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La fin du droit international ?

Publie le jeudi 17 août 2006 par Open-Publishing
8 commentaires

de Alain Gresh

On l’a souligné, depuis le 11-Septembre, un débat agite les responsables politiques : dans la guerre contre le terrorisme, dans l’affrontement entre "la civilisation" et "la barbarie", le droit international, le droit humanitaire, peuvent-ils s’appliquer ? Le président George W. Bush a instauré une nouvelle catégorie, celle d’"ennemis combattants ?", qui ne sont pas justifiables des procédures légales, et que l’on peut enfermer à Guantanamo, voire torturer, au nom de la défense de "la civilisation". La sixième guerre israélo-arabe, qui se déroule au Liban, et qui est (provisoirement ?) suspendue, a fourni une nouvelle occasion aux partisans de ces théories de défendre leur point de vue.

John Podhoretz, un des théoriciens néoconservateurs américains, s’interroge dans un article du New York Post du 25 juillet : "Est-ce que les démocraties libérales n’ont pas évolué à un point où elles ne peuvent plus mener de guerres efficaces à cause du niveau de leurs préoccupations humanitaires pour les autres... ?"

Et il poursuit : "Et si notre erreur tactique en Irak était que nous n’avions pas tué assez de sunnites au début de notre intervention pour les intimider et leur faire tellement peur de nous qu’ils accepteraient n’importe quoi ? Est-ce que ce n’est pas la survie des hommes sunnites entre 15 et 35 ans qui est la raison de l’insurrection et la cause fondamentale de la violence confessionnelle actuelle ?"

Tuer tous les hommes entre 15 et 35 ans, c’est ce que les milices serbes ont fait à Srebrenica...

Podhoretz de poursuivre : « Qu’en serait-il si Israël avait toutes les capacités d’atteindre ses objectifs, mais ne pouvait se déployer sans contrainte contre un ennemi plus dangereux, avec moins de scrupules et de principes, plus barbare même que les monstrueux leaders de l’Intifada... »

Et il conclut : « Est-ce que c’est un terrifiant paradoxe de l’art de la guerre au XXIe siècle ? Si Israël et les Etats-Unis ne peuvent être défaits militairement au sens conventionnel, est-ce que nos ennemis ont découvert un nouveau moyen de gagner ? Est-ce qu’ils ne cherchent pas la victoire à travers notre démoralisation seulement, en nous mettant au défi d’atteindre leur niveau de barbarie et en sachant que nous ne le ferons pas ? (...) Serait-il possible que la grandeur morale de notre civilisation - son étonnante attention à la valeur de l’individu - ne mette pas en cause aussi l’avenir de notre civilisation ? »

Ce raisonnement terrifiant, on aurait tort de le croire confiné à quelques cercles isolés. Certes, il est avant tout porté aux Etats-Unis par le courant néoconservateur. Ainsi, le professeur de droit à Harvard Alan Dershowitz, un défenseur acharné de toute action israélienne, explique-t-il que « le droit international et ceux qui l’administrent devraient comprendre que les vieilles règles » ne s’appliquent pas à cette guerre sans précédent contre un ennemi brutal et fanatique et que « les lois de la guerre et les règles de morale doivent s’adapter à ces réalités » [1].

Par ailleurs, Michael Rubin appelle tranquillement le gouvernement américain à revoir sa politique de refus d’assassinat des dirigeants politiques [2]. Voici bien longtemps qu’Israël n’existerait plus s’il ne réagissait pas avec démesure, affirme Claude Lanzmann, dans Le Monde du 4 août, reprenant l’argument développé par Bernard-Henri Lévy (voir « Droit humanitaire »).

Tous les deux semblent ignorer que même les « guerres justes » sont contraintes par des lois internationales. Ou plutôt, ils ne l’ignorent pas, mais pensent qu’elles ne peuvent s’appliquer qu’aux « civilisés ». On retrouve là l’argumentation qui prévalait à l’époque de la colonisation triomphante. En 1898, Heinrich von Treischke, un expert en sciences politiques, soutenait ce qui, pour nombre de ses contemporains, apparaissait comme une banalité : « Le droit international ne devient que des phrases si l’on veut également en appliquer les principes aux peuples barbares. Pour punir une tribu nègre, il faut brûler ses villages, on n’accomplira rien sans faire d’exemple de la sorte. Si, dans des cas semblables, l’empire allemand appliquait le droit international, ce ne serait pas de l’humanité ou de la justice, mais une faiblesse honteuse [3]. » La balle dum-dum fut inventée à la fin du XIXe siècle ; elle causait des blessures particulièrement graves. En 1897, la convention internationale de La Haye adoptée par les Etats « civilisés » la bannissait ; elle fut réservée à « la chasse au gros gibier et aux guerres coloniales ». Pour les « barbares » d’aujourd’hui, pour l’essentiel des Arabes, on peut user de bombardements massifs, indiscriminés, de bombes à fragmentation, ils ne comprennent pas un autre langage...

Ces visions d’un droit international qui ne s’appliquerait que de manière sélective ne sont pas simplement une extraordinaire régression de la pensée et de la morale. Elles discréditent tout le discours sur les droits humains dont l’Occident prétend se faire le champion et renforce ceux-là même que nous prétendons combattre... Il est donc important de ne pas laisser les crimes commis au Liban impunis, et l’appel de Jean-Claude Lefort, député (PCF), et de Jean Paul Boré, vice-président (PCF) du conseil régional Languedoc-Roussillon, à porter ces crimes devant la Cour pénale internationale, devrait recevoir un large écho [4].
Notes

[1] Cité par Norman Finkelstein, « Should Alan Dershowitz Target Himself for Assassination ? », Counterpunch, 12-13 août 2006.

[2] « Why the US government should consider assassination », National Review, 11 août 2006.

[3] Sven Lindqvist, Exterminez toutes ces brutes, Le Serpent à plumes, 1998

[4] L’Humanité, 14 août 2006.

http://blog.mondediplo.net/2006-08-16-La-fin-du-droit-international

Messages

  • A l’attention d’Alain Gresh

    Monsieur,

    En commençant la lecture de votre article : "La fin du droit international ?", j’étais parti pour applaudir des deux mains comme à chaque fois ou presque que je lis un texte de vous, notamment sur la Palestine.

    Et, patratas ! voilà que vous commettez un dérapage d’envergure surprenant à propos de Srebrenica ! Je dois dire que vous opérez là une sérieuse dégringolade dans mon estime.
    Non seulement cette affirmation ne repose sur rien d’établi, non seulement elle reprend la version partisane des belligérants/démolisseurs de la Yougoslavie, non seulemnt elle donne dans le consensus platement a-critique, mais elle ignore les versions contraires -lesquelles, si elles ne sont pas non plus définitivement établies, interdisent pour le moins de pareilles certitudes- et les témoignages essentiels, que vous connaissez forcément, qui la mettent à mal.

    Sur votre lancée, vous commettez au surplus une bévue majeure : vous parlez des milices serbes alors qu’il s’agissait de l’armée régulière yougoslave. Pour preuve, les poursuites engagées -très contestables au demeurant- par le TPIY à l’encontre du Général Mladic et de feu le Président de la Fédération Milosevic.

    C’est grave. Indirectement, l’image du Diplo va en prendre un coup... Vous vous rendez compte, le Diplo passant du côté de la désinformation !

    Désolant.

    A vous lire.

    Gaston PELLET

    • Gaston PELLET :, j’étais parti pour applaudir des deux mains

      ah bon je croyais que quand on applausissais c’était toujours des 2 mains, pléonasme ou anglissisme ?

    • Un article très inspiré pour ma part...

      N’oublions pas non plus que nous sommes tous humain, nous pouvons tous faire des erreurs et ne pas être irreprochable...

      Il est aisée de tomber dans le piège de la propagande, mais je pense qu’il voulait surtout souligner que l’intervention en ex-yougoslavie était dû à ces "massacres"(1) par l’etat serbe.

      Donc une question demeure : Qui interviendra lorsque ce sont les etats-unis qui provoqueront ces mêmes massacres ?

      (1) "massacres" car dans l’opinion publique, que la presse a influencé, cela reste toujours exact... de plus, ce sont les vainqueurs qui ecrivent l’histoire...

      Alors ne baissons pas les bras.

      Commentaire de Bidule Chose :p

    • ce qui s’appelle chercher des poils sur des oeufs , et les manchots , ils n’ont pas le droit d’applaudir , oui je sais , c’est tout aussi con !
      C de T.

    • "Applaudir des deux mains" c’est une expression ! Nous n’y pouvons pas grand chose... (voir si nécessaire le Petit Robert).
      Remarque pour remarque : moi, j’aurais écrit ’anglicisme’ et j’aurais aussi respecté l’ortaugrafe mais ce n’est pas une obligation.
      GP

    • Il y a des oeufs sur lesquels on plante effectivement des poils à gratter. Intentionnellement ou pas... c’est selon.

      Alain Gresh est un grand connaisseur de la question palestinienne et du Proche-Orient. Il l’est sans doute beaucoup moins des balkans et des dernières guerres yougoslaves (1) qui ont donné lieu à un degré d’intox encore jamais vu. Srebrenica a été et reste un des sommets.

      (1) voir sur le blog du Diplo sa réponse et ma réponse à sa réponse.

      Rien de con dans tout ça.

      GP

  • Finalement, c’est toujours la barbarie qui a cours quand la loi du plus fort entre en vigeur.

    C’est le contraire meme de la civilisation.

    L’amerique pour sauver la civilisation deviens barbare et trouve cela justifier.

    C’est comme interdire le droit a la religion, pour avoir le droit a la libre penser.

    Le monde dans ces contradiction n’en finira pas de nous degouter profondement. Au point personnellement que je me demande si j’ai encore une place ici bas.

    Quand l’espoir deviens priere, quand la capacite d’agir ensemble pacifiquement deviens impossible.
    Il ne reste plus que de devenir barbare soit meme. Voila une societe civilee qui deviens barbare pour justifier sa civilite sur les autres societes, et qui pousse en meme temps les individus a la barbarie.

    A force, je me sens comme un etre nu au millieu d’un froid glacial a qui sont intelligence dit de toutes ses forces qui va mourrir, alors il n’y a nul nécessité a cela.

    Je l’ai deja dit ici, je suis pres a vote pcf, meme si je ne suis pas pour le communisme pur (de facon democratique meme).

    Cache derriere nos ecrans, nos groupe d’amis, nos groupe politique, et nos idées. Il va bien falloir que l’on se retrouve ensemble.
    Attendre encore 1ans ? Encore et encore, je n’en peux plus de perir a l’interieur, en voyant ce monde fou et immonde.

    On dit que le peuple n’est plus capable de se revolter. C’est vrai surtout si l’on n’a rien en commun a partager.

    Que ce soit les elections presidentielle ou legislative, je n’en attend plus grand choses, j’en attend meme quasiment rien.
    Actuellement la possibilite d’avoir un candidat de gauche antiliberal (j’aurais prefere anticapitaliste) qui gagne, est faible, et de plus le soutient au election legislative est necessaire, ce qui me parais difficile.

    Alors si c’est pour avoir une politique PS au final en 2007, Je ne peut plus fondé d’espoir dans cette republique dans laquelle nous vivons.

    La construction europeen voir meme mondiale des politiques economique et social (aussi bien que cette problematique de la politique au proche orient), n’est plus une question a laisser au main des elus. Un constitution d’origine citoyenne, Un droit d’origine citoyenne, une politique d’origine citoyenne, La liberte est d’origine citoyenne, Le changement radical qui nous faut ne peut etre que d’origine citoyenne.

    Laissons tomber , les sarkozy et autre elus, meme si vous les apprécié, parler des idées, parler des idées neuves, et notre seule voix de salut commun.

    Bien a vous

    Termitor

  • Le droit international est d’emblée cadré, bien orienté et les contours du décor sont biens tracés. On est entrain d’assister à la montée en puissance de cercles isolés comme vous le dites qui finira par faire imploser le monde et ce sera le chaos le plus total au nom du droit international. La question que je me pose est : Ou es ce grand continent qu’on appelle l’Europe qui n’a jamais cessé prétendre donner les meilleurs leçons humanitaires. Face à tant d’injustices, de crimes et d’incompréhensions, face au vacarme des armes et des campagnes de désinformation imposé par les options sécuritaires, la main qui est tendue par soit disant « droit international » est souillée par le sang. Les actions aveugles et barbares dont a souffert à une échelle inégalée le peuple Palestinien et Libanais, et dans l’indifférence quasi générale de l’opinion internationale, a cruellement mis en évidence l’exigence qui, encore une fois, est au cœur même du message du droit international.

    Avec beaucoup de déception

    Wahib
    Algérie