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Lâché par la France, Battisti jugé digne d’être français

Publie le lundi 24 avril 2006 par Open-Publishing
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Le gouvernement avait interdit la naturalisation à l’écrivain condamné à perpétuité en Italie et en fuite. Le tribunal administratif lui donne tort.

Par Dominique SIMONNOT

C’est presque impossible à croire. L’écrivain Cesare Battisti, l’Italien en fuite depuis le 17 août 2004, dont le livre Ma Cavale sort en librairie la semaine prochaine (Libération d’hier), pourrait bien devenir Français. C’est un nouveau rebondissement dans cette histoire rocambolesque. Pour comprendre, il faut revenir à juillet 2001.

A l’époque, Cesare Battisti vit en France depuis dix ans, y est marié avec une Française et a deux enfants. Il est connu pour ses polars, mais aussi pour ses condamnations à la perpétuité pour quatre meurtres, dont il se dit innocent, commis lors des années de plomb en Italie par les « prolétaires armés pour le communisme » (PAC), groupe auquel il appartenait. Déjà réclamé par l’Italie à l’époque, il avait, en France, fait l’objet d’une procédure d’extradition. Refusée.

Toujours est-il que, sa carte de séjour en poche ­ la dernière lui fut délivrée le 11 avril 1997 sous le gouvernement d’Alain Juppé et la présidence de Jacques Chirac ­, Battisti demande sa naturalisation le 20 juillet 2001. L’enquête est longue et dure deux ans. A trois reprises, l’écrivain rencontre un représentant de la préfecture de police qui examine son dossier. Le 4 juillet 2003, il reçoit une lettre du ministère des Affaires sociales : une suite favorable est donnée à sa demande.

Promesses. Or, six mois plus tard, le 10 février 2004, Battisti est arrêté chez lui, à Paris, dans l’immeuble où il est concierge. La France a changé d’avis. Dominique Perben, alors garde des Sceaux, l’a bien expliqué l’été 2003. Après des rencontres avec son homologue italien du gouvernement Berlusconi, il fera extrader « quelques » anciens activistes qui vivent en France. Depuis plus de vingt ans pour certains, qui se croient à l’abri, après que Mitterrand leur a promis, en 1985, l’asile en échange d’un abandon définitif de toute lutte armée. Une parole respectée de part et d’autre, en tout cas par neuf gouvernements successifs. De gauche comme de droite. Interrogé sur ce « revirement », Perben avait précisé qu’il visait « les cas les plus graves ». Battisti est de ceux-là. Et tandis que l’auteur de romans policiers est transféré depuis le Palais de justice de Paris à la prison de la Santé, une lettre du ministère des Affaires étrangères arrive chez lui le lendemain pour lui annoncer que son dossier « sera transmis le 18 février 2004 à la sous-direction des naturalisations du ministère des Affaires sociales », pour parution de son décret de naturalisation dans les jours à venir. La situation était cocasse. Trop, sans doute, puisque le 8 juillet 2004, le décret de naturalisation est « retiré » par le gouvernement, peu soucieux de donner la nationalité française à un homme qu’il était en passe d’extrader vers l’Italie.

Tout faux, vient de décider le tribunal administratif de Nantes qui avait été saisi par Me Irène Terrel et Me Jean-Jacques de Felice. L’audience s’est tenue à Nantes (où siège le service des naturalisations) le 17 mars. Le 14 avril, les juges ont estimé ce très politique retrait de nationalité mal fondé et « non motivé ». « Le tribunal administratif a bien vu que le ministère des Affaires sociales [dont dépendent les naturalisations, ndlr] avait donné un avis favorable à la nationalité, après une enquête minutieuse, et malgré les condamnations frappant Battisti qui étaient bien connues de tous », explique Me Irène Terrel. Pour les juges, ni l’arrestation ni la fuite ne changent quoi que ce soit à l’affaire. « Si Cesare Battisti a obtenu la nationalité, c’est justement grâce à sa vie enracinée en France avec sa femme, ses filles et son travail », reprend Me Irène Terrel.

Complexité. Désormais, tout repart de zéro. Ou plutôt du 11 février 2004, quand Battisti a été cérémonieusement averti : « nous avons le plaisir de vous faire savoir... » ­ qu’il allait être français. Cela ne change pas grand-chose à son sort judiciaire : le mandat d’arrêt international court toujours. Mais cela ajoute une touche de plus à un dossier qui, décidément, fait tourner tout le monde en bourrique. Y compris la justice.

Ainsi, la chambre de l’instruction de Paris, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat avaient jugé la procédure de contumace à l’italienne conforme à toutes les règles de droit. Même si Battisti, condamné en son absence, n’avait pas droit à un nouveau procès en cas d’extradition. Pourtant, en novembre 2004, la Cour européenne des droits de l’homme donnait tort aux plus hautes instances judiciaires françaises. Estimant au contraire qu’il est inadmissible que les condamnés par contumace ne puissent être rejugés.

A Nantes, c’est au gouvernement français que le tribunal administratif a donné tort. « On ne peut faire avaler n’importe quelle couleuvre aux magistrats, commente encore Irène Terrel. En fait, le tribunal administratif de Nantes stigmatise clairement le comportement de girouette du gouvernement français : on ne peut dire "vous êtes Français", et puis "non, on a changé d’avis". C’est une attitude d’une immoralité honteuse ! » Désormais, en cas d’appel du gouvernement, la procédure risque d’être longue. Dans le cas contraire, le décret déclarant Battisti citoyen français sera bientôt publié au Journal officiel.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=376436

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