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L’histoire indicible du massacre de Marjayoun en fait porter la responsabilité par les deux côtés de la frontière

Publie le mercredi 23 août 2006 par Open-Publishing
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de Robert Fisk

Sur la route, où des missiles ont frappé les innocents de Marjayoun, ont peut encore en voir les traces. Mais, ce qui reste, est le souvenir de ce qui s’est arrivé, après la tombée de la nuit du 11 août, dans la foulée de l’attaque aérienne du convoi de 3.000 personnes par les Israéliens :

Une jeune chrétienne de 16 ans hurlant "Je veux mon papa !" alors que le corps mutilé de son père était étendu à quelques mètres d’elle ; Le moukhtar de la ville découvrant sa femme, Colette, décapitée par l’un des missiles israéliens ; Ce volontaire de la Croix-Rouge libanaise qui est allé porter, dans les ténèbres de la guerre du Liban, de l’eau et des sandwiches aux réfugiés et qui a été fauché par un autre missile et, que ses amis n’ont pas pu atteindre pour lui sauver la vie.

Il y a ceux qui fondent en larmes lorsqu’ils racontent le massacre de Joub Jannine - et il y a les Israéliens qui ont donné la permission aux réfugiés de quitter Marjayoun, spécifiant la route qu’ils pouvaient emprunter, et qui les ont ensuite attaqués avec des drones sans pilote tirant des missiles. Hier soir, cinq jours après leur avoir demandé de rendre compte de cette tragédie, ils ne s’étaient toujours pas donnés la peine d’expliquer comment ils ont tué au moins sept réfugiés et blessé 36 autres, juste trois jours avant que le cessez-le-feu onusien n’entre en vigueur.

C’est l’une des histoires indicibles de la guerre israélo-Hezbollah ; il y en a d’autres - infiniment plus sanglante - mais l’ultime tragédie de ces réfugiés majoritairement chrétiens a impliqué un tas d’officiers et de ministres libanais, le Premier ministre du Liban, l’ambassadeur des Etats-Unis et le Ministère de la Défense d’Israël.

Tout cela a commencé le 10 août, lorsque les Israéliens ont mis en scène une petite offensive terrestre à l’intérieur du Liban, après un mois de bombardements massifs des villages du sud libanais. Le Général Daoud, commandant une force mixte de 350 libanais, police paramilitaire et soldats [de l’armée régulière], dans la caserne de la jolie ville de Marjayoun, a trouvé, à 9 heures du matin, un homme à la porte. C’était un officier israélien, disant s’appeler le Colonel Ashaya. Le Général Daoud, dont les hommes ne combattaient pas les Israéliens, a appelé au téléphone le ministre de l’intérieur libanais, Ahmed Fatfat, qui "a donné son aval" - ce sont les propres mots de Fatfat - à la décision de le laisser entrer [dans la caserne]. "Ashaya" a passé quatre heures à regarder dans tous les coins pour s’assurer qu’il n’y avait pas de membres du Hezbollah. Puis il est parti et Daoud a placé un drapeau blanc sur le poste de garde.

Mais à 4 heures, cet après-midi-là, une unité de chars israéliens s’est approchée de la caserne et a commencé à tirer dans sa direction. Fatfat a de nouveau dit à Daoud de laisser entrer les Israéliens, qui, selon Daoud, lui avaient signifié : "Nous sommes les occupants et c’est nous qui commandons". Un officier israélien a ensuite enfermé Daoud à double-tour dans une pièce.

Les milliers de Chrétiens de Marjayoun craignaient désormais pour leurs vies. Selon plusieurs travailleurs humanitaires, le Hezbollah tirait des roquettes de derrière l’hôpital de la ville, qui a été immédiatement abandonné par la Croix-Rouge. Les habitants croyaient, avec raison, que les missiles du Hezbollah recevraient une riposte d’Israël sur Marjayoun elle-même, à présent que la ville avait été prise par les soldats et les chars israéliens.

Enfermé dans sa pièce, Daoud rappela alors encore une fois Fatfat et Fatfat appela le Premier ministre libanais, Fouad Siniora, qui, par chance, était en train de parler à l’ambassadeur étasunien à Beyrouth, Jeffrey Feltman. Feltman a demandé à ses diplomates - soit par l’intermédiaire du Département d’Etat ou directement à l’ambassade étasunienne à Tel Aviv - d’appeler le Ministère de la Défense d’Israël. Ils répondirent dans la foulée qu’il ne devrait pas y avoir de soldats israéliens dans la caserne de Daoud. Mais, à Marjayoun, les Israéliens refusèrent de croire ce que Daoud leur disait.

Les habitants de Marjayoun commençaient toutefois à paniquer et Daoud rappela Fatfat à 7 heures du soir pour organiser un convoi de réfugiés, [qui ferait route] vers le nord, de Marjayoun en direction de Beyrouth. Selon Fatfat, le lendemain, soit le 11 août, le gouvernement libanais a appelé à 5 heures du matin le commandement des Nations-Unies au sud-Liban [la FINUL] pour obtenir l’autorisation des Israéliens de permettre aux milliers de réfugiés de partir en convoi vers le nord. À la suite de quoi, l’Onu, selon le gouvernement à Beyrouth, a notifié au Général Abdulrahman Chaiti, l’adjoint du chef du renseignement militaire libanais, que ce convoi avait reçu la permission des Israéliens pour se mettre en route.

Deux véhicules blindés de l’Onu, conduits par des soldats indiens, sont donc arrivés à Marjayoun où ils ont retrouvé au moins 3.000 personnes, dont des Musulmans chiites des villages dévastés des environs, qui attendaient pour partir. "Nous avions un accord total d’Alain Pellegrini [le commandant de la FINUL] pour qu’ils sortent de la Vallée de la Bekaa", déclare Fatfat. "Le parcours, lui aussi, avait été accepté". Mais il y a eu des délais. Une partie de la route avait été lourdement bombardée et nécessitait d’être réparée. Le convoi n’est pas parti avant 4 heures de l’après-midi, sortant lentement de Marjayoun, avec les 350 soldats de Daoud à sa tête. Les véhicules de l’Onu abandonnèrent le convoi à Hasbaya - limite nord des opérations de l’Onu - laissant les réfugiés dangereusement exposés. L’Onu avait déjà mis en garde les autorités libanaises qu’il était tard pour que le convoi se mette en route.

"Ils ont progressé si lentement que cela m’a mis en colère", se souvient un travailleur humanitaire. "Les gens des villages amis sortaient et donnaient de l’eau et de la nourriture aux réfugiés. Ils voulaient leur parler et les gens s’arrêtaient pour dire bonjour à de vieux amis comme s’ils faisaient du tourisme. Le convoi ne progressait qu’à 8 km/h. Il commençait à faire nuit". Les 3.000 réfugiés cheminaient maintenant la Bekaa, après la tombée de la nuit, et approchaient des anciens vignobles de Kifraya, à Joub Jannine, lorsque le désastre les a frappés à 8 heures du soir.

"La première bombe a frappé la deuxième voiture [du convoi]", a déclaré Karamallah Dagher, un journaliste de [l’agence] Reuter. "Je remontais la route, à mi-chemin, et mon ami Elie Salami se tenait là, me demandant si j’avais un peu d’essence en rab. C’est à ce moment-là que le second missile a frappé ; et, la tête et les épaules d’Elie furent arrachées. Sa fille Sally, qui a 16 ans, a sauté de la voiture et s’est mise à hurler : ’Je veux mon papa ! Je veux mon papa !’. Mais il n’était plus". Hier, alors qu’il parlait de ces tueries, Dagher a fondu en larmes. Il essayait de faire sortir sa mère arthritique de sa propre voiture, mais elle se plaignit qu’il lui faisait mal. Il l’a replaça donc sur le siège du passager et s’assit à côté d’elle, s’attendant à une mort violence qui, Dieu merci, n’est pas arrivée. Mais elle est arrivée pour Colette Makdissi al-Rashed, la femme du moukhtar, qui a été décapitée dans sa jeep Cherokee ; elle est aussi arrivée pour un soldat libanais et pour Mikhael Jbaili, le volontaire de 35 ans de la Croix-Rouge, de Zahle, qui a sauté en l’air lorsqu’une roquette a explosé derrière lui.

"Ce fut la panique", a raconté Fouad Hamra, le maire de Marjayoun. "De nombreuses personnes se sont enfuies en voiture. Ils avaient une autorisation ; tout aurait dû bien se passer. Si le Hezbollah était supposé transporter des armes la nuit, ils auraient voyagé en direction opposée !"

Qui pilotait les drones ? Un soldat israélien ou les forces d’invasion ? Un officier anonyme au Ministère de Défense à Tel Aviv ? Les Israéliens savaient qu’un convoi de civils était sur cette route. Pourtant ils ont envoyé leurs machines sans pilote pour l’attaquer. Pourquoi ? La nuit dernière, le Ministère Israélien de la Défense n’avait toujours pas répondu aux questions des journalistes qui attendaient une réponse vendredi dernier.

© 2006 Independent News and Media Limited / Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

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publié dans The Independent, le 23 août 2006,

article original : ’Untold story of the massacre of Marjayoun leaves blame on both sides of the border

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