, la loi actuellement en préparation placera notre société sous l’oeil d’un Big Brother sarkozien, à l’instar de la création de la carte d’identité biométrique et de la multiplication des fichiers. Un Français serait actuellement fiché vingt fois par jour lors de ses activités quotidiennes. La future carte d’identité électronique « Ines » (contenant empreintes digitales, photographie et signature numérisées) va aboutir à un fichier central de soixante millions d’individus. Outre l’écueil des données erronées, certains pointent les possibles consultations abusives. Sans oublier que la puce contenue sur cette carte est lisible à vingt mètres ; elle permettra donc de suivre les déplacements de tout un chacun, comme de procéder à un contrôle à son insu.

La vision sarkozienne de la lutte antiterroriste

Pour ce qui concerne la conservation des données, prétendument limitée, certains fichiers ont montré leur limite. Ainsi, le STIC (fichier de la police qui recense les délits, mis en cause ou simples victimes qui comporte des dizaines millions de cordonnées) a été sévèrement mis à mal, en avril dernier, par la Commission nationale de l’informatique et des libertés. La CNIL a dénoncé moult erreurs contenues dans des données conservées alors qu’elles devaient être détruites au bout de cinq ans.

Dans la dernière quinzaine, d’autres annonces sont venues parachever la vision sarkozienne de la lutte antiterroriste : la généralisation des expulsions des islamistes radicaux ou le regroupement des services de renseignements (DNAT, RG, DST) dans un même immeuble à Levallois-Perret, en 2006.

Durcir les dispositions pénales

Dans le même temps, la chancellerie a pareillement été mise à contribution. Début août, Pascal Clément a proposé de durcir les dispositions pénales, déjà d’exception, à l’encontre de ceux qui sont suspectés de participer à une entreprise terroriste, en augmentant les peines de quinze à vingt ans de prison (lire l’Humanité du 2 août). Découragera-t-on réellement ainsi d’éventuels poseurs de bombes ?

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