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Les OGM, une arme contre les paysans Main basse sur les terres du Paraná brésilien

Publie le dimanche 19 mars 2006 par Open-Publishing

Depuis l’Argentine, le soja transgénique franchit les frontières, envahissant le Paraguay et, en contrebande, l’Etat du sud du Brésil frontalier de ces deux pays, le Paraná. Les OGM sont utilisées aux dépens des petits producteurs et créent de nouvelles formes de dépendance. Se profile ainsi un modèle, rejeté par les paysans latino-américains, de monoculture industrielle contrôlée par les transnationales.

Par Renaud Lambert

« Terra roxa. » La « terre rousse », l’une des plus fertiles au monde... Elle abonde dans cet Etat du sud du Brésil, le Paraná. « Un véritable rêve », s’enthousiasme M. Laércio Trucolo, qui gère la production de la fazenda (1) Chapadão, paradis agricole de 1 400 hectares. « Ici, on obtient sans problème deux récoltes par an. De quoi faire des envieux en Europe ! » Un rêve en effet. Rêve de profits juteux pour les uns, grâce à une agriculture toujours plus « moderne » et « technologique ». Rêve de subsistance et de dignité pour les autres... beaucoup plus nombreux.

Trente mille fazendeiros se partagent près de 70 % des 16 millions d’hectares cultivés du Paraná, avec plus de 100 hectares par exploitation... parfois beaucoup plus. A leurs côtés, quelque 300 000 petits propriétaires exploitent des domaines compris entre 5 et 40 hectares pour la plupart, soit environ 27 % de la surface cultivée. Pendant ce temps, 300 000 familles de « sans-terre » se partagent la surface restante, avec moins de 5 hectares chacune. Il en faudrait pourtant une quinzaine pour nourrir une maisonnée de six personnes.

Ces familles ont été les premières victimes de la modernisation accélérée de l’agriculture dans les années 1980. Il fallait de grandes surfaces pour l’expansion du « modèle de l’agrobusiness, avec son cocktail de mécanisation, d’herbicides, d’engrais chimiques et d’irrigation intensive », explique M. Roberto Baggio, du Mouvement des sans-terre (MST). Entre 1985 et 1995, chaque année, dans l’ensemble du pays, 100 000 propriétés agricoles ont disparu. « Révolution verte », prétendit-on. Une appellation somme toute ironique au regard de la violence sociale et des dégâts environnementaux qu’elle engendra, à commencer par une massive déforestation.

Au début du XXe siècle, la forêt couvrait plus de 16 des 19 millions d’hectares du Paraná. Sous les haches et les tronçonneuses des immigrants, cette couverture sylvestre a reculé au point de ne plus atteindre que 1,5 million d’hectares à peine (8 % de la surface de l’Etat).

Pendant ce temps, la région s’emparait d’un triste titre, celui de principal consommateur de pesticides et de fertilisants chimiques du Brésil. Alors qu’on commence à faire le lien entre l’utilisation intensive de ces produits et l’autre record national du Paraná - celui des cancers du foie et du pancréas -, de plus en plus nombreux sont ceux qui suggèrent, avec M. João Pedro Stedile, de la direction nationale du MST, que la révolution verte avait tout d’une « contre-réforme marron ».

Toutefois, si le processus de concentration de la terre est pratiquement stabilisé, il pourrait reprendre avec l’arrivée des semences transgéniques, notamment par le biais d’une contrebande en provenance d’Argentine, où elles sont autorisées, et à la grande satisfaction de la multinationale Monsanto (2). Certes, totalement inconnu il y a peu au Paraná, le soja modifié génétiquement n’y atteint « pas plus de 2 % de la production », comme le souligne le gouverneur du Paraná, M. Roberto Requião. Mais, autour de Francisco Beltrão, « près de 70 % des gens font du transgénique », estime M. Juan Bedenaski, bien placé pour se faire une idée - il vend des herbicides et des engrais chimiques aux agriculteurs locaux. La contamination progresse, le système des « royalties » - taxe indépendante du prix de vente final perçue par Monsanto pour l’utilisation de ses semences, que la firme a bien sûr protégées par des brevets très stricts - peut alors montrer son vrai visage (3).

Monsanto n’ayant pas cherché à percevoir cette taxe les premières années, beaucoup d’agriculteurs ont été tentés par des semences « gratuites » que vantaient les services commerciaux de la puissante multinationale et... la très large majorité des médias. Toutefois, en 2004, Monsanto impose soudain des royalties de 0,62 real par sac de 60 kg. Comble de l’absurde, bon nombre de producteurs se résignent petit à petit à payer, même pour du soja « conventionnel », préférant ne pas risquer l’amende de 1,5 real par sac (en 2004) imposée aux « resquilleurs », parfois eux-mêmes victimes involontaires d’une contamination spontanée, de champ à champ, que nul ne contrôle...

De son côté, la multinationale s’assure le soutien des grandes coopératives en les intéressant à une rente d’autant plus lucrative qu’une hausse des tarifs de 100 % a déjà été annoncée pour la récole 2005-2006 ! Alors que la sécheresse fait baisser la productivité et que l’évolution du cours du dollar n’a rien de favorable (4), l’étau se resserre sur les « petits », menacés d’exclusion...

Ce sont pourtant eux qui génèrent 80 % des emplois, assurent la redistribution des revenus de la terre, renforcent l’implantation rurale et contribuent à la disponibilité d’aliments de base qui n’intéressent guère les agro-exportateurs. Selon l’Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE), la production de haricot noir - lequel est typique des tables brésiliennes - est passée de 38 kg par habitant en 1938 à moins de 10 kg à l’heure actuelle, tandis que le feijão reste toujours aussi populaire. Qu’à cela ne tienne. L’agrobusiness réussit à imposer sa vision de l’agriculture... Il serait même sur le point de remporter une victoire décisive selon M. Baggio, pour qui les transgéniques représentent rien de moins que « l’ultime bataille pour la domination de la terre, non plus par un petit groupe de latifundistes, mais par un groupe encore plus restreint de multinationales ».

Un espoir était pourtant né lors de l’élection de M. Luiz Inácio Lula da Silva à la présidence du pays, en 2002, mais il en fut de la promesse d’interdire les OGM comme de beaucoup d’autres. La nomination de M. Roberto Rodrigues au ministère de l’agriculture avait d’ailleurs valeur de programme : il siège au conseil d’administration de la fondation Bunge, l’une des grandes multinationales du marché des semences.

C’est avec l’autorisation de la commercialisation puis de la culture du soja transgénique dans l’Etat du Rio Grande do Sul qu’a commencé, en octobre 2003, une longue série de rebuffades pour les opposants aux OGM. Leurs derniers espoirs se sont évanouis le 24 mars 2005, quand a été approuvée la « loi de biosécurité » qui ouvre la voie à leur commercialisation. Si la constitutionnalité du texte est mise en doute, notamment par l’Institut de défense du consommateur (IDEC) brésilien, celui-ci n’en constitue pas moins une victoire importante pour la demi-douzaine de multinationales qui se trouvent en bonne voie de s’assurer un monopole et une rente permanente dans un marché inexistant il y a encore vingt ans. Quant au gouvernement, sa décision, en 2003, de surtaxer de 35 % les importations de glyphosate (5) chinois sans que celui de Monsanto soit inquiété laisse quelque peu rêveur...

Le danger de voir s’établir un monopole a fait entrer dans l’arène le gouverneur du Paraná, M. Requião. Alors que, sous la pression des consommateurs, la demande des grands importateurs (l’Europe et l’Asie) s’oriente de plus en plus vers les produits non OGM, les exportations de soja des Etats-Unis, principalement transgéniques, chutent (- 41,5 % en 2004) au profit de la production brésilienne. Une compétition qui dérange, au Nord. Dans ce contexte, M. Requião ne peut tolérer que la « souveraineté nationale » soit soumise à des brevets détenus par une poignée de multinationales dont les intérêts sont souvent proches de ceux de Washington. « S’ils parviennent à généraliser l’utilisation des transgéniques, ils parviendront à contrôler notre production. » L’arme alimentaire au service d’enjeux géopolitiques, en quelque sorte...

Après avoir tenté de se déclarer « zone libre de transgéniques » en octobre 2003 - sous la pression des mouvements sociaux -, le Paraná a dû concentrer sa lutte sur Paranaguá, principal port céréalier de l’Amérique latine, dont il détient la gestion. Celui-ci fut fermé aux produits transgéniques sur la base d’arguments techniques. « Nous n’avons qu’un silo, explique le gouverneur. Si nous mettons du soja transgénique dans le circuit, nous aurons une contamination, et tout le soja du Paraná sera considéré comme transgénique. » Pourtant, un second silo, destiné aux céréales « conventionnelles », est en construction ! Dénonçant une tentative de manipulation, l’opposition - proche des multinationales du marché des semences, et favorable à l’ouverture du port aux transgéniques - enchaîne lock-out et enquêtes parlementaires visant à ce que l’Union - le Brésil étant un Etat fédéral - reprenne le contrôle des installations. Une « fédéralisation » qui, dans la très grande majorité des cas, là où elle a eu lieu ailleurs dans le pays, s’est révélée être une étape intermédiaire vers la privatisation des ports... et leur ouverture aux transgéniques.
Pragmatisme économique

Le Paraná s’arc-boute sur la défense du principe de précaution, inscrit dans la Constitution de 1988, mais c’est la détermination des consommateurs européens et asiatiques à refuser l’arrivée dans leur assiette des produits modifiés génétiquement qui fera la différence. En effet, si le directeur commercial du port de Paranaguá, M. Ruy Alberto Zibetti, se gargarise de bons sentiments, derrière l’« éthique » à laquelle il fait tant référence transparaît... le « pragmatisme » économique et la nécessité pour le Paraná de proposer un produit différencié, économiquement viable sur le marché international ! En revanche, cette même logique d’intégration au marché ne remet nullement en cause la logique productiviste.

« Nous avons besoin d’une agriculture de masse », assène M. Requião. De son côté, le secrétariat à l’agriculture aime à rappeler que le Paraná continue à « battre des records », stimulé par d’importants « gains de productivité » (6). Il est vrai qu’avec 2,3 % du territoire national il trône en tête des Etats céréaliers, comptant pour 23 % dans la production brésilienne en 2004. L’agrobusiness y est devenu la principale activité économique (environ un tiers du produit intérieur brut) et s’est concentré sur le maïs, le blé, l’orge, l’avoine (le Paraná en est le premier producteur au Brésil) mais aussi, bien sûr, le soja (deuxième producteur), dont le poids relatif ne cesse de croître. Entre 1990 et 2003, la surface occupée par ces cultures a augmenté de 14 %, pour atteindre 8 millions d’hectares. La production, elle, est passée de 12 millions à plus de 30 millions de tonnes... Et ce n’est pas fini.

« Il faut produire, produire, produire... », martèle M. Marcos Prochet, représentant l’Union démocratique ruraliste au Paraná (une organisation créée par les grands propriétaires dans le but de « répondre » à la naissance du MST), en frappant du poing le volant de sa berline. « Vous comprenez, les pauvres reçoivent de l’argent quand ils ont des enfants, alors... - un sourire entendu - il faut bien que nous fassions en sorte qu’il y ait assez à manger ! » Pourtant, si la forêt recule, ce n’est le cas ni de la pauvreté ni de la faim... Pour le réseau Ecovida (7), l’argument ne tient tout simplement pas. « La faim est un problème social et politique, pas technologique. » Il ne sera pas réglé par « la modernisation conservatrice, polluante et inégalitaire de l’agriculture ».

Ce modèle est loin d’avoir fait la preuve de sa viabilité. Une étude montre que la « modernisation conservatrice » de l’agriculture implique une augmentation deux fois plus rapide des coûts que de la productivité, se soldant par une réduction de la valeur ajoutée brute de la production (8). Par ailleurs, au coût de la pollution des nappes phréatiques (responsable de plus de 6 000 cas reconnus et de 30 000 cas estimés d’intoxication au Paraná depuis 1993 [9]), on commence à ajouter celui de l’épuisement des sols lié à la trop fréquente monoculture du soja. En Argentine où, contrairement au Brésil, le phénomène est assez ancien pour permettre une estimation, cet appauvrissement des sols en minéraux correspondait à 20 % des recettes agricoles en 2002 (9). Pour M. Stedile et pour M. Frei Sergio Gorgen, député du Parti des travailleurs (PT) au Rio Grande do Sul, les comptes sont rapidement faits : l’agrobusiness « ne survit aujourd’hui que grâce aux subventions et facilités consenties par l’Etat brésilien ».

Un exemple : entrée en vigueur en 1997 et considérée comme le coup d’accélérateur qui a permis à l’agrobusiness de se développer, la loi Kandir exonère les exportateurs de matières premières du paiement de l’impôt sur la circulation des marchandises et des services (ICMS) - impôt sur la valeur ajoutée de 13 % payé aux Etats. Le gouvernement fédéral s’était engagé à couvrir le manque à gagner pour les Etats, mais il ne l’a jamais fait entièrement. Pour le seul Paraná, « c’est un cadeau de plus de 4 milliards de reals [plus de un milliard 500 millions d’euros] qui a été consenti depuis la mise en application de la loi », affirme M. Baggio. Le passage au modèle intensif opère ainsi un transfert de richesse des « petits » agriculteurs vers les « grandes » entreprises (de l’agrochimie, notamment), et de la sphère publique vers la sphère privée. Les recettes éprouvées du néolibéralisme...
Des problèmes environnementaux et sociaux

A ce système, les mouvements sociaux opposent un autre, plus respectueux des hommes et de l’environnement, qui s’appuie sur deux concepts : la réforme agraire, et un modèle agricole durable et écologique. Le fameux « produire moins, pour produire mieux »... « et pour le marché interne ! », ajoute M. Vanderley Ziger, directeur de la coopérative Cresol-Baser, créée en 1996 dans les régions du sud-est et du centre-ouest du Paraná. Son objectif : permettre aux petits agriculteurs l’« accès au crédit coopératif, aux technologies d’exploitation biologique et durable ». Il s’agit aussi de constituer « un système de commercialisation qui sorte du réseau capitaliste des grandes coopératives », de retrouver des circuits courts d’approvisionnements, et d’en finir avec les « aliments touristiques » qui sortent du pays pour y revenir en ayant enrichi les intermédiaires. Le but affiché n’est autre que d’aider les agriculteurs à « reprendre les rênes de leur vie et de leur environnement » en affirmant leur identité. Comme l’explique M. Gilmar Ostrovksi, d’Ecovida, « la réappropriation de l’agriculture est une réappropriation politique et sociale ». Programme farfelu, coupé des réalités ? « C’est le seul qui nous permette de régler à la fois nos problèmes environnementaux et sociaux, comme le chômage et l’exode rural », assure-t-on dans les bureaux de Cresol-Baser. D’ailleurs, « le projet est déjà inscrit dans la loi ! ».

En effet, la Constitution de 1988 établit qu’il est « de la compétence de l’Union d’exproprier (...), dans l’optique de la réforme agraire, les terres qui ne remplissent pas leur fonction sociale ». Par fonction sociale, on entend l’« utilisation adéquate des ressources naturelles et [la] préservation de l’environnement », le « respect des dispositions qui régulent les relations de travail » et la protection du « bien-être des propriétaires et des travailleurs ».

Dans un bureau feutré de Curitiba, le directeur général du secrétariat à l’agriculture, M. Newton Ribas, balaie l’idée d’un revers de la main. « La réforme agraire est déjà faite au Paraná : nous avons assez de petits agriculteurs ! Et puis, il n’y a pas de terres disponibles ici. (...) Le Brésil est grand : les sans- terre peuvent aller ailleurs ! » Rejoindre les légions de travailleurs exploités dans le Cerrado (10), par exemple ? Selon l’Institut national de colonisation et de réforme agraire (Incra), pourtant, 2,6 millions d’hectares de terre manquent au cadastre officiel du Paraná, probablement occupés illégalement par des agriculteurs ayant « oublié » de les déclarer. Un motif suffisant pour l’expropriation... « De toute façon, explique l’agronome Christophe Lannoy, même si on doublait les surfaces occupées par les gens qui n’ont que 25 hectares aujourd’hui, il resterait des terres au Paraná. Le problème est un problème de volonté politique ! » Il est vrai qu’en la matière la déception est grande pour tous ceux qui attendaient du Brésil de « Lula » qu’il ouvre la voie à des solutions de rechange au modèle libéral.

Au niveau fédéral, le gouvernement n’a pas su briser la vision d’une « agriculture de classe » ancrée dans les institutions mêmes. L’impossibilité d’apporter une réponse structurelle aux questions agricoles s’y manifeste par l’existence, d’un côté, du ministère de l’agriculture de M. Rodrigues, et, de l’autre, de celui du développement rural, qui tente de pourvoir aux besoins des agriculteurs familiaux. Dans les Etats, la même bicéphalie règne. Alors que dans la plupart des secrétariats du gouvernement on dit vouloir « défendre les petits » et « protéger l’environnement », notamment avec le lancement d’une école d’agro-écologie en partenariat avec Caracas et La Havane, le gouverneur Requião affirme que « l’agro-écologie n’est guère qu’une utopie ».

De son côté, le secrétaire d’Etat au budget, M. Reinhold Stephanes - issu du Parti du front libéral (PFL) et impliqué dans la préparation du plan real (11) -, se félicite de ce que « l’aide que reçoivent les agriculteurs familiaux ne [nous] coûte pas cher : elle provient principalement de l’Union et de la Banque mondiale ! ». Banque mondiale dont M. Frei Betto, membre démissionnaire du gouvernement car critique à l’égard de sa politique, explique qu’elle « interdit au Brésil toute réforme structurante (12) ».

Ainsi, entre autres mesures, l’Union offre des crédits soumis aux desiderata de Banco do Brasil (qui gère tous les fonds selon un agenda favorisant ses clients les plus solvables) et qui entretiennent la chaîne de la dette. De son côté, l’Etat construit des granges (pour que les agriculteurs « stockent et vendent leurs céréales au meilleur prix ») et « certifie » la production pour faciliter les exportations. Sont ainsi perpétrées les bases mêmes du modèle en place. Faut-il lire ici un manque d’ambition politique ou la démonstration d’une crise structurelle empêchant le changement dans le pays ? A l’heure des bilans, le débat fait rage entre les déçus du PT et les « lulistes » acharnés.

Prises ou reprises de contrôle d’entreprises stratégiques dont l’activité est circonscrite aux frontières de l’Etat (comme la compagnie d’électricité du Paraná, Copel), renégociations des « contrats immoraux » qui liaient le Paraná à des firmes prédatrices, réforme profonde de l’éducation, participation à Telesur (13) (à travers un partenariat avec la télévision publique Paraná Educativa), etc. : par comparaison, l’ampleur des mesures prises par le gouverneur du Paraná suggère indéniablement qu’il existe au niveau de l’Etat fédéral une forte inertie, et, particulièrement dans le domaine de l’agriculture, secteur stratégique pour la classe dominante brésilienne, une élite avant tout agraire.
Une volonté d’émancipation

Dans un pays où la doxa néolibérale est à ce point intériorisée qu’en termes d’orthodoxie économique « le pouvoir de l’Union sur les Etats est plus fort que celui du FMI sur l’Union (14) », le recul des pouvoirs publics devant les intérêts privés apparaît, pour beaucoup, comme une fatalité. La crise qui affecte le PT met à mal l’espoir d’un changement mû par le pouvoir politique (15). Dans ce contexte, on évoque le nom de M. Requião pour conduire la « gauche » si M. Lula da Silva ne se représentait pas. Mais son « nationalisme musclé » ne se heurterait-il pas aux mêmes limitations, imposées par des mandats trop courts et des institutions perverties par la corruption et le clientélisme ? De plus, sa vision d’un « capitalisme non spéculatif » basé sur des politiques « compensatoires (16) » se contentant d’adoucir les effets d’un système structurellement injuste est-elle en phase avec la volonté d’émancipation profonde des agriculteurs familiaux, des sans-terre, de tous ceux qui sont décidés à sortir du statut de dominé auquel les condamne le modèle actuel ?

En tout cas, pour ceux-ci, il faudra faire vite... avant que le soja transgénique n’ait contaminé tout le pays.
Renaud Lambert.

(1) Grande propriété agricole. Son propriétaire est le fazendeiro.

(2) Interdit au Brésil, mais y ayant été introduit par ce biais, le soja transgénique a bénéficié, le 25 septembre 2003, d’une « mesure provisoire » autorisant sa récolte pour la campagne 2003-2004. Depuis, le provisoire dure...

(3) Lire Jean-Jacques Sevilla, « Chancelante résistance aux OGM », Le Monde diplomatique, décembre 2003.

(4) Lors de la « super-récolte » de 2003-2004, le soja valait environ 17 dollars le sac, et le dollar 4 reals. En 2005, le soja évolue autour de 11 dollars le sac, et le dollar autour de 2,5 reals. Source : Entreprise d’assistance technique et de développement rural du Paraná (Emater-PR), entretien avec l’auteur.

(5) Herbicide. Le soja transgénique fabriqué par Monsanto est conçu pour lui résister.

(6) Plaquette du secrétariat d’Etat à l’agriculture et à l’approvisionnement, Curitiba, 2004.

(7) Réseau de soutien à l’agro-écologie de la partie sud du Brésil.

(8) Etude réalisée par Sistema Cresol 2002, citée dans « Terceiro encontro estadual - Paraná - Brasil », Jornada de agroecologia, Lance Livre Design, Produções e editora Ltda, Curitiba, 2004.

(9) Voir le documentaire de Marcelo Viñas intitulé Hambre de soja, Icaro, Buenos Aires, 2004.

(10) Région de savane boisée de plus de 2 millions de kilomètres carrés, principalement brésilienne, qui s’étend sur plusieurs Etats, de l’intérieur des terres aux limites de l’Amazonie.

(11) Tentative de dollarisation de l’économie menée par le président Fernando Henrique Cardoso en 1994, étape-clé du tournant néolibéral de la politique économique brésilienne.

(12) Propos tenus lors du Forum franco-brésilien de la société civile, les 12 et 13 juillet 2005, au Conseil économique à Paris.

(13) Chaîne de télévision latino-américaine lancée à l’initiative du président vénézuélien Hugo Chávez pour contrer l’influence des chaînes commerciales et de CNN en matière d’information. En sont actionnaires l’Argentine, Cuba, l’Uruguay et le Venezuela.

(14) Propos tenus par M. Stephanes.

(15) Lire Ignacio Ramonet, « Brésil, le gâchis », Le Monde diplomatique, octobre 2005.

(16) Entretien, Caros amigos, Vila Madalena, juillet 2005.

LE MONDE DIPLOMATIQUE | janvier 2006 | Pages 20 et 21
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/01/LAMBERT/13097