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apartheid israélien : omar barghouti sur radio campus lille 106,6

Publie le mardi 21 mars 2006 par Open-Publishing

CE MERCREDI 22 MARS

A 18H30

« C’EST L’HEURE DE L’METTRE »

sur RADIO CAMPUS LILLE 106,6

en direct via : www.campuslille.com

Avec : "1/4 d’heure en Palestine" spécial

En direct de Palestine, nous nous entretiendrons avec Omar BARGHOUTI, chercheur indépendant, dont vous pouvez lire l’article suivant :

• Le texte comporte normalement des notes que vous retrouverez, en anglais, ainsi que le texte original lui-même, à la page suivante :

http://www.pacbi.org/articles_by_campaign_members_more.php?id=124_0_6_0_C

APARTHEID ISRAELIEN : LA SOLUTION SUD-AFRICAINE

Par Omar BARGHOUTI, chercheur palestinien indépendant, janvier 2006

A ce jour, nombre de Palestiniens considèrent le système israélien colonialiste et raciste, bafouant les droits humains les plus élémentaires, comme une forme d’apartheid. En fait, les Palestiniens sont loin d’être seuls à porter ce jugement sur Israël ; des intellectuels de premier plan, des responsables politiques et des défenseurs des droits humains sud-africains, souscrivent à ce point de vue. Ainsi, dans un article au titre évocateur, « Apartheid en terre sainte », l’Archevêque Desmond Tutu a-t-il pu écrire :

« J’ai été profondément meurtri par ma visite en Terre Sainte ; elle me rappela brutalement notre sort à nous, Noirs d’Afrique du Sud. (...) Est-ce que nos sœurs et frères juifs ont oublié leur humiliation ? Ont-ils oublié les punitions collectives, les démolitions de maison de leur propre histoire si récente ? »

En fait, beaucoup de Juifs n’ont pas oublié. En Israël même, quelques politiciens et journalistes juifs ont réalisé des analogies très claires entre Israël et l’Afrique du Sud. Roman Bronfman, Président du Choix Démocratique, une aile du parti Yahad, a critiqué ce qu’il a appelé « un régime d’apartheid dans les territoires occupés », ajoutant que « la politique d’apartheid s’est aussi infiltrée dans l’Etat même d’Israël, par les discriminations quotidiennes à l’encontre des Arabes israéliens et des autres minorités. Le combat contre une telle visée fasciste doit être la priorité de chaque humaniste . »

Esther Levitan, la mamie juive condamnée sans procès à une assignation à résidence à perpétuité, dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, du fait de son engagement au sein de l’A.N.C., déclara, dans une interview donnée à Haaretz, qu’elle considérait Israël comme un Etat affreusement raciste, ajoutant : « Les Israéliens ont cette détestable haine des Arabes qui me rend malade. (...) Ils vont créer ici un apartheid en pire. »

L’ancienne ministre de l’Education israélienne, Shulamit Aloni, a déclaré récemment qu’Israël commettait des « crimes de guerre », utilisait la « terreur » et n’était « en rien différent de l’Afrique du Sud raciste ». A la question de savoir comment elle voyait l’avenir d’Israël, Aloni répondit : « Je peux vous proposer des ouvrages de Mussolini sur le fascisme. Lisez-les et vous parviendrez à une conclusion sans équivoque : les ministres de l’actuel gouvernement d’Israël prennent ce chemin-là ».

De courageux leaders juifs sud-africains firent eux aussi entendre leurs voix contre l’apartheid israélien en publiant leur fameuse Déclaration de Conscience « Not in our names », laquelle condamnait le déni des droits des Palestiniens par Israël, comme étant la cause première du conflit. Cette Déclaration, rédigée par le ministre Ronnie Kasrils et le juriste Max Ozinsky, et signée par des centaines d’autres personnalités juives sud-africaines, nous dit : « Il devient difficile, en particulier à partir de la perspective sud-africaine, de ne pas établir de parallèles entre l’oppression vécue par les Palestiniens sous le joug d’Israël, et celle vécue en Afrique du Sud au temps de l’apartheid ».

On peut se demander ce qui a bien pu déclencher cette indignation morale. Les échantillons qui suivent, représentatifs de l’oppression israélienne sur les trois composantes du peuple palestinien ( ceux qui vivent sous occupation, les exilés, et ceux d’Israël ) devraient nous aider à répondre à cette question.

L’OCCUPATION ISRAELIENNE

Rien ne peut mieux illustrer l’immense injustice de l’occupation que le Mur colonial d’Israël, construit en grande partie en territoires occupés, et objet d’un jugement historique de la Cour Internationale de La Haye en juillet 2004, confirmant son caractère illégal. En dépit des graves répercussions de ce Mur sur la vie quotidienne des Palestiniens, sur leur environnement, et sur leurs droits politiques, un quasi consensus existe, parmi les Juifs israéliens, pour soutenir sa construction. L’ancienne ministre de l’Environnement, Yehudit Naot, cela dit, protesta contre un aspect spécifique du Mur, déclarant :

« La clôture de séparation brise la continuité de zones naturelles et nuit au paysage, à la flore et à la faune, aux couloirs écologiques et à l’écoulement des ruisseaux. Ce système de protection va affecter de façon irréversible les ressources naturelles et créer des enclaves de communautés d’espèces coupées de leur environnement ».

Même après que les iris furent déplacés et que des passages pour les petits animaux furent aménagés, le porte-parole de l’Autorité de Protection de la Nature et des Parcs Nationaux d’Israël se lamenta encore :

« Les animaux ne savent pas qu’il y a désormais une frontière ici. Ils sont habitués à un certain espace pour vivre, et si nous sommes concernés par cela, c’est que leur diversité génétique sera affectée, car différents groupes de population ne seront plus en mesure de se rejoindre et donc de se reproduire. En isolant ces populations de part et d’autre de la clôture, on va créer, sans aucun doute, un problème génétique ».

Alors qu’il accorde tant d’intérêt au bien-être des renards et des fleurs sauvages, l’Etat d’Israël traite les enfants palestiniens comme des créatures superflues. Des tireurs d’élite surentraînés les abattent au prétexte de quelques jets de pierres inoffensifs. Des sources médicales et des organisations de défense des droits de l’homme, parmi lesquelles Physicians for Human Rights, ont relevé, lors de la première phase de l’actuelle Intifada, qu’il y avait une systématisation des tirs dans les yeux et les genoux, avec la « claire intention » de produire des séquelles. Tanya Reinhart, professeur à l’Université de Tel-Aviv, a pu écrire : « Une pratique commune (parmi les tireurs d’élite) consiste à tirer une balle de métal enrobée de caoutchouc droit dans l’œil - un petit jeu pour soldats bien entraînés, et qui requiert un maximum de précision. »

Et quand ils ne trouvent pas le prétexte de jets de pierres, les soldats israéliens s’arrangent pour les provoquer. Un journaliste, le vétéran américain Chris Hedges, démontra comment les troupes israéliennes à Gaza avaient méthodiquement provoqué des enfants palestiniens jouant dans les dunes du sud de Gaza, afin de pouvoir leur tirer dessus. Alors que des enfants étaient en train de jouer au football, une voix provenant des jeeps de l’armée, leur hurla : « Venez les chiens (...) Et ils sont où tous les chiens de Khan Younis ? Venez, venez ! (...) fils de pute ! » Décrivant alors la suite du déroulement du plan, Hedges écrit :

« Les garçons - dix ou onze ans pas plus - se ruent par petits groupes, courant sur les pentes raides des dunes, vers la clôture électrique qui sépare le camp de la colonie juive. Ils lancent des pierres dans la direction de deux jeeps blindées stationnées au sommet de la dune et surmontées de haut-parleurs (...) Une grenade à percussion explose. Les enfants (...) en ordre dispersé, s’enfuient maladroitement dans le sable lourd. Ils parviennent à se mettre hors de vue, à l’abri d’un banc de sable, juste devant moi. Il n’y a pas de bruits de coups de feu. Les soldats tirent munis de silencieux. Les balles de M16 se succèdent et terminent leur course dans les corps graciles des enfants. Plus tard, à l’hôpital, je pourrai constater les ravages : des estomacs arrachés, des trous béants dans les membres et les troncs.

Hier, à cet endroit, les Israéliens en ont touché huit. (...) Des enfants victimes, j’en ai vus dans les autres conflits que j’ai couverts (...) mais jamais encore je n’avais observé des soldats appâtant des enfants comme des souris dans un piège, et les tuant pour le sport. »

Aussi scandaleuses qu’elles soient, les violations des droits de l’homme par Israël dans les territoires occupés ne sont toutefois pas la seule forme d’oppression pratiquée à l’encontre des Palestiniens. Deux autres dimensions cruciales des injustices commises et du viol de la loi internationale par Israël, ne sont pas moins importantes, même si elles ne revêtent pas le même caractère d’urgence, à savoir la négation par Israël des droits des réfugiés palestiniens, ainsi que son système de discrimination raciale envers ses propres citoyens Arabes-Palestiniens. Les Palestiniens ne peuvent ignorer aucune de ces formes d’oppression.

ISRAEL ET LES DROITS DES REFUGIES PALESTINIENS

Loin d’admettre sa culpabilité dans la création du plus ancien et du plus important problème de réfugiés du monde, Israël a constamment éludé toute responsabilité par rapport à la Nakba, la tragédie de l’exil et de la dépossession des Palestiniens de 1948. Plus singulière encore, dans le discours dominant israélien à propos de la « naissance » de l’Etat, est la négation totale de quelque crime que ce soit. Les Israéliens, à quelques brillantes exceptions près, considérent l’impitoyable destruction de plus de 400 villages palestiniens par les sionistes, et leur campagne d’épuration ethnique qui conduisit à l’exil plus de 750 mille Palestiniens, comme « l’indépendance » d’Israël. Même des israéliens de gauche radicaux, souvent se désolent de la perte de la « supériorité morale » d’Israël suite à l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza en 1967, comme si auparavant Israël avait été un Etat de droit normal et civil.

Mais la vérité qui avait été littéralement enterrée sous les décombres, fut finalement exhumée, et ceci dans une part non négligeable grâce aux nouveaux historiens israéliens. Aujourd’hui, le problème des réfugiés demeure incontestablement la question la plus conséquente et la plus chargée moralement du conflit dans son ensemble.

En instrumentalisant l’Holocauste, Israël a fondé son rejet des droits des réfugiés palestiniens sur la théorie qui veut que les Juifs ne soient pas en sécurité parmi les Gentils, et doivent par conséquent vivre dans un Etat dont la prédominance juive doit être maintenue coûte que coûte ; et ce sans considération pour la loi internationale, ni pour les droits humains et politiques des habitants déplacés de cette terre sur laquelle cet Etat fut érigé. Aucun autre pays dans le monde contemporain ne revendique un droit similaire à la suprématie ethno-religieuse. Que les victimes des « super-victimes » soient dépeintes comme des humains relatifs, d’une valeur inférieure, est un point de vue largement toléré.

Alors qu’ils ont nié les droits fondamentaux des réfugiés palestiniens, les Juifs en Israël et en Occident, ont enregistré de nombreux succès suite à leurs campagnes pour la reconnaissance de l’Holocauste et pour les compensations, incluant le droit au retour en Allemagne, en Pologne et dans d’autres pays desquels les réfugiés juifs furent expulsés. Mais la quintessence de l’inconsistance morale se révèle dans la pression de la World Sephardic Federation sur l’Espagne, pour que celle-ci reconnaisse les descendants des Juifs expulsés d’Andalousie voila plus de cinq siècles comme des citoyens espagnols et les réhabilite en conséquence.

Le fait que les réfugiés forment la majorité du peuple palestinien, joint à leur exil et leur souffrance vieille de 57 ans, cela légitime les droits fondamentaux des réfugiés palestiniens, dont celui du retour sur leurs terres. Ceci est moralement la moindre des évidences pour quiconque propose une solution juste et durable au conflit israelo-palestinien. Droits moral et légal mis à part, la négation des droits des réfugiés palestiniens garantit la perpétuation du conflit.

ISRAEL ET SES CITOYENS ARABES-PALESTINIENS

Israël n’est sans doute pas seul à pratiquer la discrimination raciale à l’encontre de sa minorité nationale. Mais c’est certainement un Etat unique quant à sa capacité, remarquable, et soutenue - pour l’instant - de tirer son épingle du jeu, en projetant à l’extérieur l’image fausse et édifiante de la démocratie. Au cœur de la forme singulière de l’apartheid israélien, on trouve l’idée, très enracinée, que les Palestiniens citoyens de l’Etat, ne sont pas seulement les souvenirs indésirables du « péché originel », mais aussi une menace démographique. La discrimination raciale à leur encontre, dans chaque aspect important de la vie, a toujours été la norme. En fait, préconiser une pleine et entière égalité entre Arabes et Juifs, en Israël, relève de la sédition, sinon de la trahison. Une Haute Cour de justice israélienne, ainsi, prononça l’avis suivant : « il est nécessaire d’interdire à tout Juif ou Arabe appelant à l’égalité des droits pour les Arabes, de pouvoir siéger à la Knesset ou de pouvoir y être élu. » Depuis cette date, une majorité significative de Juifs israéliens s’est régulièrement refusée à l’égalité complète avec les citoyens palestiniens d’Israël.

Même dans la recherche sur le cancer, l’apartheid israélien s’impose avec force. En juin 2001, le Ministère de la Santé publia une carte de la répartition géographiques des maladies malignes en Israël durant la période 1984-1999. Le rapport détaillé présenta des données sur ces maladies dans des communautés de plus de 10000 habitants. Et il n’inclut aucune communauté arabe d’Israël, hormis celle de Rahat. Quand on leur demanda pourquoi, les fonctionnaires du Ministère recoururent à l’excuse passe-partout des « problèmes budgétaires ». Mais pourquoi ce type de recherche est-il particulièrement important ? Eh bien, parce que en Israël, ce n’est que lorsqu’un lien est démontré entre la présence de sites polluants et le développement des tumeurs malignes, qu’il devient possible d’interdire l’installation de nouveaux sites à risques ou de réclamer des normes environnementales plus strictes. En omettant intentionnellement les villes arabes dans sa cartographie du développement des cancers, le Ministère de la Santé a indirectement donné le feu vert aux pollueurs pour qu’ils se relocalisent dans les villes arabes. Les résultats d’un tel apartheid sanitaire sont inquiétants. Lors des trois dernières décennies, le taux des maladies malignes pour la population palestinienne en Israël a grimpé de 97,8 % parmi les hommes, et de 123 % parmi les femmes quand, dans le même temps il augmentait de 39,8 % chez les hommes et de 24,4 % chez les femmes, dans la population juive. Un porte-parole du Center Against Racism commenta : « Le rapport a révélé deux groupes différents. L’un, surprivilégié, dont les vies sont chères à l’Etat et au Ministère de la Santé ; et un autre, dont les vies ne sont d’aucune importance pour l’Etat. »

Cette discrimination doit être vue dans le contexte plus large de la perception des Palestiniens par Israël. Les politiciens, les intellectuels et les universitaires, dans les mass medias, débattent souvent passionnément sur la meilleure manière de gagner la « guerre » patriotique de la démographie contre les Palestiniens. Des murs racistes ont été érigés dans plusieurs localités d’Israël où Juifs et Palestiniens vivent dans une proximité rapprochée. A Lydda, Ramleh et Caesaria, des barrières de formes variables ont été construites afin de séparer démographiquement les deux communautés. Se faisant l’écho d’un lieu commun en Israël, un universitaire de haut rang, le Major Général (de réserve) Schlomo Gazit, du Jaffee Center for Strategic Studies, déclara avec emphase : « La démocratie doit être subordonnée à la démographie ».

Beaucoup d’Israéliens, d’un bout à l’autre de l’échiquier politique, supportent aujourd’hui des formes variées de nettoyage ethnique des citoyens palestiniens d’Israël. Ce qui était un tabou, un slogan d’extrême-droite scandé par des figures marginales telle que le Rabbin Meir Kahane, fait désormais partie intégrante du discours politiquement correct israélien au sujet de la démographie.

Le Dr Amnon Raz-Krakotzkin, de l’Université Ben-Gourion, est l’un de ces israéliens consciencieux que révolte ce discours du contrôle démographique : « Cela est effrayant quand les Juifs parlent de démographie. »

Ronnie Kasrils et Victoria Brittain soulignèrent cet aspect rarement mentionné de l’apartheid israélien, dans un article du Guardian où ils écrivirent ceci :

« Le désir des Juifs israéliens d’une majorité ethno-religieuse, a filtré des territoires occupés pour imprégner l’ordre du jour « national » israélien, lequel considère de plus en plus les citoyens palestiniens d’Israël comme une « menace démographique » (...). Depuis des décennies, la minorité palestinienne en Israël s’est vue refuser la plus élémentaire égalité dans la santé, l’éducation, le logement et la propriété foncière, pour l’unique raison qu’elle n’est pas juive. Que cette minorité possède le droit de vote compense malaisément l’injustice rampante qu’elle subit dans tous les domaines des droits humains. Ils sont exclus de fait par la définition de « l’Etat Juif », et n’ont pratiquement aucune influence sur les lois, sur les politiques socio-économiques, sur la politique dans son ensemble. De là la ressemblance avec les Noirs sud-africains. »

QUOI FAIRE MAINTENANT ?

La défaillance honteuse de la communauté internationale, lors de ces dernières décennies, lorsqu’il s’est agi de la mise en conformité d’Israël avec la législation internationale, a poussé des gens de conscience du monde entier à s’engager au-delà d’une simple condamnation des violations des droits humains et des crimes israéliens, pour condamner explicitement Israël et préconiser des pressions réelles à son encontre, ainsi qu’il fut fait à l’encontre du régime d’apartheid en Afrique du Sud. Dans un article titré « Contre l’apartheid israélien », Desmond Tutu déclara :

« Les habitants des townships sud-africains d’hier peuvent vous parler de la vie dans les territoires occupés d’aujourd’hui. (...) Les humiliations, la dépendance et la colère y sont en tous points similaires. (...) Beaucoup de Sud-Africains commencent à reconnaître les parallèles avec ce dont nous sortons. (...) Si l’apartheid prit fin, alors l’occupation aussi peut cesser, mais la détermination morale et la pression internationale devront être à la hauteur de l’enjeu. L’effort actuel de désinvestissement est le premier, bien que certainement point le seul, pas nécessaire dans cette direction. »

C’est précisément là la conclusion établie par la société civile palestinienne. Le 9 juillet dernier, célébrant le premier anniversaire du jugement de la Cour Internationale de Justice condamnant le Mur, plus de 170 organisations palestiniennes (partis politiques, syndicats, associations professionnelles et autres organisations de la société civile) se sont retrouvées dans un Appel au Boycott, au Désinvestissement et aux Sanctions (ou B.D.S.), dirigé contre Israël, jusqu’à sa conformité totale avec la loi internationale et les principes universels des droits de l’homme. La Campagne BDS est ancrée dans la résistance non-violente palestinienne face à l’oppression israélienne dans toutes ses dimensions. Constituant un important précédent, ce document historique a été signé par les représentants des trois secteurs constitutifs du peuple de Palestine : les réfugiés, les citoyens palestiniens d’Israël, et les Palestiniens des territoires occupés. C’est aussi la première fois qu’une telle forme de résistance non-violente a été sanctionnée aussi largement par tous les secteurs de la société palestinienne. Un élément crucial de cet Appel réside en une sollicitation directe des Israéliens de bonne volonté, afin qu’ils le supportent.

C’est en Afrique du Sud que le soutien pour le boycott d’Israël fut le plus puissant. En octobre 2004, un appel pour un boycott total d’Israël, produit par des groupes de solidarité d’Afrique du Sud, fut endossé par des organisations sud-africaines d’importance, parmi lesquelles le Congress Of South African Trade Unions (COSATU), le Landless People’s Movement, la South African NGO Coalition, Anti-War Coalition et Physicians for Human Rights.

QUE VEUT EXACTEMENT LA SOCIETE CIVILE PALESTINIENNE ?

Partant du système d’apartheid israélien à trois étages décrit ci-dessus, l’appel BDS palestinien statue que :

« Nous, représentants de la société civile palestinienne, appelons les organisations de la société civile internationale et les gens de bonne volonté de par le monde, à imposer des boycotts massifs et à impulser des initiatives de désinvestissement à l’encontre d’Israël, similaires à ceux appliqués à l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid. Nous faisons appel à vous pour que vous fassiez pression sur vos gouvernements respectifs, afin qu’ils imposent des embargos et des sanctions à l’encontre d’Israël. Nous invitons également les Israéliens consciencieux à soutenir cet Appel, pour l’amour de la justice et de la paix véritable. »

L’Appel BDS a été conçu après l’Appel antérieur lancé par la Palestine Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israël (PACBI), qui devint le centre de toutes les attentions lors du débat qui conduisit au boycott, initié par l’Association of University Teachers, envers certaines universités israéliennes, en avril 2005. Cette décision historique capota au mois de mai de la même année. Mais pendant 34 jours, les Palestiniens, de partout virent briller quelque lumière au bout de ce long tunnel de 57 années de noire oppression. Nous réalisâmes qu’Israël pouvait être détrôné de ce piédestal sur lequel il est placé en Occident, pour emprunter à la métaphore de Desmond Tutu. Pendant 34 jours, nous sentîmes que le monde écoutait, qu’enfin nous avions là une vraie brèche dans le mur du silence honteux et de la complicité de la communauté internationale. Pendant 34 jours, nous fûmes les témoins d’un moment-clé du changement dans le modus operandi du mouvement de solidarité, qui passait d’une mobilisation générale des prises de conscience, produisant appels et condamnations, et cela demeure très important, à l’application effective, en sus, de pressions en vue de parvenir à la justice et à la paix.

Il y a beaucoup d’arguments contre les postulats de l’Appel Palestinien. Je vais essayer de résumer les plus rationnels et les plus fréquemment rencontrés parmi eux, puis je vais donner des contre-arguments, la clé de ceux-ci résidant dans le principe de la conséquence morale.

Les principaux arguments contre le BDS

Quelques soutiens distingués de la cause palestinienne se sont prononcés contre l’application de sanctions et de boycotts de type sud-africain envers Israël pour des raisons variées, les plus pertinentes étant celles-ci :

(A) Israël est fondamentalement un pays démocratique, avec une société civile dynamique, et dès lors, peut être convaincue de cesser l’oppression en l’absence de sanctions.

(B) Contrairement à l’Afrique du Sud de l’apartheid, la majorité en Israël est opposée aux sanctions

(C) Les organisations de la société civile israélienne sont en majeure partie progressistes, et à l’avant-garde du mouvement pour la paix ; il faut par conséquent les soutenir, et non les boycotter.

Contre-arguments

(A) Comment la suprématie ethno-religieuse d’un pouvoir colonial peut-elle être qualifiée de démocratie ? Le Professeur Tony Judt, de l’Université de New-York, pour donner cet exemple, qualifie Israël « d’anachronisme dysfonctionnel », le rangeant dans la catégorie des « Etats agressivement intolérants et fanatiquement ethno-religieux. »

Le célèbre écrivain juif-américain, I.F. Stone, caractérisa ainsi le dilemme du sionisme : « Israël a créé une sorte de schizophrénie morale dans le monde juif. A l’extérieur, la sécurité des Juifs dépend du maintien de sociétés laïques, non raciales et pluralistes. En Israël, le Juif se trouve dans une position de défense d’une société dans laquelle les mariages mixtes ne peuvent être légalisés, dans laquelle les non-Juifs ont un statut inférieur aux Juifs, et dans laquelle l’idéal est raciste et exclusif. »

(B) De tous les arguments anti-boycott, celui-ci reflète particulièrement, soit une étonnante naïveté, soit une malhonnêteté intellectuelle délibérée. Doit-on juger s’il faut appliquer des sanctions à un pouvoir colonial en fonction de l’opinion majoritaire de la communauté des oppresseurs ? Et la communauté des opprimés, n’a-t-elle pas son mot à dire ?

(C) Ceci est simplement un mythe propagé et entretenu par quelques universitaires et intellectuels israéliens se rangeant d’eux-mêmes à « gauche ». Dans leur grande majorité, les Israéliens sont réservistes dans les forces armées et, par conséquent, sont aux premières loges pour prendre connaissance, quand ils n’y participent pas, des crimes quotidiens de l’occupation et de la colonisation. Plus encore, à l’exception d’une minuscule mais toutefois cruciale minorité, la société civile israélienne s’oppose largement à l’accès des Palestiniens à la pleine égalité, et soutient l’oppression d’Etat, ou y consent en silence.

Deuxième volet d’arguments contre le BDS

A partir d’une perspective légèrement différente, certains observateurs ont argué du fait que boycotter Israël serait contre-productif et pourrait mener à :

(1) Perdre la capacité d’influer sur le possible chemin vers la paix d’Israël

(2) Radicaliser la droite israélienne et tirer le tapis de sous les pieds de la gauche

(3) Accroître indirectement la souffrance des Palestiniens, qui risqueraient d’y perdre financièrement, et pourraient subir une détérioration des conditions d’oppression, venant d’un Etat d’Israël dès lors davantage isolé et violent.

Deuxième volet de contre-arguments

(1) Quelle influence ? L’Europe peine à en avoir une quelconque. Quant aux Etats-Unis, l’israélisation de leur politique extérieure, en particulier contre le Moyen-Orient, a établi une nouvelle donne, en liant efficacement les mains à toute éventuelle pression américaine qui aurait pour objet de limiter, ne parlons pas de changer, les politiques agressives d’Israël.

(2) Quelle gauche ? La gauche sioniste en Israël, rendrait, par comparaison, les partis d’extrême-droite européens aussi honorables que Mère Térésa, en particulier lorsqu’il est question de reconnaître les droits des réfugiés palestiniens. Par ailleurs, ceux qui sont moralement conséquents, la gauche non sioniste, constituent un groupuscule, dont les membres pourraient malencontreusement perdre quelques bénéfices, avantages et autres fonds, à cause du boycott. Cela doit nous amener à affiner nos tactiques de boycott, de manière à limiter la possibilité que se produisent de tels aléas. Mais, nous le savons tous, il ne s’agit pas de science exacte (si toutefois on peut parler ici de science). Il nous faut mettre l’accent sur l’impact positif qu’aurait le boycott sur le combat prioritaire pour les droits humains, l’égalité et la vraie démocratie, y compris en Israël.

(3) Encore plus d’étouffement ? Même l’Archevêque Desmond Tutu a été horrifié par le siège méticuleux et multiforme qu’Israël a imposé aux territoires palestiniens occupés, tout en appelant à des sanctions de type sud-africain contre Israël.

L’argument de l’Holocauste et de l’antisémitisme

Comme l’a écrit le philosophe français Etienne Balibar, « il ne devrait pas être permis à Israël d’instrumentaliser le génocide des Juifs européens, afin de se placer au-dessus de la loi des Nations. » Au-delà, en détournant pudiquement les yeux à la vue de l’oppression israélienne, ce que font souvent les Etats-Unis et bien des officiels européens, l’Occident a de fait perpétué la misère, la souffrance humaine et l’injustice qui a découlé de l’Holocauste

Aussi, l’accusation d’antisémitisme est-elle manifestement déplacée et clairement utilisée à des fins d’intimidation intellectuelle. Il est pénible de devoir répéter que les appels palestiniens au boycott, désinvestissement et sanctions, ne visent pas les Juifs, ni même les Israéliens en tant que Juifs. Ils sont strictement dirigés contre Israël en tant que pouvoir colonial violant les droits des Palestiniens et la loi internationale. Le soutien grandissant parmi les Européens et les Juifs-Américains progressistes, pour une pression effective sur Israël, est un contre-argument insuffisamment diffusé.

BDS n’interdit aucune collaboration palestino-israélienne, dans la mesure où celle-ci reconnaît la réalité de l’oppression, les besoins fondamentaux en termes d’égalité, et soit dirigée contre l’injustice. BDS établit simplement de stricts critères pour faire en sorte que de telles coopérations soient moralement consistantes et politiquement efficaces. Il ne suffit pas de se prononcer pour la paix, pour ce mot qui est devenu le mot le plus galvaudé du dictionnaire, en particulier quand deux criminels de guerre notoires et certifiés se présentent actuellement comme « des hommes de paix ». La paix sans la justice revient à l’institutionnalisation de l’injustice.

Les projets de paix qui omettent délibérément toute mention de l’oppression d’Israël sur les Palestiniens ne sont rien d’autre que de funestes et perverses tentatives. Ceux qui s’imaginent qu’ils peuvent éluder le conflit en suggérant je ne sais quels forums pour le rapprochement, la détente ou le « dialogue » - et qui pensent que cela peut mener à d’authentiques processus de paix, voire à la paix - souffrent d’illusions maladives ou sont dangereusement trompeurs. Tenter de changer la perception des opprimés plutôt que de contribuer à la fin de l’oppression elle-même témoigne d’un aveuglement moral et d’une vision politique étriquée. Prolonger l’oppression n’est pas seulement contraire à l’éthique, c’est tout autant pragmatiquement contre-productif, en tant que cela prolonge le conflit.

Boycott, désinvestissement et sanctions, ce programme ne peut de toute façon convenir à tout le monde. Si le premier pas qui obligerait Israël à se conformer à la loi internationale est accepté, alors d’autres formes de pressions pourront être appliquées, en fonction des contextes. Sans un soutien inébranlable et opérationnel à cette forme minimale, civile et non-violente de résistance à l’oppression, ou à toute forme comparable de lutte, les organisations de la société civile internationale, se déchargeraient de leur responsabilité morale : se lever pour le droit, la justice, la paix vraie, l’égalité et la possibilité qu’un jour prévalent les principes éthiques universels.

(traduit de l’anglais par nos soins)