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« PETIT BREVIAIRE A L’USAGE DU JESUITISME SYNDICAL. »

Publie le lundi 23 juin 2003 par Open-Publishing

Ad augusta per angusta

Mes biens chers frères,

Vous, qui représentez et animez avec tant d’abnégation tout au long de l’
année, un véritable syndicalisme de « service » .

Vous qui vous occupez avec tant de célérité des mutations, des passages en
« hors classes » pour les enseignants, du sapin de Noël du comité d’
entreprise et de tant d’autres petits soucis qui affectent si durement le
monde laborieux, soulageant ainsi ses peines.

Vous qui déployez tant d’énergie quand viennent les élections syndicales
pour pouvoir passer ou rester devant vos concurrents. et ainsi obtenir les
subsides nécessaires pour payer les permanents.

Vous qui faites confiance à vos états majors syndicaux, vos leaders
estampillés après de longues batailles « seuls interlocuteurs officiels » du
pouvoir.

(sachez que nous utilisons tous les moyens légaux comme la loi Perben par
exemple pour empêcher que d’autres prennent nos places.).

Vous vous demandez effarés : Mais que faire quand un mouvement d’une telle
ampleur comme celui qui nous touche aujourd’hui, démarre, se développe, s’
amplifie et s’organise même sans que nous n’y soyons pour rien ou du moins
pour si peu ?

Aura popularis

Ne risque-t-on pas quand on s’apercevra que nous faisons tout pour le
canaliser, le freiner le contrôler, de nous faire jeter un jour de ces « 
Assemblées Générales » et ruiner ainsi tous nos efforts quotidiens ?

N’y a-t-il pas grand danger pour nous, frères militants, en ce moment
particulier où de partout surgit d’entre nos brebis la clameur d’une « Grève
Générale illimitée » ?

Oui, mes biens chers frères, vous voyez juste il y a bien péril en la
demeure ! Nous avons eu bien du mal, en effet, à prendre en marche le train
de la grève reconductible mais il fallait en passer par là sous peine d’être
désavoués par nos « bases ».

Mais vous ne vous poseriez pas toutes ces questions mes frères, si vous
aviez bien tous, dès le début, compris pourquoi nous devons empêcher ces
luttes d’arriver à leurs termes ! Dois-je vous rappeler que certains de nos
syndicats confédérés parmi les plus puissants adhèrent à l’illustre
Confédération Européenne des Syndicats ? (ceux qui n’y participent pas
encore sont néanmoins en complet accord avec ses objectifs). Ils y ont
obtenu une stature institutionnelle parmi toutes les autres institutions
européennes. Nous devons accompagner celles-ci pour garantir les droits des
travailleurs de notre continent. Ils sauront nous en être reconnaissants
soyez en sûrs. Mais de grâce n’imaginez surtout pas que nous pourrions, ou
même devrions, aller à l’encontre d’un système libéral dont personne (sauf
des poètes peut-être) ne voit l’alternative.

Cela n’enchante guère nombre d’entre vous je le sais, mais à ceux-là je
répondrai en employant cette expression populaire : contentons nous de
limiter la casse ! Et que leur conscience en soit apaisée.

L’Europe sociale à laquelle nous ouvrons c’est aussi l’Europe du capital, ne
soyons pas naïfs et de même qu’au niveau national, nous pouvons y remplir
parfaitement notre rôle de courtiers de la main d’ouvre. Car le capital ne
saurait se passer de nous comme force régulatrice et négociatrice. Allons
mes frères le libéralisme nous réserve encore de beaux jours ! Courage !

Et c’est bien en ce sens que nous assumons d’une façon responsable notre
rôle actuel que d’aucuns ne manqueront d’appeler perfidement « briseur de
grève ».

J’en viens d’ailleurs au conseil tant attendu de votre part pour justement
fermer leur caquet à ceux-là : non-syndiqués ou syndiqués de fraîche date ou
encore porte-voix de syndicats alternatifs. Car il faut avec célérité s’
employer à désamorcer la bombe que leurs critiques pourraient faire
exploser.

Lors de nos premières expéditions missionnaires au Japon (16ème siècle)
certains d’entre nous en ont rapporté l’art subtil du Jiu-Jitsu. Un des
principes fondamentaux en est qu’il ne faut pas opposer la force à la force
(surtout si l’on ne fait pas le poids) mais jouer sur le déséquilibre de l’
adversaire utilisant même sa propre inertie. En voici l’application :

Nolens, volens

1. Les « révolutionnaires » partisans de la démocratie directe en appellent
toujours aux assemblée générales souveraines. Cela à priori remet en cause
notre rôle, on le sait, mais ces assemblées se créent spontanément et nous n
’y pouvons rien... Aussi, n’allons pas à contre courant il suffit d’y être
présents ! Vous avez tous lu Platon dans le texte et vous n’ignorez pas que
dans des lieux ou le pouvoir vient de la parole, ceux qui jactent le mieux
tirent leur épingle du jeu. Or n’êtes vous pas des spécialistes ? Considérez
l’avantage que vous avez sur ces néophytes qui s’exercent pour la première
fois, ô combien maladroitement, à s’exprimer en public !

Quid nescit dissimulare nescit regnare

2. Dites oui aux A.G ! Résolument ! Et même allez plus loin ! Si l’on vous
demande pourquoi vous n’appelez pas à la grève Générale illimitée, ne vous
effrayez pas : retournez la force de votre contradicteur contre lui : n’
hésitez pas à dire haut et fort que si vous ne le faites pas c’est par
respect pour ces mêmes Assemblées qui seules ont le pouvoir de décider d’une
telle chose. C’est par respect pour la démocratie que vous n’en faites rien
 ! Et le tour est joué !

3. Remarquez l’habileté de l’argument : d’une part vous apparaissez dans
toute la modestie d’un vrai représentant de « la base » mais en plus vous ne
manquerez pas de stigmatiser à l’occasion celui qui vous demande des comptes
comme un de ces aventuriers qui n’hésiterait pas, lui, à se substituer à la
volonté collective ! ! !

Voici donc une phrase type que vous pouvez utiliser partout : « Nous n’
appelons pas à la grève générale car ce sont les assemblées qui décident et
nous ne saurions nous substituer à elles ! Nous respectons la démocratie,
nous ! »

L’argument portera d’autant plus que votre contradicteur sera le porte
parole d’un de ces petits syndicats alternatifs qui pullulent depuis peu.

Ceux-ci, en effet, sont prêts à en appeler aux Assemblées et même aux « 
Coordinations » d’assemblées sans rechercher aucune reconnaissance
particulière pour leurs syndicats ! Cette position pourrait leur amener bon
nombre de sympathies. Ce qui apparaîtrait comme gage de leur honnêteté peut
néanmoins se retourner contre eux pour peu que l’on insinue adroitement qu’
en fait ils se fondent dans les assemblées pour mieux les manipuler,
profitant du fait qu’ils sont moins connus que nous qui ne pouvons nous
cacher du fait de notre notoriété.

N’ est ce pas là une prise admirable digne des grands maîtres du Jiu-Jitsu ?

Allons, le temps presse mes frères et la besogne est dure : les grévistes
semblent déterminés à poursuivre leur mouvement et il est à espérer que
notre labeur soit récompensé ! Mais de toutes façons si ce n’est par les uns
ce sera par les autres.

Ah ! J’oubliais ! Ayez toujours à l’esprit le mot d’un de nos illustres
prédécesseurs le Père Maurice Thorez : « Il faut savoir terminer une grève
 ! »

PS : Veuillez à ce que ce document ne soit pas divulgué à de simples curés
de campagne qui n’ont pas la formation suffisante pour en comprendre la
nature.