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Parabole : La paix, maintenant !

Publie le dimanche 6 août 2006 par Open-Publishing

de Nico Hirtt Enseignant et écrivain

Un soir, un homme a frappé à la porte de ta maison. Cette maison où tu étais né, où tu vivais depuis toujours, avec les anciens, les frères, les soeurs et les petits ; cette maison, avec son logis, son étable, son atelier, qu’entourent les champs, les pâturages et les vergers hérités de tes ancêtres. C’était ta vie, c’étaient tes racines, c’était l’avenir de tes enfants.

Ce soir-là, un homme s’est présenté, qui fuyait la ville. Il était en guenilles, on l’avait battu. Comme te le recommandaient les traditions, tu l’as fait entrer, tu lui as permis de s’installer dans ta cuisine et tu l’as nourri.

Le lendemain matin, tu as été étonné de le trouver, déjà ragaillardi, installé dans ton salon, sur ton divan, sans qu’il t’en ait demandé l’autorisation. Cette marque d’impolitesse t’a fait de la peine, mais tu n’as rien dit.

Le jour suivant, quand il a fait venir sa femme, son frère, la femme de son frère et tous leurs enfants, tu lui as dit : “je ne peux pas accueillir tout ce monde-là !” Alors, il a rétorqué, sur un ton devenu arrogant : “mais si, ta maison est grande ; donnes-nous ce salon et la cuisine attenante, trois des chambres de l’étage, la grange et la moitié des terres. Cela nous suffira pour vivre”.

Que pouvais-tu faire d’autre que refuser ?

Mais l’autre insiste et se fait menaçant. Toi, tu te fâches, la comédie a assez duré. Tu le bouscules, tu le rudoies même un peu. Et voilà que soudain, lui, son frère, ses enfants et mêmes leurs femmes brandissent des poignards et des gourdins, voilà qu’ils vous chassent des pièces qu’ils convoitaient, voilà qu’ils occupent les plus belles parties de ta maison en disant : “ceci est chez nous !”

Bien sûr, tu as appelé “au secours !” et tes voisins sont accourus. Mais les autres, tes “invités”, ont reçu l’appui de leurs amis, des gens riches de la ville. Ensemble, ils ont mis tes voisins en déroute. Toi et les tiens, ils vous ont relégués dans une vieille cabane, sur un bout de terre aride, au fond d’un verger.

C’est là que tes fils ont grandi dans la misère. Et les fils de tes fils. Depuis soixante ans. Tous ont essayé, à leur tour, de récupérer votre maison.

Aujourd’hui encore, il leur arrive d’attaquer les intrus à coups de pierres, parfois au couteau. Mais la réaction de ces étrangers est brutale : ils arrivent en force, sans prévenir, détruisent votre bout de cabane, arrachent les quelques oliviers et les trois vignes qui vous permettent de survivre, donnent quelques coups au passage puis s’en vont, quand ils jugent la “punition” suffisante.

Hier pourtant, l’un des jeunes occupants de la maison, un garçon à l’allure affable, est venu trouver ton petit-fils. Il lui a dit : “la guerre entre nous a assez duré, je veux la paix”. Ton fils était fou de joie ! Il en avait les larmes aux yeux.

Il s’est écrié : “c’est vrai, tu consens à ce que nous retournions dans notre maison ? Nous allons retrouver nos champs et nos prés ? Tu sais, nous ne vous chasserons pas : vous pourrez continuer de vivre avec nous, partager notre salon, notre cuisine ; nous bâtirons de nouvelles chambres s’il le faut ; nous travaillerons ensemble et prospérerons ensemble...”

“Non, tu ne m’as pas bien compris” répondit le jeune homme surpris et soudain moins affable. “Il n’est pas question que vous reveniez dans la maison, encore moins bien sûr que nous la quittions.

Ce que je vous propose, c’est de vous céder définitivement la cabane au fond du jardin et de vous y laisser vivre en paix, à condition que vous reconnaissiez notre droit de vivre dans cette belle maison et que vous vous engagiez à ne plus nous faire d’ennuis. N’est-ce pas une proposition honorable que je te fais-là ? N’est-ce pas ce que nous voulons tous, la paix maintenant ?”.

Interloqué, ton petit-fils l’a regardé, longuement. Puis il s’est baissé et a ramassé une pierre...