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Démarrage du pied droit

Publie le mardi 16 mai 2006 par Open-Publishing

de Gideon Lévy Traduction de l’hébreu : Michel Ghys

Le Ministre de la Défense Amir Peretz (assis) avec, derrière lui,
le chef d’état-major Dan Halutz et le Ministre de la Défense sortant,
Shaul Mofaz, lors de la cérémonie de passation de pouvoir au Ministère de la Défense, ce dimanche.

Amir Peretz a démarré du pied droit dans sa nouvelle fonction : il a,
vendredi soir, autorisé le bombardement aérien au cours duquel cinq
Palestiniens, hauts responsables des « Comités de Résistance Populaire
 », ont été tués à Gaza. Ce sont toujours de hauts responsables. De l’un
des tués, on nous a dit qu’il était le frère de Moumtaz Dourmich, un des
chefs des Comités, responsable de l’attentat avorté au barrage de Karni.
Les autres ont, comme d’habitude, été étiquetés de membres des Comités.
Ces cinq-là méritaient-ils la mort ? Difficile à savoir. Il est permis
de penser que le Ministre de la Défense ne le sait pas non plus. On a
fait savoir aux médias que le Ministre avait demandé, avant l’opération,
si celle-ci ne toucherait pas à des « innocents » et que, comme il lui
avait était répondu qu’ « /apparemment non/ », il avait fait son devoir
et autorisé l’attentat. Ce bombardement était-il indispensable ?
Evidemment non. Il ne pourra qu’amener une nouvelle réplique
palestinienne, dans un cycle sanglant. Ainsi, dès sa première décision
sur le plan de la sécurité, Peretz se profile comme le continuateur de
Shaul Mofaz. Voilà qui est de bien mauvais augure.

La grande promesse de ce nouveau gouvernement, c’est la nomination de
Peretz comme Ministre de la Défense ; elle pourrait aussi en devenir la
grosse déception, retentissante. Peretz a la charge de faire la preuve
de cette approche enthousiasmante qui veut qu’un civil se faisant
l’avocat de la paix et qui n’a pas grandi dans des baraquements
militaires, est en mesure de diriger la Défense avec succès. Il serait
dès lors difficile d’exagérer l’importance de la mission qui repose sur
les épaules du capitaine de réserve et leader ouvrier de Sderot.

Le problème est que si les attentes sont grandes, grands sont aussi les
dangers qui le guettent d’entrée de jeu. Contrairement à d’autres
nouveaux ministres - comme la Ministre de l’Enseignement Youli Tamir,
autre nomination prometteuse - sa première véritable épreuve sera
immédiate : examen surprise dès le lendemain du prochain attentat. Une
centaine d’heures de grâce et on pourra se rendre compte si cette
nomination sortant de la routine porte en elle l’espoir d’autre chose.
Les rumeurs de son échec commenceront au matin du lendemain du prochain
attentat : « /et voilà, ce ministre inexpérimenté n’est pas parvenu à
empêcher l’attentat/ ». Le fait que le terrorisme a dressé la tête
précisément sous des généraux plus « /expérimentés/ » que lui, ne sera
pas rappelé. Nous savons déjà où nous mènent les « /expérimentés/ » :
les tenants du sécuritaire feront du zèle pour l’inciter à « /faire
quelque chose/ », ce qui signifie toujours l’exercice de la force sans
la moindre mesure, avec pour principe de tirer vengeance et de faire
payer. Ce n’est pas seulement que cela ne fera pas « /venir à bout/ » du
terrorisme, mais cela produira une nouvelle vague d’effusion de sang.

Le nouveau Ministre de la Défense sera testé sur sa capacité à résister
et à ne pas s’empresser de « /faire ses preuves/ » par des choix
violents n’ouvrant sur aucun espoir, comme il l’a fait à la fin de la
semaine. Peretz, tenté de démontrer qu’il « /n’est pas ce que vous
croyiez/ », pourrait être un ministre très dangereux. Il pourrait
décider d’une réponse israélienne particulièrement radicale afin de
montrer qu’il « /n’est pas comme ça/ ». Si par contre, il fait montre de
retenue, d’intelligence et surtout de fermeté dès ses premières
décisions, on comprendra, au sein de la Défense, qu’on change de
direction et qu’on ne reprend plus les vielles et mauvaises règles du jeu.

Peretz peut faire passer ce message dès demain matin : s’il demande à
ses conseillers les chiffres des bombardements de l’armée israélienne
sur Gaza. Depuis le désengagement, Israël a, de source militaire, lancé
quelque 8000 obus qui ont semé la mort, la terreur et la destruction, en
réponse au tir de 545 roquettes Qassam et obus de mortier dont seuls 174
ont été reconnus comme « /tirs indubitables/ », et qui n’ont tué
personne. Cette terrifiante démesure doit cesser immédiatement et Peretz
doit en donner l’ordre.

Les premiers jours décideront de la suite. Ehoud Barak n’a pas empêché
la première destruction de maison palestinienne quelques jours après
avoir promis « /une aube nouvelle / » et « /un gouvernement de paix/ ».
L’hirondelle de la destruction de la maison de la famille El-Halassa
près de Ma’ale Adoumim annonçait alors un automne de destruction de
centaines de maisons et de construction de milliers d’unités
d’habitation dans les colonies. Peretz aurait dû démarrer autrement.
Tant à l’adresse de l’armée israélienne qu’à l’adresse des Palestiniens,
Peretz doit immédiatement faire passer un signe d’humanité et de
moralité. C’est aujourd’hui une mission très difficile. L’assassinat à
Gaza éveille déjà de lourdes craintes que telle ne sera pas sa voie.

A l’entrée du nouveau ministre, se trouvent embusqués les généraux, les
amiraux et aussi les racistes, masqués ou déclarés. Il se murmure déjà
que c’était « /manquer de responsabilité nationale/ » que de le nommer à
ce poste, étant donnés ses antécédents et son origine. Peretz aura
besoin d’une solide dose d’assurance et tout particulièrement de courage
pour tenir face à eux. Il devra se rappeler que les généraux ne seront
pas les seuls à examiner ses actes et qu’il y aura aussi ses électeurs.
Il lui est interdit de prendre pour Loi Révélée toute « /évaluation de
la situation/ » et tout « /rapport des services de renseignement/ ». Il
découvrira que tous ses conseillers sont prisonniers d’une conception
erronée et nuisible et qu’ils ne connaissent qu’un seul langage, celui
de la force. Sa tâche sera de s’obstiner : pourquoi avez-vous détruit,
pourquoi avez-vous arrêté untel, pourquoi avez-vous bombardé et pourquoi
avez-vous installé un barrage, pourquoi avez-vous tué et pourquoi
avez-vous blessé ? Toutes questions qui ne sont plus soulevées depuis
bien longtemps.

Le chœur des généraux, y compris ceux de son parti, essaiera de réprimer
toute tentative de changer de cap. Le chemin est long et difficile, ses
chances sont minces mais elles existent. Très vite nous saurons si nous
avons un Ministre de la Défense courageux. Ce grand espoir sera-t-il
déçu ? Les regards sont maintenant tournés vers Peretz : que surtout il
n’en vienne pas à nous convaincre qu’un autre général à l’esprit étroit
et brutal, de ceux qui n’ont pas besoin « /de faire ses preuves/ », eût
été préférable pour nous à un civil de Sderot, épris de paix et de
justice sociale.

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