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Chronologie de l’action de désobéissance civique des Faucheurs Volontaires

Publie le samedi 10 septembre 2005 par Open-Publishing
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Qui suis-je ? Je ne suis pas inscrit comme Faucheur Volontaire, je suis venu sur place pour pouvoir témoigner de ce qui allait se passer.

J’avais avec moi quelques feuilles de papier sur lesquelles j’ai noté sur le vif ce que j’ai vu. Une partie des faits que je restitue ici est illustrée dans la vidéo d’Eric qui est disponible sur internet

http://www.latelevisionpaysanne.org/

15h00 : à l’appel du collectif des Faucheurs Volontaires, environ 400 personnes se rendent sur un premier point de rendez-vous à Montpeyroux (63). Les consignes concernant le second lieu de rencontre (à proximité de la commune d’Issoire) sont données à cette occasion par voie écrite. Il était prévu qu’une partie des personnes participe à l’action de désobéissance civique et que celle qui ne souhaitait pas reste en dehors du champ d’OGM pour témoigner de ce qui allait se passer.

Sur l’autoroute, le cortège de voitures est rapidement doublé par plusieurs véhicules de la gendarmerie. A l’arrivée aux environs d’Issoire, les forces de gendarmerie sont présentes en nombre à proximité du champ de maïs OGM initialement prévu pour l’action, comme l’attestent leurs nombreux véhicules et un hélicoptère en vol. A la sortie de l’autoroute, nous évitons donc de nous approcher de ce champ et nous dirigeons en hauteur sur les coteaux surplombant la vallée.

Peu après 16h : Nous arrêtons les voitures pendant plusieurs dizaines de minutes. La situation est confuse : personne ne semble savoir ce que nous allons faire. L’hélicoptère et une fourgonnette de la gendarmerie viennent près de nous. Après qu’un groupe de personnes se soit consulté, nous remontons dans les véhicules et redescendons dans la vallée. Sans que nous soyons informés du déroulement prévu, le cortège se scinde ensuite en trois groupes. Le groupe de véhicules dans lequel j’étais -composé d’une trentaine de voitures- s’arrête sur la voie publique, dans la commune de Nonette.

16h30 : Nous partons aussitôt à pied le long de la route en direction d’une parcelle de 5 à 6 ha d’essai de maïs OGM dit thérapeutique, mis en place par la Société Meristem Therapeutics, filiale du semencier Limagrain. Un hélicoptère de la gendarmerie (modèle ‘écureuil’ équipé d’une caméra) nous survole puis se dirige vers l’essai.

16h41 : après 11 minutes de marche sur la route, nous entrons dans le chaume de blé qui sépare la route de l’essai de maïs OGM. Il faut noter que nous n’avions pas identifié de coordonnateur dans notre groupe. Environ sept gendarmes sont présents, aux côtés de quelques civils (au moins trois personnes) accompagnés de deux chiens. Leurs véhicules (tracteur et voiture) sont stationnés aux côtés de ceux des gendarmes. L’hélicoptère de la gendarmerie, en vol au-dessus du champ, descend à quelques mètres du sol au-dessus de nous, soulevant un nuage de poussière.

16h43 : avant qu’une discussion n’ai apparemment été établie avec les gendarmes, plusieurs dizaines de personnes entrent pacifiquement dans le champ. Ces personnes commencent à arracher ou rompre quelques pieds de maïs à la main. Il faut rappeler les consignes de ne rien avoir sur soi, en particulier aucun objet tranchant : l’action se fera à mains nues. Un groupe de ’témoins’ (une dizaine ou plus) auquel j’appartiens ne participera pas à l’action de désobéissance civique et restera en permanence en dehors du champ (dans le chaume de blé) pour pouvoir témoigner de ce qui se passe.

Dès l’entrée dans le champ, je vois des gendarmes, matraques à la main, arracher violemment l’appareil photo de plusieurs personnes. Ces gendarmes les bousculent, les frappent et détruisent les appareils photos à coups de matraques. Un de ces gendarmes cour ensuite dans le champ en direction de Philippe qui lui tourne le dos, penché en train d’arracher un pied de maïs en bordure du champ. Dès qu’il arrive à son niveau, le gendarme le frappe violemment et par surprise (il lui tournait toujours le dos et ne l’avait donc pas vu arriver), à l’arrière du genou au moyen d’une matraque. Le gendarme ne cherche pas à l’interpeller et se rue sur d’autres personnes. Philippe reste un instant cloué au sol, et peu après sort du champ. Lorsque le gendarme revient en bordure du champ je m’approche de lui (restant toujours en dehors du champ), et lui demande ses nom et matricule ce qu’il refuse de me communiquer. Menaçant, il tente aussitôt d’arracher mes notes. Je suis contraint de m’éloigner.

Vers 16h45, je vois à quelques mètres de moi hors du champ de maïs une personne au volant d’un tracteur équipé à l’avant d’une pince à meules de foin (’round-baller’) en position abaissée. Il charge à vive allure plusieurs personnes restées en dehors du champ de maïs, dans le chaume. Ces personnes fuient dans tous les sens, le tracteur les poursuit. Etant donné la courte distance qui les sépare du tracteur et l’allure à laquelle il roule, le risque que l’une d’elles se face écraser par la machine est certain. Aucun des gendarmes n’intervient. Dans la cohue, le tracteur quitte enfin le champ.

16h50, soit sept minutes après l’entrée des premiers faucheurs dans le champ, j’entends quelques cris étouffés par le vacarme et l’agitation, appelant à sortir du champ, sans que je sage s’il s’agit d’une consigne ’officielle’ puiqu’en cas de danger il était prévu qu’une sonnerie nous indique de nous replier (elle ne retentira jamais). Une partie des personnes reste dans le champ. Par la suite, celles qui s’étaient enfoncées dans le champ (s’éloignant des gendarmes) confirmeront qu’elles n’avaient pas entendu ces appels.

16h53, je note la présence d’environ neuf civils auprès des gendarmes, certains étant arrivés entre temps, notamment en voiture. Face à moi, un gendarme prend des photos au téléobjectif en direction des personnes situées hors du champ de maïs.

16h54, soit neuf minutes après l’entrée dans le champ, je vois les premières interpellations par les gendarmes. Isabelle demande le nom aux deux personnes arrêtées, que je note (ce que nous ferons à chaque fois jusqu’à 17h00, moment où nous serons contraints de quitter les lieux). Thomas et Marie, puis Christophe, Monique et sa fille Laetitia sont embarqués par les gendarmes. J’apprendrais que Christophe était présent pour faire un reportage pour la presse (le mensuel CQFD).

16h55, je vois huit personnes arriver à sortir du champ sans se faire interpeller.

16h56, face à moi un gendarme filme au moyen d’un camescope, en direction des personnes situées hors du champ de maïs. Deux autres personnes arrivent à sortir du champ sans se faire arrêter.

16h58 à 17h00, Jacques, Eric, puis Dominique, Jean-Christophe et Serge sont arrêtés. J’ai donc vu 10 personnes interpellées, la plupart violemment, depuis le début et ceci en moins de six minutes.

16h59, en bordure amont du champ, je vois des ’gendarmes mobiles’ (tenue ’anti-émeutes’) qui repoussent les gens vers la route. Je les ai vus arriver il y a, me semble t’il, une dizaine de minutes. Je n’en vois aucun avec un bouclier de protection. De toute l’action je n’ai en effet vu aucune action violente de la part des Faucheurs Volontaires, contrairement aux matraquages de la part des gendarmes dont j’ai été témoin, ceci même à l’encontre de personnes au sol.

17h00 un groupe d’une dizaine de personnes arrive à sortir du champ en amont sans qu’aucun ne soit interpellé.

17h01, l’hélicoptère de la gendarmerie, qui avait quitté les lieux, est maintenant revenu. Dans la cohue, et face à l’avancée des ’gendarmes mobiles’, toutes les personnes situées dans le chaume remontent en direction de la route.

17h02 : une autre personne est arrêtée. Par ailleurs, les gendarmes et les gardes mobiles nous poursuivent dans le chaume, nous fuyons vers la route. Je vois une personne que nous supposerons ensuite être un vigile qui, aux côtés des gardes mobiles, projette à bout portant du gaz lacrymogène dans les yeux de ceux qui sont dans le chaume. Je vois au même endroit une fille, avec un sac à dos orange, gisant au sol qui est menottée par des gendarmes. Ils la laissent quelques instants seule à terre, puis deux d’entre eux la portent puis la traînent (toujours menottée) sur plusieurs dizaines de mètres jusqu’aux fourgons.

17h04, deux personnes sont arrêtées, je crois reconnaître Franck parmi elles.

17h05 à 17h08 toutes les personnes qui étaient dans le chaume ou qui ont pu sortir du champ de maïs se regroupent sur la route goudronnée, soit moins de 25 minutes après l’entrée dans le champ.

17h12, nous essayons de savoir qui manque parmi nous, craignant de laisser des personnes inconscientes dans le champ. On m’indique que Franck, Pierre, Olivier, Josh et Jérôme ont été arrêtés. Josh avait une caméra, il était venu faire un reportage pour témoigner des événements.

17h21, parmi nous, des personnes vont aux voitures et reviennent alarmés : (1) Bernard, handicapé, et Kévin, son fils de 13 ans, étaient restés aux voitures mais n’y sont plus, (2) les voitures ont été vandalisées (embouties par un véhicule, matraquées sur le capot ou le pare-brise, certaines sont renversées dans le fossé, environ 50 pneus sont crevés par de profondes entailles, etc.). C’est la confusion...

17h25, Olivier est arrêté alors qu’il est parmi nous, sur la route.

17h28, Au bord de la route, un homme en civil semble intéressé par ce qu’il se passe et pose de nombreuses questions (Vous venez d’où ?, Vous êtes qui ?). Son allure est décontractée (barbe négligée, vêtements amples). Dans cette confusion, je ressens l’envie d’expliquer ce qu’il se passe, de parler, de parler pour évacuer, faire sortir cette violence absurde que j’ai vue. Une femme dans le groupe me dit de ne pas lui adresser la parole, que les raisons de ses questions sont trop évidentes...

Quelques instants après, je le verrais en effet discuter et rigoler avec les gendarmes. De l’autre coté de la route, une autre personne en civil mais habillée strictement, téléphone en nous observant. Je suis assez près pour entendre quelques unes de ses paroles, d’après lesquelles il cherche à identifier des ’meneurs’ (il parle d’un « grand excité »). Au même moment, entre lui et nous, une voiture est stationnée sur la route avec deux personnes en civil, l’une nous filme avec un camescope.

Confusion. Nous sommes bloqués sans véhicule en état de rouler, nous n’avons pas de nouvelles des personnes arrêtées ni des autres groupes.
Les pompiers viendront évacuer deux personnes blessées, dont François qui a reçu un violent coup de batte de base-ball par un des civils présents auprès des gendarmes.

Le maire de Nonette et un de ses conseillers municipaux viennent sur place. Ils nous apportent leur soutien à titre personnel et se font insulter par les civils restés auprès des gendarmes. Il faut noter que la mairie de Nonette avait voté un arrêté anti-OGM sur sa commune qui avait été frappé de nullité par les services de l’état, au mépris de la démocratie locale.
La télévision (France 3) arrive sur place après l’action de désobéissance civique.

19h08, une délégation a enfin pu être envoyée aux gendarmes afin de savoir ce que sont devenues les personnes arrêtées. Les gendarmes indiquent uniquement qu’ils sont en contact avec le procureur de la république afin de savoir où ils seront incarcérés. Nous apprendrons plus tard qu’ils avaient été transférés dans deux gendarmeries d’Issoire, que leur mise en garde à vue leur était notifiée vers 18h15 et que 30 minutes plus tard ils étaient transférés à la gendarmerie de Clermont-Ferrand.

Après cela, je n’ai plus noté la chronologie précise des événements.
La confusion continue. Les discussions s’engagent sur ce que nous devrions faire maintenant. Nous ne savons pas comment joindre les deux autres groupes de Faucheurs. Il est finalement décidé qu’une partie de notre groupe aille aux voitures et que l’autre reste en bordure du chaume afin de maintenir sur place les gendarmes et éviter ainsi qu’ils n’interviennent là où sont les autres groupes de Faucheurs.

On s’organise comme on peut pour remettre sur pied les voitures, mais ça traîne. Certains récupèrent des roues de secours. Une voiture est remise en été de rouler et va chercher des pneus chez un garagiste.
Les deux autres groupes ont finalement pu être joins par téléphone et nous rejoignent à Nonette. Nous apprenons que la parcelle de Neschers a été arrachée en grande partie. Une partie des personnes reste en bordure du chaume, bien que l’arrivée des deux autres groupes ne justifie plus d’immobiliser les gendarmes. Le reste des personnes est aux voitures, sort celles qui sont dans le fossé et récupère des roues de secours auprès des nouveaux arrivants. Deux dépanneuses commencent à emporter les voitures immobilisées.

La nuit arrive, j’entends dire que les voitures des autres groupes stationnées tout près de nous viennent aussi d’avoir des pneus crevés. On apprend que les 15 personnes interpellées ont été emmenées sur deux gendarmeries, dont Issoire. Puis on apprend qu’ils ont finalement été transférés à Clermont-Ferrand. Le va et vient des dépanneuses continue.

Vers 22h, nous partons avec une voiture chercher François à l’hôpital d’Issoire. A notre arrivée aux urgences, nous apprendrons qu’il a une fracture de la main avec déplacement qui nécessitera la mise en place d’une broche et un arrêt de travail. A notre arrivée, il était déjà parti à pied à la gendarmerie pour y déposer une plainte. Il aura beaucoup de mal à le faire et ce n’est que le lendemain en début d’après-midi, après s’être rendu dans plusieurs gendarmeries et avoir insisté, que les gendarmes accepterons de prendre sa plainte.

Samedi soir, nous rentrons à Clermont-Ferrand où nous rejoignons le rassemblement de soutien qui s’est mis en place devant la gendarmerie. On essaie de faire le point, de manger un morceau, de réaliser ce qui se passe, de savoir ce qu’on peut faire pour les 15 camarades enfermés. On est fatigué. Nous discutons et débattons beaucoup entre nous de ce qui s’est passé. Certains resteront sur place durant les 38 heures de garde à vue. Deux voitures de l’Hérault redescendrons dimanche soir. Nous étions montés à trois voitures. On ramène François la main plâtrée. On laisse sur place Franck et Serge qui sont en garde à vue. Leur voiture est toujours immobilisée avec trois pneus crevés à plusieurs dizaines de kilomètres de là.

Ambroise

Montpellier, 29 août - 02 septembre 2005.

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