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Logement : ces bidonvilles où couve l’incendie

Publie le jeudi 1er septembre 2005 par Open-Publishing

Reportage dans des habitats insalubres de Seine-Saint-Denis, alors que Villepin doit annoncer aujourd’hui des mesures pour le logement social.

de Gilles WALLON

Après les trois incendies meurtriers qui ont fait une cinquantaine de morts dans la capitale, Dominique de Villepin doit annoncer aujourd’hui des « orientations fortes » en matière de logement social (lire page 4). Le gouvernement, par la voix de Nicolas Sarkozy, a aussi décidé d’amplifier l’évacuation des immeubles parisiens dangereux, mesure qui suscite un tollé parmi les associations et partis de gauche. Car il ne suffit pas d’expulser, il faut aussi reloger. Sinon les mal-logés se retrouvent à la rue et les bidonvilles poussent, comme à Aubervilliers et Saint-Denis. Reportage.

Gaby fait visiter la petite chambre qu’il a aménagée pour lui et sa femme : c’est l’ancien cagibi à poubelles. Les odeurs d’ordures prennent à la gorge. « C’est pire en face : les Pakistanais doivent dormir dehors, sur le toit. » A 22 heures, ils sont une dizaine de Pakistanais, recroquevillés dans des sacs de couchage, installés sur les tôles ondulées, parsemées de grosses pierres, d’un garage crasseux. « Les pierres, c’est pour que le toit ne s’envole pas. » Aux 96 et 98 boulevard Anatole-France, à Saint-Denis, à 500 m de Paris, il y a deux immeubles murés, qu’habitent 80 familles ivoiriennes et une quarantaine de travailleurs pakistanais. Ceux qui n’ont pas trouvé de place dans les appartements ont aménagé les annexes, d’anciens garages et ateliers. Les locaux, coincés entre une bretelle d’autoroute et les voies ferrées du RER, appartiennent à la direction départementale de l’équipement (DDE). Une petite favela, à proximité du Stade de France.

Vieux pneus. Un peu plus à l’est de la Seine-Saint-Denis, à Aubervilliers, vingt-quatre familles ont planté des tentes entre deux tours de béton, au croisement des rues Charles-Tillon et Hélène-Cochennec. Originaires d’Afrique de l’Ouest, elles vivaient jusqu’à récemment à cinq minutes de là, dans un immeuble. La mairie l’a jugé insalubre et dangereux : il y a trois mois, il a été démoli. Le nouveau lieu de vie de ces familles est un bidonville. Quand l’orage éclate, la pluie envahit les tentes et trempe les matelas. De vieux pneus retiennent les bâches. « Les toilettes sont à 800 m, sur le marché d’Aubervilliers. On y va aussi pour chercher de l’eau. » Elle est ensuite chauffée sur des fourneaux à charbon. Les meubles de récupération sont entourés par les déchets. « En plus, nous nous ruinons en nourriture, témoigne Adaman, agent de sécurité. Impossible de la conserver sans réfrigérateur. »

A Saint-Denis comme à Aubervilliers, les habitants sont amers. « On travaille presque tous, on paie l’électricité, la moitié d’entre nous est en situation régulière, lance Bamba, femme de ménage. Personne ne peut vivre comme cela. » Chacun veut montrer sa fiche de paie, les boutons sur les jambes des enfants, les valises et les cartons qui bouchent les murs troués. A Saint-Denis, il faut parfois se baisser pour entrer dans les chambres. Celle de Fatoumata, qui fait le ménage à l’hôpital d’Argenteuil, ressemble à un parking abandonné. L’eau a inondé une des deux caves, et gorgé d’humidité les fondations. Les murs s’écaillent par petits bouts et, de temps à autre, « les enfants en mangent des morceaux », témoigne Magnaté, une nourrice de 40 ans, pleine de vitalité, toujours souriante. « Toutes les semaines, il y en a un qui doit aller à l’hôpital. Les médecins leur font des massages du thorax, ils ont déjà les poumons encombrés. Le fils de ma soeur, 3 ans et demi, est constamment enrhumé. A l’école, ils sont perturbés, violents. » Rats et cafards ont investi les lieux il y a longtemps. Les rongeurs se faufilent sous les portes le soir, et mordent. Dehors, un homme est couvert de savon. Faute d’eau courante, il se lave dans une grande mare, blanche de poussière, qui croupit au milieu des bâtiments depuis plus d’un an.

« Psychose ». La municipalité d’Aubervilliers a fait quelques propositions de relogement. Elles n’ont rien donné. « La mairie s’est engagée à reloger cinq familles, sur la vingtaine qui sont là. Et seulement si le campement dans son ensemble était évacué », précise Edwige Le Net, de Droit au logement. Désormais, les « campeurs » craignent l’automne alors que la solidarité du voisinage commence à se tarir. « Au début, ils nous donnaient du lait, du café chaud, poursuit Adaman. Mais ils n’imaginaient pas qu’on allait rester trois mois ici. » Comme tous ces immigrés et réfugiés politiques, il s’inquiète : « On vit dans la psychose d’un incendie : il suffit d’une allumette. » Escalier en bois instable, rafistolage électrique permanent : à Saint-Denis, le feu s’est déclenché trois fois en deux ans. Il a pu être éteint rapidement par les pompiers et n’a fait que des dégâts matériels. Mais la DDE ne veut plus prendre de risques. Elle a pris la décision de démolir les bâtiments, « en commençant par les garages ». Dans l’attente d’une expulsion policière, les hommes font le guet sur le trottoir, toutes les nuits. Ils n’ont pas reçu de propositions de relogement.

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