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Chirac se heurte à l’âpre réalité calédonienne

Publie le samedi 26 juillet 2003 par Open-Publishing

Au troisième et dernier jour de son déplacement sur le "Caillou", la venue du chef de l’Etat dans le Nord, contrôlé par les indépendantistes, a été perturbée par des heurts entre forces de l’ordre et manifestants kanaks à Koné, chef-lieu de la province.
Quelque 400 indépendantistes radicaux s’étaient rassemblés près du siège de l’Assemblée provinciale de Koné, où Jacques Chirac a prononcé un discours, à l’appel de l’Union calédonienne (UC) et de l’Union syndicale des travailleurs kanaks et exploités (USTKE), franges radicales du FLNKS, pour faire entendre leurs revendications politiques, sociales et identitaires.
Les gendarmes mobiles déployés en nombre devant le siège de l’Assemblée ont tiré des grenades lacrymogènes pour repousser des dizaines de manifestants qui étaient parvenus à franchir le cordon des forces de l’ordre alors que Jacques Chirac était accueilli selon la coutume mélanésienne. La fumée des grenades lacrymogènes s’est alors mêlée à celle des feux allumés par les manifestants, incommodant la délégation présidentielle.
Selon l’Elysée, les manifestants ont refusé d’être reçus en délégation par la ministre de l’Outre-Mer Brigitte Girardin, qui accompagnait le chef de l’Etat. On parle de "casseurs", "agressifs et violents", non représentatifs de l’indépendantisme. Cet incident malvenu dans un voyage placé sous le signe du dialogue aura donné la mesure de la complexité calédonienne, que l’accord de Nouméa de 1998 est loin d’avoir résolue. Libéré de la crise sanglante des années 80, ce territoire d’outre-mer souffre aujourd’hui d’une crise larvée dont la manifestation de Koné est une illustration.
"France, sais-tu le sens des mots : parole donnée", "Halte à l’immigration", "Stop à l’embauche massive des expatriés", "Kanaky, Kanaky", pouvait-on lire sur des banderoles lors de la manifestation de Koné, à côté de "Etat complice du RPCR", ou "Chirac, tu as du sang kanak sur les mains".
Le souvenir de l’assaut de la grotte d’Ouvéa, qui avait fait 21 morts (19 Kanaks, deux militaires) le 5 mai 1988, s’est inscrit en filigrane de la visite du chef de l’Etat, qui n’avait pas revu la Nouvelle-Calédonie depuis 1987. Si Jacques Chirac a invoqué jeudi "le devoir de mémoire", on souligne dans son entourage qu’il n’est pas question de "regret" pour une opération qui avait été décidée par Jacques Chirac, alors Premier ministre, "en concertation" avec le président François Mitterrand, "chef des armées".
Le radicalisme indépendantiste se nourrit à travers cet épisode de la rancoeur persistante envers l’ancienne puissance coloniale, mais aussi des inégalités sociales entre Kanaks et Caldoches (Européens) et d’une défiance plus large à l’égard de la classe politique calédonienne, dont le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) de Jacques Lafleur, présent vendredi à Koné aux côtés de Paul Néaoutyne, président de la province Nord et chef du Palika (Parti de libération kanak).

LE CORPS ELECTORAL DEFINI AVANT 2007
L’UC et l’USTKE accusent Paul Néaoutyne, qui a représenté le FLNKS lors du troisième comité des signataires de l’Accord de Nouméa en juin à Koné, de faire le jeu du RPCR. Néaoutyne est considéré à l’Elysée comme "l’homme du dialogue", dans la lignée de Jean-Marie Tjibaou.
Au-delà des dissensions politiciennes, "loyalistes" et indépendantistes ont exprimé chacun à leur manière leurs inquiétudes sur l’avenir du territoire, suspendu au terme du processus politique de Nouméa qui prévoit entre 2013 et 2018 un référendum sur l’indépendance du "Caillou", déjà en voie d’émancipation grâce à un transfert progressif de compétences.
Dans un territoire qui compte 341 tribus mélanésiennes face à la communauté caldoche, la problématique de la citoyenneté domine les débats politiques. Ainsi la question de la composition du corps électoral reste-t-elle en souffrance depuis cinq ans en raison des ambiguïtés de l’accord de Nouméa.
Aux termes de l’accord de 1998, figurait sur les listes toute personne ayant résidé dix années consécutives sur le Caillou, le corps électoral étant "gelé" à partir de 1998 afin d’empêcher de nouveaux immigrants de s’inscrire. Les indépendantistes, qui voient dans l’immigration métropolitaine une menace pour l’émancipation du territoire, se tiennent à cette restriction.
Le Conseil constitutionnel s’est opposé en mars 1999 au "corps gelé" et a instauré le corps électoral "glissant", ouvert à toute personne justifiant de dix ans de résidence. Le FLNKS ayant protesté contre cette décision, le gouvernement de Lionel Jospin avait préparé un projet de loi constitutionnelle rétablissant l’article sur le "corps gelé". Mais le texte n’a pu être adopté, la réunion du Congrès à Versailles en janvier 2000 ayant été reportée.
Dans une interview à la chaîne de télévision RFO, Jacques Chirac s’est engagé vendredi à régler le problème "avant la fin de mon quinquennat, c’est-à-dire 2007". "Pour mener à bien ce travail, il ne suffira pas, comme on l’entend parfois, de convoquer le Congrès à Versailles", a-t-il dit vendredi matin devant l’Assemblée de la province Nord.
On regrette à l’Elysée que cette "polémique" entache la campagne pour les élections de 2004, alors que le problème ne se posera qu’au scrutin de 2009. Pour l’entourage de Jacques Chirac, la définition d’un corps électoral "bloqué" constituerait au regard des normes démocratiques internationales un problème de "discrimination électorale" dans l’hypothèse de l’indépendance du territoire.
On souligne plus généralement que "l’identité kanake doit être respectée ; sinon, ça ne marchera pas" et que la solution passe notamment par un rééquilibrage économique entre la prospère province du Sud de Jacques Lafleur et les provinces indépendantistes du Nord et des Iles Loyauté.
Si elle n’a pas résolu un faisceau de problèmes, la visite de Jacques Chirac, 15 ans après Ouvéa, aura permis de mettre en lumière les ressorts complexes du "mal" calédonien.
Le chef de l’Etat quitte Nouméa samedi matin pour la Polynésie française, dernière étape de sa visite. En raison du passage du méridien de changement de date, son arrivée à Papeete est prévu vendredi en fin de journée.