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LULA : Fernando Gabeira, député, vient de quitter le P.T.

Publie le mardi 28 octobre 2003 par Open-Publishing

Fernando Gabeira, député, vient de quitter le Parti des travailleurs :
« C’est la gauche imaginaire »

Par Chantal RAYES

Le député Fernando Gabeira, 61 ans, est l’un des ex-guérilleros d’extrême gauche qui enlevèrent l’ambassadeur américain au Brésil, en 1969, sous la dictature militaire. Le diplomate avait été relâché contre la libération de prisonniers politiques, dont José Dirceu, actuel ministre de la Maison civile et l’un des fondateurs, aux côtés de Lula, du Parti des travailleurs (PT). De retour d’exil, Gabeira fonde le Parti vert et milite pour les libertés individuelles. Déçu par Lula, il vient de quitter le PT, où il était entré en 2001.

Pourquoi avez-vous quitté le Parti des travailleurs ?

A cause de ses politiques économique, environnementale et des droits de l’homme. Jamais aucun gouvernement n’a suscité autant d’espoirs au Brésil, mais aussi à l’étranger, surtout parmi les altermondialistes. Or, le PT a réduit ces espoirs à une vision très médiocre de la gouvernance. Il a causé une très grande déception en prenant des positions très différentes de celles qu’on attendait de lui. Notre désaccord sur l’environnement porte sur plusieurs décisions, en particulier sur l’autorisation de planter du soja transgénique (jusqu’à la fin 2004, ndlr). C’est un scandale de l’avoir fait avant d’avoir réglementé la question des OGM. Quand je suis entré au PT, en 2001, je pensais unir les Verts aux travailleurs sur le modèle de la social-démocratie européenne. Or, Lula et les autres membres du PT qui forment le noyau dur du pouvoir ont ignoré les idées du parti en matière d’environnement. Ce noyau dur a une vision productiviste digne des ex-dirigeants socialistes d’Europe de l’Est ! Pour lui, le respect de l’environnement est un obstacle au progrès économique. Il y a aussi la question, capitale pour la gauche, de la guérilla d’Araguaia (1). Le gouvernement a intenté un recours contre le verdict condamnant l’armée à ouvrir ses archives. Lula ne veut pas entrer en conflit avec l’armée.

Lula mène-t-il la bonne politique économique ?

Contrairement à la gauche du PT, je ne conteste pas la réforme des retraites du secteur public, qui était nécessaire, ni n’appelle au moratoire sur la dette. Je ne dis pas non plus qu’il faut rompre avec le Fonds monétaire international (FMI), mais Lula pourrait mettre à profit sa popularité et un début d’ouverture du FMI à la critique pour obtenir l’assouplissement de l’austérité fiscale, qui rend très difficile la lutte contre la pauvreté.

En clair, il faudrait pouvoir baisser l’excédent budgétaire (réclamé par le FMI en échange d’un prêt de 30,4 milliards de dollars, ndlr) quand la situation économique est défavorable et exclure de son calcul les investissements dans l’infrastructure, indispensables au développement. Or, le gouvernement ne semble pas prêt à le faire (dans la négociation actuelle sur la reconduction ou non de l’accord avec le Fonds, ndlr).

En dix mois, il n’y a aucun signe de changement de cap. Il n’y a pas eu le débat attendu sur un nouveau modèle économique. Lula n’a pas de projet à long terme. Il court le risque d’un échec. Comme Lionel Jospin, il pense à gauche mais gouverne au centre droit. C’est la gauche imaginaire.

Mais vous dites vous-même que le gouvernement a peu de marge de manoeuvre.

C’est vrai. Nous, la gauche brésilienne, nous sommes trompés de rêve en croyant qu’il était possible de changer le pays à partir du pouvoir. Je me rends compte maintenant que, pendant la campagne, nous avons promis au peuple plus que nous pouvons faire. Malgré tout, Lula aurait pu être plus créatif. Nous savions que n’aurions pas assez d’argent. Mais manquer d’argent et, en plus, d’imagination, c’est fatal. La société civile a cru à tort que le gouvernement Lula prendrait de lui-même l’initiative du changement. Elle doit maintenant exiger de lui de la créativité, le forcer à lutter pour plus de marge de manoeuvre. C’est aussi pour cela que je quitte le PT.
(1) Menée dès 1966 par le Parti communiste du Brésil contre la dictature militaire
(1964-1985), cette guérilla de 80 hommes, dont José Genoino, l’actuel président du PT, fut écrasée par l’armée en 1974.
Bilan : 7 guérilleros tués et 61 disparus. L’armée nie l’existence d’archives.

http://www.liberation.com/page.php?Article=153155