Vers un monde parfait

de Jean-Yves DENIS

Vers un monde parfait.

Aujourd’hui, nicolas Sarkozy a visité une usine pour montrer qu’il était près du peuple.

Dans le court reportage télé, il s’approche d’un ouvrier et lui demande à quel âge il a commencé à travailler.

Celui-ci lui répond avec sobriété et humilité : "14 ans".

Alors Sarkozy fait un hochement de tête, qui veut dire "c’est bien mon gars, t’es un bon gars".

Le monde parfait, c’est un monde sans cigarette, sans alcool, sans violence, avec des travailleurs qui travaillent et des décideurs qui décident.

Les travailleurs sont fatigués et malades mais courageux.
Les décideurs sont en pleine forme, radieux et pleins de bons sentiments.

Un monde parfait, c’est un monde où des étudiants souriants discutent avec leurs futurs employeurs souriants également.

Avec son doigt pointé, nicolas Sarkozy nous dit qu’on a bien tort de refuser un monde parfait.

Le monde ici est bientôt parfait : plus d’odeur de cigarettes, ou alors dans des locaux fermés.
Plus de prostitution, ou alors dans des bordels géants en marge d’une coupe du monde ultra-sécurisée, avec comme ultime progrès des buts équipés de néons qui s’allument en bleu dès qu’un but est marqué.

Des gens parfaits entrent dans les tours parfaites qui abritent des entreprises parfaites du secteur informatique, ces gens vont parfaitement accomplir leurs rôles parfaits consistant à élaborer les futurs logiciels parfaits du futur.

Dans la station de Métro "Montparnasse-Bienvenue", une clocharde défigurée est adossée contre la faience, avec un carton qui explique qu’elle a eu un accident et que son visage brulé ne lui permet plus de vivre autrement que par la mendicité.

Je n’ai pas réussi à la regarder, elle ressemblait à un de ces dessins de tardi.

J’ai vraiment eu honte de moi.

Elle réclamait juste une petite pièce.

C’est horrible mais le métro arrive parfaitement à l’heure et je passe rapidement devant cette femme, sans prendre le temps d’avoir une pensée humaine autre que de la tristesse fugace.

Sous terre, des types couchent sur les bancs du métro, avec des sacs en plastiques contenant des bouteilles de vins aux trois quarts vides, et les rames passent automatiquement, et les gens s’en vont rapidement.

Au dessus, les tours de grandes sociétés de banques Crédit Agricole, Société Générale, de grande sociétés informatiques, Stéria, de grandes société pétrolières, Total, sont parfaitement calmes.

Certains étudiants sont imparfaits, ils provoquent l’incompréhension des journalistes qui parlent de blocages.

Les journalistes ne comprennent pas pourquoi on peut ne pas du tout avoir envie de sortir des stations de métro pour rentrer dans ces tours parfaites, ils devinent peut-être que ces étudiants n’ont envie ni d’être au fond du métro ni dans ces tours.

Mais eux sont peut-être dans de bons bureaux confortables dans une de ces tours depuis assez longtemps pour trouver cela normal.

Avec son doigt pointé, nicolas Sarkozy nous préviens.
Le monde est horrible, pollué, dangereux, injuste.

Alors travaillez, soyez courageux, n’essayez pas d’aller contre le courant.

Entrez dans la rame du métro.

Puis sortez et entrez dans la tour.

A 14 ans ou plus tard, son doigt pointé nous dit : soyez réalistes, pensez comme moi, et ne rêvez pas.
Ainsi des gens parfaits obeissent à son regard bienveillant.

Si la clocharde au visage brulé le rencontrait, je me demande bien ce qu’ils se raconteraient.

Il trouverait surement les mots, il est tellement parfait.