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Thibault, boulot, dodo

Publie le vendredi 20 juin 2003 par Open-Publishing

La CGT, fer de lance du mouvement social

« Il faut continuer à faire bouillir la marmite ! », clame Bernard
Thibault, le chef-cégété. Mais à petit feu et sous un épais couvercle,
comme les grévistes marseillais viennent d’en faire l’expérience. En fait
de marmite, la casserole cégétiste fait plus de bruit que de grabuge.
Lourde à traîner pour le mouvement, mais pas si encombrante pour le
pouvoir.

Les derniers grévistes ont dû rire jaune, le 15 juin au soir, en voyant
Bernard Thibault expliquer chez Christine Ockrent que « le mouvement n’en
est qu’à ses débuts ». Chaud devant, camarades ! Le coupé au bol de la CGT
vous annonce pour cet été « un pique-nique place du Trocadéro » : entre
les peaux de sauciflard et les crèmes anti-UV, la lutte sera sans pitié.
Et ce n’est pas tout : « l’irréductible de Montreuil », comme le
surnomment les médias, fait trembler le pouvoir sous la menace d’une
« pétition aux députés et aux sénateurs ». Si après ça, Raffarin ne jette
pas au feu sa réforme des retraites, c’est qu’il n’est vraiment pas sympa.
« On n’est pas en 1936 », croit savoir Thibault. T’as raison, gars, les
temps ont changé. On voit mal les mineurs de Germinal organiser un
pique-nique sous la tour Eiffel. Ou les mutins du Potemkine adresser une
pétition à leur commandant. En 2003, ça discute entre gens comme il faut.
Ça négocie. Ça commande des sandwiches pour le dimanche.

Un mois avant d’aller arracher des sourires verglacés à Christine Ockrent,
Bernard Thibaut passait déjà à la télé. C’était le 13 mai au J.T. de
France 2. Deux millions de personnes (plus qu’en 1995 !) venaient de
manifester contre le projet Fillon. Un mouvement brusque et spontané, dont
l’ampleur prenait tout le monde au dépourvu, et qui aurait dû réjouir un
dirigeant syndical aussi « déterminé » que Thibault. Mais au lieu de
s’épanouir, le patron de la CGT tirait la tronche. Au lieu de profiter de
l’aubaine pour appeler à une grève générale, il demandait la « réouverture
des négociations » - un refrain qu’il ne cessera plus de seriner ensuite.
Et qui explique pourquoi la CGT s’est employée en douce à étouffer le
mouvement. On est là pour « négocier », pas pour foutre le bordel. Surtout
quand il nous échappe.

Chaque gréviste regorge d’histoires à ce sujet. Gare Saint-Charles, dans
son bastion marseillais, la CGT n’était pas même présente aux AG du 13
mai. « Le lendemain, raconte un cheminot de SUD-Rail, un délégué cégétiste
est venu nous dire : "attention les gars, on a perdu de l’argent pendant
les grèves de 1995". Il oubliait juste de rappeler qu’en 1995, on avait
gagné ». Dans l’élan inespéré du 13 mai, la base des cheminots marseillais
réclame une grève générale reconductible. Pas question, rétorque
l’appareil du premier syndicat ouvrier de France : « Les cheminots n’ont
pas vocation à renverser un gouvernement élu par 85 % des gens ! », lance
un apparatchik lors d’une AG. Faire grève le week-end de Pentecôte ? La
base dit oui, le syndicat dit non. Et pour convaincre ses troupes de
reprendre le taf, la CGT titille la corde sensible : celle du
porte-monnaie. En prolongeant leur mouvement durant la Pentecôte, argue le
syndicat, les cheminots totaliseraient une semaine de grève, délai au
terme duquel la SNCF intègre les repos dans le calcul des jours non
travaillés, donc non payés. Cet argument-massue n’empêchera pas la grève,
mais laissera des traces amères. De rage, un gréviste qui affichait trente
ans de CGT en a déchiré sa carte.

Même chose à La Poste. Entre les « temps forts » du 13 et du 25 mai, la
centrale des « irréductibles » s’est abstenue de diffuser le moindre tract
auprès des postiers de Marseille-Colbert. « Le 14 mai au soir, un fax
adressé par leurs supérieurs aux délégués cégétistes appelait la base "à
ne pas s’enliser dans une grève devenue minoritaire". Ils ont freiné des
quatre fers partout où ils pouvaient », constate un facteur syndiqué CNT.
Le pompon sera atteint le 12 juin au meeting de Marseille, quand Thibault
lance à des milliers de grévistes qui le sifflent : « Oui, il faut
continuer à faire bouillir la marmite ! » En veillant à ce qu’elle ne
déborde pas, les deux pieds debout sur le couvercle. Et en interdisant aux
syndicats « kamikazes » (SUD, CNT, coord’ enseignante...) de monter à la
tribune.

Heureusement, il y a les autres. La CFDT, qui a au moins le courage de
baisser culotte au grand jour (voir page 3). La FSU, version prof de la
CGT. La supérette FO, où l’on trouve de tout, bonne vieille droite rancie,
trotskistes plus pépins que noyaux et même quelques anars égarés. L’UNSA,
qui a récupéré les débris de la concurrence, dont les vieux fachos
casseurs de grévistes de l’ex-CSL. Les cathos mous de la CFTC. Ou les
cadres sup’ de la CGC...

L’ennui, c’est qu’en torpillant les chances d’une grève générale, tous ces
pros du double langage laissent le gouvernement à l’ivresse de son succès.
Après le charcutage des retraites, ce sera au tour de la Sécu, du droit de
grève (service minimum), des Rmistes (RMA), d’EDF, de la Poste... De quoi
remettre le feu sous la marmite. Mais pour que la vapeur ébouillante
Matignon, les gens vont devoir apprendre à régler eux-mêmes la cuisson. Et
à débrancher le thermostat des pique-niqueurs.

Source : CQFD, numéro 2
http://cequilfautdetruire.org/